LIEN : Le nouveau coup de propagande du Département de l’Hérault

Décidément, les atermoiements récents du projet routier du LIEN semblent préoccuper grandement le Département de l’Hérault. Comme nous l’avons démontré dans cet article, ce dernier a tenté d’influer sur le cours de la consultation publique qui s’est tenue voilà deux mois, dans le cadre d’une procédure de régularisation du projet, requise par le Conseil d’État. Mais la collectivité territoriale ne s’est pas arrêtée là, puisqu’elle a aussi élaboré et mis en pratique l’une de ces opérations de propagande coûteuses dont elle a le secret.

C’est en effet une très belle brochure d’une dizaine de pages qu’ont reçu en ce mois de mai les habitant·es de Grabels, commune opposée au LIEN et à l’origine du recours actuellement traité par le Conseil d’État. Cette revue de propagande est intitulée “L’Avis”, et sobrement sous-titrée “Les éléments objectifs du Département de l’Hérault – Droit de réponse – L’avenir avec ou sans le LIEN”. Les Grabellois·es sont plutôt coutumiers de “L’Avy”, à savoir le magazine mensuel de la mairie de Grabels. Dans le numéro du mois de mars de cette revue municipale, la commune revenait sur son positionnement défavorable au projet du LIEN.

Qu’à cela ne tienne, le Département de l’Hérault s’est dit que c’était probablement une bonne idée de venir singer L’Avy, afin de contrer cette ignoble propagande ! En feuilletant l’ouvrage, on se demande qui a pu avoir cette illumination. Et puis on tombe sur cet édito signé Kléber Mesquida, le président du conseil départemental, avec pour en-tête : “Parler vrai n’est pas suffisant, encore faut-il avoir quelque chose à dire“. Une citation de… Michel Rocard. Sexy !

Parler vrai, c’est assurément ce que fait le Département (quand il n’agit pas dans le cadre des consultations publiques). “C’est notre méthode quand nous portons des projets structurants pour le territoire.” Le président du Département s’enorgueillit alors : “D’abord nous étudions pour connaître les différents scénarios qui s’offrent à nous et leurs impacts. Puis nous les expliquons, largement, au travers de publications, de pages dédiées sur notre site, de prises de paroles dans la presse ou lors de l’Assemblée départementale“, etc, etc… Enfin bref, le Département respecte les lois et les us et coutumes républicains qui régissent l’établissement de grands projets écocides, quel soulagement !

Face à la collectivité ? Les vilains opposants au Lien, qui “ne parlent pas vrai puisqu’ils n’ont rien à dire. Ils nous inondent de contre-vérités, oubliant par la même leurs positions passées.” Et vlam, prends ça René Revol ! En effet, le maire de Grabels n’était, à l’époque des concertations publiques préalables au projet, pas tout à fait opposé au projet routier, dont il espérait que le Département retiendrait un tracé plus convenable pour sa commune que ceux proposés en premier lieu. Depuis, et peut-être parce qu’il est sensible à l’urgence climatique, René Revol a revu sa position et s’oppose clairement au projet.

“Rétablir la vérité sur le LIEN

Beaucoup de propos contradictoires sont tenus sur le [Lien]. Pourtant, des études sérieuses existent et montrent le bienfondé d’une telle démarche tant pour le territoire que pour les riverains de cette liaison.” On pourrait même s’étonner de la proportion impressionnante (84%) d’associations environnementales s’étant exprimées en défaveur du projet lors de la dernière consultation publique, lesquelles ne sont pas non plus avares en études.

Le Département prétend que le Lien va réduire la pollution de l’air. Étonnant pour un projet routier d’envergure, et sans doute parce que cette diminution sera localisée sur des liaisons actuellement engorgées. On pourrait par exemple aboutir à un résultat similaire, au hasard, en développant un vrai réseau de pistes cyclables, de transports en commun ou d’aménagements intermodaux. Mais que nenni, chez nous on fait baisser la pollution en construisant de nouvelles routes !

Dans le cadre de la consultation publique, le groupe des jancoviciens Shifters d’Occitanie s’oppose à cette façon de voir les choses, et publie une étude qui postule que “l’infrastructure routière engendrera à elle seule 40.000 tonnes de CO2 car l’artificialisation des sols et la déforestation modifient les flux de carbone. Le trafic routier du LIEN émettra 25 000 tonnes de CO2 annuellement selon des hypothèses de trafic basses”.

Un proverbe chinois (selon linternaute.fr) dit : “Une route peut prendre mille chemins, mais la vérité n’en prend qu’un seul.” Encore faut-il se dégager des ornières dans lesquelles on s’enfonce. Car le Département, comme en témoigne sa réponse aux critiques formulées par la MRAe au cours de la procédure de régularisation du projet, s’échine à ne pas prendre en compte la notion de trafic induit par la construction ou l’élargissement de toute infrastructure routière. Il s’agit du trafic supplémentaire, au-delà des détournements du trafic existant, qui va se générer spontanément en réponse à l’apparition d’un nouvel itinéraire. En d’autres termes, construire de nouvelles routes, c’est y attirer toujours plus de véhicules, et renforcer le modèle du tout-voiture. Ainsi, si les prévisions du Département peuvent annoncer une réduction de la pollution, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans une logique court-termiste et omettent le développement du territoire qui opère autour des axes importants. D’ailleurs, elles sont opportunément contredites par le développement de ZAC sur les portions déjà réalisées du LIEN à Vendargues ou Castrie par exemple. On pourrait aussi rappeler que certains projets récents se conditionnent à la réalisation du LIEN, tels que la carrière Lafarge de Combaillaux, ou le mentionnent dans leurs études de projet, comme celui, finalement abandonné du Décathlon Oxylane.

Le Département détaille ensuite fièrement les mesures “écologiques” prises dans le cadre du projet, et sans lesquelles… ce dernier ne pourrait être valide juridiquement. “Ainsi des enrobés phoniques seront réalisés sur l’axe principal du LIEN dans les secteurs les plus exposés. (…) Des protections sonores de types merlons ou murs sont aussi prévues (…). En effet, sans ces mesures de protection, ces habitations seraient exposées à un dépassement des seuils réglementaires.” La collectivité rappelle aussi que des mesures compensatoires sont prises pour les “impacts résiduels sur les habitats des espèces” (près de 120 espèces protégées sont menacées par le projet). Le Département invente ainsi l’eau chaude en respectant la loi.

Quelques chiffres pour nous rassurer sur le projet. Comme le précise le Département, l’emprise des travaux sera de 61 hectares (soit seulement 83,95 terrains de foot) dont 10 imperméabilisés (13 terrains). Le Lien, c’est aussi 85 millions d’euros d’argent public pour “faciliter les déplacements, accompagner la biodiversité et permettre aux riverains de mieux vivre.” Ah mon chéri, depuis qu’on a cette nouvelle route, qu’est-ce qu’on vit mieux ! Dommage qu’on n’ait plus que trente ans pour en profiter !

“Des incohérences dans l’opposition au Lien”

Consécutivement, le propos se plaint à nouveau du revirement du maire de Grabels René Revol. En effet, ce dernier “oublie et tente de faire oublier aux grabellois qu’en 2010, il adressait au Département un courrier en faveur du projet, informant de l’approbation “sans réserve” au Conseil municipal à une variante du tracé passant au nord du Mas de Matour.” Et de publier à la page suivante ledit courrier, adressé à l’époque à André Vézinhet, l’ancien président du Conseil général. On se croirait sur Médiapart ! Ou sur la Mule !

Depuis, le maire de Grabels n’a cessé de décrier cette variante issue d’une demande de son Conseil Municipal. Ainsi, il n’a pas hésité à engager recours sur recours pour le compte de la commune.” Et oui, c’est ainsi qu’on s’oppose à un projet en suivant le cours de la légalité. Zut alors, cette démocratie, c’est bien embêtant ! “Les finances engagées pour ces démarches sont importantes. (…) C’est environ 150 000€ qui ont été dépensés par le Département dans les seuls contentieux portés par la Mairie de Grabels.” C’est vrai que sur les 85 millions d’euros du projet, le poids de la dépense nous emporte vers les abysses. Mais une question nous taraude… Combien le Département a-t-il dépensé pour financer sa précédente brochure de propagande au format A4 quadrichromie, et maintenant son propre numéro de “l’Avis” pour le faire distribuer à la population grabelloise ? D’ailleurs… à toute la population ? Non car, nous souffle-t-on dans l’oreillette, des opposants bien connus au projet se sont étonnés de ne pas retrouver l’Avis du Département dans leurs boîtes aux lettres.

Le Département pour sa part, “oublie et tente de faire oublier” que le coût procédural du Lien (plus de 6 millions d’euros) est aussi dû à ses propres impairs, puisque la précédente déclaration d’utilité publique du projet avait été annulée en 2013… pour tromperie du public. Décidément, que d’argent gâché dans cette foutue démocratie participative !

René Revol, cet écolo raté

La brochure vient ensuite tenter de renverser les arguments “environnementaux” des opposants au projet, non sans lancer un nouveau tacle appuyé au maire de Grabels. On découvre ainsi que ce dernier a beau jeu de s’opposer au Lien, puisque la population de sa commune a cru de 18% entre 2013 et 2018, passant d’une densité de 446,7 habitants au km² à 529,7. “Et cette “bétonisation” et “imperméabilisation des sols” ne semblent pas prêtes de s’arrêter…

En effet, elles ne semblent pas prêtes de s’arrêter, surtout si le Lien est construit et vient accroître la pression foncière sur les villages du nord de Montpellier. On s’attendait tout de même à un peu mieux en termes d’arguments environnementaux pro-Lien à même de convaincre les Grabellois. Mais le conseil départemental s’y emploie lors des pages suivantes, en rappelant ces aménagements écologiques qui feront du Lien une route durable. Prévenir la pollution des eaux par des aménagements spécifiques, mais aussi en détournant sur le Lien “le passage régulier de camions-citernes [qui] pourrait engendrer des catastrophes au sein des communes. La création du L.I.E.N permettra de sortir ces possibles catastrophes des lieux de vie. Elle permettra d’éviter les désastres écologiques que peuvent engendrer de tels accidents.” Vous avez entendu ? C’en est bel et bien fini des explosions de citernes à tout coin de rue !

Mieux, le Lien sera une route pour faire “barrière contre la propagation des feux“. “L’aménagement du Lien va participer à la lutte contre les incendies et surtout favoriser l’accès des services de secours à tout le secteur fortement boisé du nord de Grabels, actuellement très peu accessible qui a déjà été la proie des flammes.” Ça tombe bien puisqu’avec plus de 20 000 véhicules par jour attendus sur le Lien, les risques d’incendie vont peut-être finir par s’accroître.

Le Département qui est donc véritablement écologiste, contrairement au maire de Grabels, termine sur le développement urbain relatif au Lien, qui serait maîtrisé aux abords de l’ouvrage, “la consommation foncière étant prohibée par les documents locaux d’urbanisme mis en comptabilité dans le cadre de l’opération.” D’ailleurs on ne manquera pas l’occasion de remettre un petit taquet à Revol, avec son intolérable étalement urbain. Mais l’argument présenté par le Département est régulièrement balayé par l’opposition au Lien, qui rappelle que ces documents (PLU, Scot) sont tout à fait modifiables et évoluent au fil du temps et… de la pression foncière et immobilière. Mais aussi que le projet du Lien s’inscrit dans celui de la métropolisation de la ville de Montpellier, en lui offrant une sorte de seconde couronne routière allant de l’A750 à l’A9. Rien ne garantit donc que les décennies suivant la construction de l’ouvrage, les terres qui l’entourent demeurent sanctuarisées. D’autant plus que le Département n’est pas, comme il aime le rappeler, compétent en matière d’urbanisme. Pour information, entre 2013 et 2019, la population de la métropole de Montpellier a pris 10,9%, se portant à 490 389 habitant·es. Quoi d’étonnant donc, à ce que la commune de Grabels, qui fait partie de la première couronne, en ait connu un impact significatif ?

Ainsi, le Département, qui ne cite pas le mot “climat” une seule fois sur toute la brochure, ne revient pas non plus sur les principaux arguments avancés par l’opposition : le Lien est un projet anachronique qui ne peut répondre aux enjeux environnementaux actuels et pire, aggravera la situation. La question du modèle de développement face à l’urgence climatique est toujours celle qui est esquivée par les élu·es favorables à ce type de grands projets écocides. Le conseil départemental de l’Hérault n’y fait pas entorse, en martelant continuellement le peu d’argumentaire qu’il a su construire autour de son projet écocide. Ainsi, “parler vrai n’est pas suffisant, encore faut-il avoir quelque chose à dire“. C’est peut-être la raison pour laquelle le Département déploie tant de moyens dans de véritables entreprises de greenwashing.

Comme le rappelle le Département en conclusion de son “Avis”, la concertation autour du projet – menée il y a près de dix ans ! – avait recueilli 79% d’avis favorables au Lien. Les temps changent. Aujourd’hui, les résultats de la consultation publique menée après le recours du maire de Grabels montrent que le rapport s’est inversé : 80% des contributions sont défavorables au Lien. Par ailleurs, il est difficile d’estimer combien de contributions favorables au projet découlent des petites manipulations du Département que la Mule a mises au jour dans son précédent papier.

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