Nous avons vu hier que le Préfet de l’Hérault a opté pour une certaine manière de présenter les choses dans le cadre de son rapport de synthèse de la consultation publique sur le Lien (pour tout savoir, cliquez par ici). Le collectif SOS Oulala a ce jour proposé son propre bilan de cet exercice démocratique à la presse, en compagnie de représentantes des groupes Ensemble 34 et ANV-Cop21. Sourcé et chiffré, ce bilan analytique propose une lecture plus précise des contributions émises par la population, les associations ou des élus locaux.
Pour le collectif, « la synthèse de la préfecture évoque la plupart des thèmes abordés par les opposants au projet, mais les discrédite au prétexte que le public ne comprend pas ce qu’on lui demande, ou qu’il agit sous l’influence des associations environnementales (…) Dans le même temps, l’avis de la MRAe est balayé comme n’étant « pas substantiellement différent de celui de 2014 » et certains arguments du Département sont repris tels quels. La synthèse préfectorale oriente alors le lecteur vers la [seule] conclusion unique possible : la réponse du Département est satisfaisante. »
Une méthodologie sérieuse et transparente
Dans les grandes lignes, il ressort de cette analyse que la population ayant participé à la consultation est massivement défavorable au projet du Lien : 64% des 1665 avis le démontrent. Toutefois près des deux tiers de cet ensemble ne répondent pas à l’objet de la consultation, qui était de s’exprimer sur la réponse du Département de l’Hérault aux formulations émises par la MRAe, autorité environnementale indépendante, dans le cadre de la procédure de régularisation de la DUP du projet. Pour le collectif SOS Oulala, si l’on se réfère aux 632 avis ayant répondu à l’objet de la consultation, 80% d’entre eux s’opposent aux arguments du Département.
Le collectif revient longuement sur la méthode utilisée pour analyser les contributions, qui allie l’utilisation du logiciel d’analyse informatique IBM Watson natural-language-understanding technology, à des analyses, tris et catégorisations méticuleusement menés. SOS Oulala a dégagé l’ensemble des principaux arguments émis dans les contributions et les a classés de manière thématique en groupes et sous-groupes.
Il en dégage quelques grandes lignes : « 52% des « contre » interrogent la sous-estimation des effets du projet du LIEN sur l’environnement, la biodiversité ou les espèces protégées alors que 32% des « pour » se réfèrent à la conformité des règles de compensations. Le climat est jugé comme « anachronique » par 9% des « pour » et comme une question centrale par 49% des « contre » qui font référence aux rapports scientifiques du GIEC ou aux responsabilités des politiques publiques vis-à-vis des générations futures. (…) 59% des « contre » s’appuient sur l’avis de la MRAe pour s’inquiéter des risques d’urbanisation incontrôlée et de destruction d’espaces naturels et agricoles non comptabilisés dans l’étude d’impact. (…) 52% des « contre » estiment que le Département n’a pas fourni les estimations incluant le trafic induit dans sa réponse. 37% des « pour » sont satisfaits et convaincus que le LIEN apportera fluidité et suppression des bouchons. »
On peut alors constater les ordres de proportion dont on ne peut nullement se rendre compte à travers le bilan du Préfet, qui se contente d’énumérer sans les chiffrer les arguments pour et contre émis dans les contributions. Ainsi, sur la question du développement des solutions alternatives au Lien, si 12 contributions seulement considèrent que le Lien peut favoriser le développement des transports en commun et de l’intermodalité, 209 estiment que le projet va encourager l’autosolisme et intègre insuffisamment la question des transports en commun et du cyclable. Si 16 contributions considèrent que le Lien s’inscrit dans une logique d’artificialisation contrôlée grâce aux Scot et aux PLU (un argument auquel se joint bien volontiers le Préfet dans son bilan ; voir son point 6), 296 estiment qu’au contraire, le Lien entraînera une artificialisation importante (ZAC, espaces agricoles ou naturels détruits), les plans d’urbanisme pouvant évoluer face à la pression foncière.
Sur l’utilité publique du projet, 334 contributions considèrent qu’elle n’est pas démontrée, voire que le projet est contraire à l’intérêt général, tandis que seules 35 pensent l’inverse, soit dix fois moins.
Sur la question de savoir si le Lien représente in fine une liaison autoroutière entre l’A9 et l’A750, 210 contributions rejoignent cette idée quand 18 seulement la rejettent. Mais le Préfet dans son bilan balaye ces argumentaires : « [les contributions] les plus nombreuses tendent à admettre que contrairement à ce qui est développé dans la réponse du conseil départemental, à savoir que le LIEN est une liaison à deux voies limitée à 90km/h, sans péage, cette infrastructure routière sera bel et bien une liaison autoroutière. Or il n’appartient pas au LIEN d’assurer ce rôle de liaison autoroutière mais bien à l’opération dite Contournement Ouest de Montpellier. »
Pour l’opposition, si le Lien n’est effectivement pas une autoroute, il reste une liaison rapide qui vient en relier deux (voir plus loin l’extrait de la contribution laissée par Michaël Delafosse) et va inévitablement entraîner un flux de transit entre celles-ci, jouant donc de fait, un rôle de liaison ou jonction autoroutière, d’où le fait que ce terme soit abondamment repris dans les contributions, par abus de langage. On vous laisse par ailleurs, apprécier à ce propos le commentaire qu’en fait le Département dans sa réponse à la MRAe : « Le Lien n’est pas une liaison inter-autoroutes et n’en a pas la vocation, même si, au demeurant, l’on peine à comprendre en quoi cela pourrait être gênant qu’il assume une telle fonction. »
Les avis très critiques des associations
« L’objectif réel du projet du LIEN est différent de celui défendu par le Département, celui d’une simple « desserte locale ». Les participants à cette consultation, qu’ils soient opposants ou favorables au projet, y voient l’exact inverse : le LIEN est un contournement routier majeur entre deux autoroutes et il doit servir au développement de zones d’activités. Il est attendu ou déploré selon les points de vue ». Le rapport des opposants au projet dévoile ainsi quelques contributions passées sous silence ou évoquées très vaguement par le Préfet.
Ainsi, le maire de Montpellier et président de la métropole Michaël Delafosse, reconnaît par exemple, à rebours des arguments du Département qui présente le Lien comme une simple desserte locale, que : « Cette infrastructure, prévue de longue date, doit aujourd’hui être achevée dans l’intégralité de son tracé pour fluidifier les trajets entre les communes du nord de Montpellier et connecter ainsi les deux autoroutes de notre territoire. Des zones d’activités et de logistique importantes de la Métropole (Castries, Vendargues) ont besoin de la complétude de cette desserte pour fonctionner efficacement. »
Le rapport de SOS Oulala met aussi en lumière les contributions souvent très denses et argumentées, voire documentées, des associations, dont près de 85% se sont positionnées en désaccord avec le projet du Lien. Ainsi de la contribution de la fédération France Nature Environnement : « La fluidification du trafic sur le nord et l’ouest de Montpellier », n’est pas démontrée (…). La sous-estimation du trafic attendu à moyen terme, outre qu’il s’agit d’une information erronée donnée au public et à l’autorité décisionnaire, remet surtout en cause l’estimation de l’ensemble des impacts du projet. Qu’il s’agisse des impacts en termes de qualité de l’air, de bruit, de pollution, ou même de biodiversité, il semble que tous les indicateurs devraient être revus à la hausse. »
Greenpeace Montpellier revient aussi sur la sous-estimation du trafic reprochée au Département, en explicitant la notion de trafic induit : « Le trafic induit désigne le volume de trafic supplémentaire généré par la création ou l’amélioration d’une infrastructure de transport. Il ne s’agit pas du report de véhicules existants sur d’autres itinéraires vers la nouvelle route, mais bien de l’apparition de nouveaux déplacements en voiture ou de leur allongement. Pourtant, le trafic induit est ignoré dans l’étude du projet du LIEN. Il en résulte une sous-estimation du trafic futur et de toutes les externalités qui en découlent. L’impact du projet doit donc être revu en tenant compte de ce trafic induit. »
On notera aussi la contribution de l’association Shifters Occitanie, appartenant au mouvement lancé par le très médiatique Jean-Marc Jancovici, et qui a posté une étude sur les impacts écologiques du projet. Le collectif SOS Oulala résume ainsi cette contribution : « L’étude mise en ligne sur le registre de la consultation électronique du LIEN, souligne que l’infrastructure routière engendrera à elle seule 40.000 tonnes de CO2 car l’artificialisation des sols et la déforestation modifient les flux de carbone. Le trafic routier du LIEN émettra 25 000 tonnes de CO2 annuellement selon des hypothèses de trafic basses. »
On relèvera également la participation de certaines organisations politiques comme Ensemble 34 : « Les réponses du Département sont indigentes, voire méprisantes et il s’accroche à l’avis de la DREAL de 2014 (4 pages concluant à la conformité du projet avec les règles), sans se rendre compte qu’entre-temps, le monde avait changé, et les normes aussi, notamment en ce qui concerne la qualité de l’air ! L’urgence climatique est devenue plus aigüe dans les consciences, et chaque projet doit être examiné à cette aune-là, ainsi qu’à son intérêt de justice sociale » ou des Insoumis du Pic-Saint-Loup : « Le climat et la biodiversité répondent à des lois physiques, chimiques et biologiques avec lesquelles nous ne pouvons pas négocier. Les nier relève du mépris envers les citoyens et laisse à dessein un héritage catastrophique à notre jeunesse. »
Les douze élus métropolitains du groupe Choisir l’Écologie pour Montpellier se sont aussi inscrits contre le projet : « Les conséquences en matière d’émissions de gaz à effet de serre, liées au chantier et à ses conséquences en matière d’urbanisation et de flux routiers, sont largement ignorées (…). L’avis de la MRAe confirme donc que le LIEN est un projet du passé, inutile et contraire à la nécessaire transition écologique pour laquelle la puissance publique, Etat et collectivités locales, s’est engagée à agir»
Un dévoiement de l’avis de la MRAe ?
Pour le Préfet, le nouvel avis de la MRAe « ne diffère pas substantiellement de l’avis émis par l’autorité environnementale en 2014 ». Pour le cabinet Lepage, « c’est complètement faux et surtout de nature à gravement tromper le public. »
Pour l’avocate, la notion d’intérêt général du projet mise à l’appréciation du public est bousculée par de nombreuses carences et vices d’information bel et bien exprimés par la MRAe, allant au-delà des simples évolutions législatives s’étant produites depuis 2014. Dans le cadre de la consultation publique, le Département aurait dû y répondre de manière transparente en communiquant les documents sur lesquels il s’appuie, et ce afin de répondre aux exigences démocratiques d’une telle procédure. Le dossier transmis par le Département ne fait que 23 pages et l’étude d’impact de 2014 n’était même pas jointe à la consultation.
Ainsi, pour l’autorité environnementale, « les prévisions de trafic exposées ne sont pas suffisamment complètes et étayées pour permettre au public d’appréhender l’ensemble des impacts du projet. (…) Cette insuffisance est d’autant plus dommageable qu’elle rejaillit sur la qualité des analyses en termes de pollution de l’air, nuisances sonores et prise en compte du changement climatique. » Dans sa réponse, le Département indique avoir organisé une série de mesures de trafic complémentaires et produit une série de cartes portant sur les portions du LIEN déjà réalisées, assez succinctes et peu lisibles en réalité. Mais pour l’avocate, il s’agit « d’une campagne de relevés réalisée on ne sait pas comment, on ne sait pas quand, et on ne sait pas par qui, et qui se traduit par trois cartes illisibles. On ne comprend pas pourquoi l’étude n’est pas produite. Naturellement cette réponse du Département ne satisfait aucunement à la critique de la MRAe qui relevait justement des données incomplètes et injustifiées. »
Le cabinet considère aussi qu’en termes d’enjeux environnementaux et notamment de biodiversité, l’information du public est complètement biaisée. Encore une fois, le Département répond aux recommandations de la MRAe sans mettre à disposition du public l’intégralité des études sur lesquelles il s’appuie et la préfecture valide tout de même la procédure. « Le projet, dont les études sont particulièrement anciennes et la conception bien trop datée, méritait davantage de précisions : et le Département n’a pas joué le jeu en réponse aux critiques de la MRAe, comme si le projet était déjà entériné et que la consultation de la MRAe et du public étaient de simples formalités procédurales. Enfin, la MRAe a pointé bien d’autres carences, demandant une actualisation des données quant au bruit, a fait des recommandations quant à la consommation d’espaces, ou encore a recommandé de reprendre l’étude d’impact sur l’évaluation socio-économique. Le Département n’a pas cru bon devoir satisfaire à ces observations et n’a rien produit qui permette de venir régulariser les carences de l’étude d’impact. »
La démocratie entravée
Le collectif SOS Oulala estime par ailleurs dans son rapport que la préfecture de l’Hérault s’est rendue coupable d’un positionnement partial dans la rédaction de son bilan de la consultation. « Si la synthèse de la préfecture couvre la plupart des thèmes abordés par les dits opposants au projet, ces thèmes sont présentés comme des arguments isolés qui témoigneraient d’une opposition « sur le tracé du LIEN et sur ses conséquences en terme environnemental” et non pas d’une opposition sur « l’intérêt » du projet du LIEN. (p.7, bilan préfecture, 2022). L’interprétation retenue par la préfecture se focalise sur le seul tracé. Le bilan occulte les arguments des opposants à la régularisation du LIEN qui mettent justement en question l’intérêt public du projet. »
Le collectif dénonce également la stigmatisation par le Préfet des efforts des associations afin de visibiliser la consultation et donner des clés de compréhension au public. « Ainsi les contributions opposées au projet sont considérées comme placées sous « l’influence du collectif Sos Oulala ». Les arguments proposés par ce collectif sont considérés comme une « publicité largement relayée par les opposants au projet ». (…) Il est particulièrement inquiétant qu’en 2022, des institutions publiques jettent un tel discrédit sur la participation citoyenne au débat public. Tout d’abord, de telles considérations font passer le public comme incapable de réflexion et sous influence, rendant presque illégitime l’idée même d’une consultation. Mais c’est surtout la considération du rôle des associations, des collectifs et des corps intermédiaires dans le débat démocratique qui est ici en jeu. »
Un positionnement que le Préfet n’a pas tenu à l’égard du Département, même si on retrouve bel et bien l’influence de ce dernier dans la consultation et dans les arguments émis par les contributeurs s’étant déclarés favorables au projet (et pour cause puisque la collectivité territoriale a tenté d’influer directement sur la consultation). Ainsi de ces contributions concernant le chemin de croix administratif du LIEN, présentées dans le bilan du Préfet avec un certain goût de la formule : « Le coût des procédures supporté par le contribuable est aussi un point largement évoqué au sein des contributions avec l’entêtement du maire de Grabels [ndlr : René Revol, LFI] et l’expression d’une opposition menée par une minorité ». Dans l’ensemble des contributions, cet argument ne serait en réalité que très peu cité. Mais l’on peut toutefois expliciter sa présence : le coût de la procédure administrative du LIEN (6,16 millions d’euros) est régulièrement présenté par le Département dans sa communication comme résultant de l’opposition au projet, occultant par exemple le fait qu’une première DUP avait été annulée en 2013 pour… tromperie du public. En réalité, pour exemple, le coût attribué aux recours de la mairie de Grabels pour le Département n’est que de 150 000€ selon… la dernière brochure de propagande distribuée à grands frais aux Grabellois par le Département lui-même. Ces contributions sont donc elles aussi le fruit de l’intense bataille de communication menée ces dernières années entre le Département et l’opposition au projet.
Le collectif SOS Oulala estime ainsi dans sa conclusion : « Lors de la Déclaration d’Utilité Publique en 2014, la préfecture de l’Hérault était juge et partie. Le Conseil d’État l’a sommée de réparer ce vice en sollicitant l’avis d’une autorité environnementale indépendante et l’avis du public. En 2022, rien n’a changé. La préfecture est toujours juge et partie. »
Vous pouvez retrouver le rapport du collectif ci-dessous :
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