Aux confins de l’Europe, le Portugal est un pays étrange. Plongé entre traditions obsolètes et coutumes qui semblent plaire aux touristes, le monde ici roule lentement. Du passé colonialiste, de l’emprise européenne, aux mœurs qui dévoilent une dimension rustique, facilement, on voit émerger le caractère d’un peuple résilient et fier de son passé.
Dans un pays qui reste en général, accroché à une philosophie politique de gauche, la pauvreté paraît entraîner une décroissance forcée, mais photogénique. Ces dix dernières années, après la prise de contrôle du pays par la Troïka, les Portugais, généralement pacifiques, semblent avoir accepté que la souffrance sociale fasse partie de la vie. Soumis aux intérêts d’une Europe libérale, ils trouvent dans la pensée souvent qualifiée écologique ou de gauche, une forme de subsistance alternative aux difficultés de la vie.
Outre les grands centres urbains de Lisbonne et de Porto, la grande partie des villes restent modestes et sont vouées à une dèche “non choisie”. Les petites boutiques au look années 80, les pêcheurs en désordre, les agriculteurs naturels, enchantent et nous montrent que la décroissance “forcée” amène ses fruits, et que leurs “bonnes” ou “mauvaises” coutumes “résistent” à la tourmente du progrès.
#1
Ferrari, c’est le prénom de ce vieux tracteur. Pedro, le propriétaire depuis 50 ans, couvre avec un tapis, une veille veste et un gilet jaune, les parties en gomme, comme les pneus et le volant, car les températures ici “au soleil” dépassent facilement les 40 degrés une grande partie de l’été.
#2
Comme dans la majorité des villes de l’Algarve et de l’Alentejo, les maisons sont encore peintes à la chaux. La “cal-viva” (en portugais) est encore distribuée gratuitement par les mairies. Elle est utilisée dans les maisons depuis des siècles, pour les murs extérieurs, mais également pour les murs intérieurs vu ses propriétés désinfectantes et fongicides. Les façades sont renouvelées tous les ans.
#3
“Ici, tout est naturel”, est la réponse à ma question sur l’utilisation de pesticides. “Et les semences ? Vous les achetez ? – Non, nous utilisons nos propres semences, que nous récoltons chaque année. Nous avons notre petite “quinta” et nous faisons un marché par semaine.” C’est la vie d’un couple, dans l’une des zones les moins peuplées du Portugal, le nord de l’Algarve. Ils nous racontent que dans la région, beaucoup d’anciennes fermes sont aujourd’hui rachetées par des étrangers, surtout des Anglais. Une sorte d’accaparement des terres qui renforce la spéculation et rend impossible aux jeunes paysans portugais l’accès à des parcelles agricoles.
#4
Ce qui est considéré par “le monde capitaliste” comme une flotte de pêche obsolète ou archaïque, révèle aux yeux de beaucoup d’autres, un attachement aux arts anciens de la pêche qui s’avèrent respectueux du milieu aquatique. Dans le secteur de la pêche portugaise, plus de 80 % des bateaux font moins de 12 mètres et n’utilisent pas de chaluts, sennes ou dragues. 18 % de la flotte n’utilise pas de moteur, dans de petits bateaux de pêche côtière. Sur cette photo, prise non loin de Villa Nova de Mil Fontes, un pêcheur range son atelier après une journée de travail. À droite, on peut observer des filets et des pièges.
#5
Les difficultés du monde agricole se font également sentir. Les petits agriculteurs, délaissés par le gouvernement et victimes des lois du marché européen, sont livrés à eux-mêmes et exploitent au maximum les ressources que leur offre la terre. Ce couple d’agriculteurs vit de sa petite retraite et de “l’addiction des petits kilos”, je veux dire, en vendant quelques centaines de kilos de raisins, d’oranges, de légumes et comme on peut le voir sur la photo, de figues.
#6
Au Portugal, qui n’a pas échappé à la polémique sur les statues, la question semble d’actualité puisqu’il y en a des centaines qui glorifient les “découvertes” colonialistes portugaises. On parle de « Découvertes » qui ne sont qu’une question de point de vue, car pour tous les peuples qui existaient, il ne s’agissait pas d’une “découverte” mais plutôt d’une invasion, du vol des ressources, de l’esclavage et de l’assimilation forcée. Le mythe d’un pays civilisateur, moderne et pacifique, est mort aux mains de la violence de la religion, des coutumes et d’un suprémacisme blanc insupportable. Le problème est que le Portugal continue à relativiser les conséquences du colonialisme dans le monde, et même à en être fier. Les business avec l’Angola et le Mozambique démontrent que le Portugal ne s’est pas débarrassé de la pensée néocolonialiste.
#7
Pendant la dictature, Salazar, dictateur du Portugal entre 1933 et 1974, a créé toute une série de bâtiments étatiques adaptés à la pensée fasciste. Parmi elles, se trouve ce genre d’écoles primaires que l’on peut voir sur la photo. Il y a généralement deux portes qui donnent accès à deux pièces séparées, une pour les garçons et une pour les filles. Dans ce cas, comme il s’agit d’une petite communauté, une seule avait été construite. La plupart de ces écoles ont été utilisées jusque dans les années 90/2000. De nos jours, beaucoup ont été abandonnées et d’autres ont cédé la place à des centres culturels.
#8
Des merceries comme celles-ci, étonnamment, il y en a beaucoup. Elles sont anciennes et avec un décor qui ne semble jamais changer. Nous avons demandé comment ces petits magasins peuvent survivre à l’impact des dizaines d’hypermarchés qui entourent aujourd’hui les centres-villes. Sans mystère, l’astuce est de garder l’apparence désordonnée, compressée, alignée, des articles bien visibles et de respecter les désirs les plus flagrants d’une clientèle fidèle.
#9
“ESTREMOZ – CAPITAL DA AFICION ALENTEJANA“. Les choses qui ne changent jamais sont généralement les pires. La tauromachie reste un “vice” au Portugal, surtout dans le sud. Comme en Espagne ou en France, seule une petite partie de la population « s’extasie » devant la souffrance et devant le meurtre public des taureaux. Une vision spéciste de la vie, qui se déploie dans nos assiettes et dans le désir de détruire le monde qui nous entoure.
#10
Francisco, maître maçon qui travaille pour la mairie de Setubal, restaure “calmement” les petits trous de l’ancienne “calçada“. La “calçada portuguesa” est une ancienne technique de pavage des places et des rues en pierre locale. Appréciée pour les motifs qui se créent entre les pierres calcaires blanches et marnes grises, elle fut aujourd’hui largement remplacée par du goudron, un devenir qui, pour le maître Francisco, rend les villes plus artificielles, plus laides, plus chaudes et finit par polluer l’environnement.
#11
La construction de jardins communs dans des espaces abandonnés, par des groupes anarchistes ou écologistes est connue, et même fréquente dans le centre des grandes villes. Pourtant, c’est un phénomène rarement observé dans les quartiers populaires localisés dans la périphérie et peu politisés. Pour les habitants du Monte Belo, il s’agit d’utiliser la terre et d’économiser de l’argent.
#12
En 2019, le Parlement portugais voit pour la première fois depuis la chute de la dictature en 1974, l’élection d’un député d’extrême-droite. André Ventura est le chef du parti Chega, qui définit sa politique ainsi : contre l’avortement et l’euthanasie, contre les droits égaux pour les LGBT, pour un retour de la prison à perpétuité et à la castration chimique des pédophiles, contre l’idéologie de la théorie du genre, le communautarisme, etc. Des élections locales auront lieu le 26 septembre 2021 et le parti investit dans la propagande. Sur cette affiche, partiellement détruite, on peut lire le mot “fachos” et quelques pénis dessinés.
#13
Ici, en ce moment, au soleil, le thermomètre monte à 46 degrés. Le paysage de l’Alentejo est aride. Les grands résistants sont les “sobreiros“, chêne-liège en français. Ce sont des arbres Quercus, qui ont développé une écorce extrêmement épaisse et hermétique pour pouvoir supporter des températures élevées et survivre à des incendies. Pendant plusieurs siècles, cette matière première a été utilisée pour fabriquer des bouchons pour le vin et aujourd’hui comme isolant thermique.
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