« C’est comme une zone de guerre » : les Jardins à Défendre d’Aubervilliers ont été expulsés

Les Jardins Ouvriers des Vertus, occupés depuis trois mois pour s’opposer à la construction d’une piscine olympique, ont été expulsés ce jeudi 2 septembre. Retour sur une journée de défaite et de révolte pour le collectif qui occupait la zone.

Alors que le quartier du Fort d’Aubervilliers était à peine en train de se réveiller, ce jeudi 2 septembre les occupant.es d’une partie des Jardins Ouvriers des Vertus, rebaptisés Jardins à Défendre (JAD), présent.es sur place depuis trois mois, ont subi un réveil traumatique. Aux alentours de 6h30, entre quinze et vingt camions de police se sont garés devant l’entrée des Jardins et l’évacuation de la zone a commencé. « Ils nous ont pas donné le temps de réagir, nous avons essayé de réveiller les autres mais en dix minutes ils étaient déjà dedans. » raconte Albert, un occupant qui était déjà levé à l’arrivée de la police.

La zone le matin de jeudi, avant d’être détruite. @Giovanni Simone

Policiers en promenade, le matin de jeudi. @Giovanni Simone

L’évacuation a globalement eu lieu dans le calme, mais une personne a été placée en garde à vue et déférée en procès pour outrage et rébellion. Pour ralentir l’opération, elle s’était perchée sur un arbre. Lors de son arrestation, plusieurs coups lui ont été donnés sur le visage et sur le torse. Six autres personnes ont été emmenées au commissariat pour un contrôle d’identité, qui n’a pas donné de suites. Malgré le calme presque étonnant de l’évacuation, les nerfs étaient à vif: parmi les personnes qui ont subi un contrôle d’identité au commissariat d’Aubervilliers, trois y ont été conduites pour avoir traîné trop longtemps devant l’entrée du chantier, sur le parking avoisinant les Jardins.

Les expulsé.es étaient sidéré.es et ont dû assister à partir de 8h à la destruction, par une pelleteuse, de ce qu’ils et elles avaient construit durant ces mois de mobilisation. Regroupé.es sur le trottoir devant les jardins avec quelques soutiens, avec le bruit des travaux et du trafic dans les oreilles, ils ont regardé l’engin raser les cabanes, écraser les plantes, anéantir les espaces qui avaient demandé tant de travail collectif. « Ce qui m’a plus dégoûté ce matin, c’était notre invisibilisation, au milieu des travaux. C’était comme si de rien n’était » déplore Bernard, qui occupait la JAD depuis longtemps.

Les blessures au visage de la personne interpellée jeudi matin et placée en garde à vue. Il parle aussi de violents coups au torse, dont on ne connaît pas les conséquences actuellement. @Giovanni Simone

Un grand projet destructeur

Les Jardins Ouvriers d’Aubervilliers, qui existent depuis cent ans, sont une des dernières zones vertes de la ville. Ils ont été projetés sur la scène médiatique par la décision d’y construire un solarium et un centre de fitness annexes à une piscine d’entraînement pour les prochains Jeux Olympiques de Paris 2024. Le quartier est aussi concerné par la construction d’une gare du Grand Paris Express et par la requalification du Fort d’Aubervilliers, voué à devenir un « écoquartier »1. Tous ces projets sont portés par Grand Paris Aménagement (GPA), organisme public dédié à la réalisation du Grand Paris.

Des projets considérés comme inutiles et nuisibles par leur détracteurs, lesquels sentent arriver avec les travaux l’hydre à mille têtes de la gentrification, et surtout la destruction d’un espace vert pourtant nécessaire à la ville. Les agents de GPA sur la zone du chantier voient les choses différemment et parlent d’arbres qui seront replantés ailleurs, allant de sophismes sur le fait que « les humains sont aussi partie de la nature ». Les milieux urbains, pour eux, ne nécessitent visiblement pas d’espaces verts.

@Palice Jekowski

La sous-prèfete en visite des lieux vendredi matin. @Giovanni Simone

Sur les 4000m2 directement concernés par les travaux du solarium, depuis fin mai, une occupation a été officiellement lancée pour ralentir le plus possible les bulldozers de SPIE Batignolles, entreprise chargée de construire et de gérer la piscine après les JO. Le début des travaux avait aussi été reporté par l’inspection du travail, à cause de la présence d’amiante sur le site. Le 25 juin, l’association des Jardins des vertus (rangée aux côtés de GPA) « et toute personne occupant les lieux à son titre » avait été condamnée par les juges de la cour d’Appel à quitter les lieux. Un expédiant juridique utile pour se libérer d’occupant.es agissant en tant que citoyen.nes, pour lesquel.les la procédure juridique aurait été plus longue. L’injonction officielle à libérer la zone était arrivée le 16 juillet par lettre d’huissier, mais depuis la vie dans les Jardins avait continué sans dérangement.

Le collectif des Jardins avait déposé, début août, un recours contre le permis de construire et, lundi dernier, une demande de suspension des travaux en référé. Le premier s’attaquait à la présence documentée d’amiante dans les sols, la deuxième aux dommages environnementaux du chantier, dus à la présence d’espèces protégées sur les jardins. Mais maintenant les jardins sont perdus, quelle que soit la décision prise par la justice. « La stratégie de GPA est d’utiliser les délais de dossier pour faire les travaux en vitesse et mettre la justice devant le fait accompli » peut-on lire dans le communiqué de presse du collectif de défense.

La vitesse avec laquelle les jardins ont été attaqués a sans doute été étonnante. Les espaces collectifs, les nouvelles constructions, les plantes et tout ce que les occupant.es avaient pu faire en ces mois ont disparu en une seule journée. « C’est comme une zone de guerre. J’ai été en Palestine et franchement ça me donne les mêmes ressentis que quand ils détruisent les oliviers des familles palestiniennes » se désespère Anne Paq, photographe sur place.

Surveillance de la zone. @Giovanni Simone

La police à côté des pelleteuses en action. @Giovanni Simone

Les engins s’approchent dangereusement de Colibri. @Giovanni Simone

Le campement improvisé autour de Colibri. @Giovanni Simone

Une lutte qui ne s’éteint pas

Pourtant, une activiste est parvenue à prendre les autorités par surprise. Colibri, en fauteuil roulant, s’est positionnée devant le chantier et refuse de se déplacer depuis jeudi après-midi. Son geste a permis à des soutiens de passer la nuit sur place et de témoigner de la destruction en cours. La police est dans l’embarras face à une présence à laquelle ils ne s’attendaient pas et qu’ils ne peuvent pas attaquer, ne pouvant pas prouver que Colibri et ses soutiens ne sont pas jardinier.es, et qu’ils et elles n’ont donc pas le droit de rester sur place.

La vue sur la zone, le vendredi matin, donne de quoi déprimer : il ne reste plus que deux ou trois arbres, tout le reste est rasé et des gros tas de détritus sont déplacés de part et d’autres par les tractopelles et les pelleteuses. Les ouvriers travaillent protégés par une dizaine de gardiens privés et leur chiens, et par les policiers qui surveillent la zone clôturée. De temps en temps, des agents de GPA arrivent, accompagné.es souvent par le président de l’association des Jardins, Philippe Frette, qui participe activement à la destruction des parcelles. Dolorès, jardinière et militante de la première heure pour la défense des jardins, crie de rage : « Vous n’avez pas honte ? Comment vous pouvez dormir la nuit ? ».

@Palice Jekowski

Prise de parole devant la mairie. @Palice Jekowski

@Palice Jekowski

Malgré cette grave situation, le jeudi après-midi, un rassemblement devant la mairie d’Aubervilliers a contribué à remonter le moral des militant.es. Entre 200 et 300 personnes étaient présentes, parmi lesquelles des collectifs politiques et écologistes, des élu.es mais aussi des personnes qui avaient pu passer quelque temps dans la JAD. Les visages des occupant.es en larmes, et leur détermination à se réunir une fois de plus, faisaient corps aux prises de paroles très émotives. À la fin du rassemblement, une manifestation sauvage est partie de la mairie pour arriver une fois de plus aux Jardins. Sur place, malgré la présence policière, des activistes ont pu entrer à l’intérieur, faire une visite aux alentours de la zone, avant d’être dégagé.es par la police.

À l’extérieur, l’avenue de la division Leclerc qui longe les jardins a été bloquée par les manifestant.es, dont certain.es ont commencé un sit-in après la première sommation à se disperser. Encore une fois, la police (en l’espèce, la CI), n’a pu se retenir d’user de violence : un collègue de « Le Média » a été frappé et du matériel a été cassé. Une personne a été aussi violemment interpellée, et a passé la nuit en garde à vue. Malgré cette violence insensée et épisodique, les manifestant.es ont pu se disperser pacifiquement, et sont parvenu.es à lancer le message : la mobilisation ne s’arrêtera pas.

@Palice Jekowski

Des riveraines ont participé au rassemblement devant les jardins. @Palice Jekowski

@Palice Jekowski

La manifestation sauvage dans les rues d’Aubervilliers. @Palice Jekowski

1  Pour aller plus loin, lire nos articles sur la lutte des jardins et sur l’occupation, et les excellents articles de Jade Lindgaard sur Médiapart.







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