Carrières en danger, Meudon se mobilise

Ce dimanche 15 mai, la tranquille ville de Meudon, dans les Hauts-de-Seine (92), a assisté à une deuxième manifestation en deux mois pour la défense d’un site classé au patrimoine, les carrières Arnaudet. L’accès aux carrières risque d’être empêché par une montagne de gravats, probablement provenant des chantiers du Grand Paris. La mairie y voit une façon économique et écologique de sécuriser le site. Les opposants y voient un prétexte pour urbaniser la colline qui est au-dessus. Reportage et images.

Bonjour ! Est-ce que quelqu’un aurait un micro ?“. L’après-midi commence au nom de la bricole et de la bonne humeur devant la mairie de Meudon, sous un soleil écrasant. Environ 300 personnes sont réunies pour demander l’arrêt des travaux sur la colline Rodin, qui abrite les carrières Arnaudet. En avril, le Conseil d’État a cassé en appel le jugement qui avait donné raison aux opposant.es, en validant le projet de comblement des carrières. Depuis 2017, un contentieux oppose la Ville de Meudon et des activistes du patrimoine et écologistes. La Ville propose le comblement des carrières Arnaudet par des remblais provenant des chantiers d’Île-de-France, et probablement en partie de chantiers du Grand Paris. Le projet de métropole, lancé par Sarkozy en 2009, foisonne dans les banlieues de la capitale, et la gestion des déchets des dizaines de chantiers est un problème réel. Avec le jugement du conseil d’État, ce projet qui prévoit l’enfouissement de 48.000 mètres cubes de terre dans la moitié des salles des carrières a été validé et le site a été immédiatement rendu inaccessible au public. Cela malgré une pétition et une première victoire légale pour les opposant.es.

Un projet qui sent le béton

La justification du projet repose sur la dangerosité et les risques d’effondrement, et s’appuie sur l’urgence d’un renforcement des galeries souterraines. Pour les opposant.es, il n’en est rien : “Si le problème c’était la dangerosité, tout Meudon serait en danger. Il y a plein d’autres galeries sous Meudon et on a bâti dessus sans problèmes” s’écrie Françoise, habitante de Meudon depuis 1974. Magdalena Labbé, visage de la lutte contre le comblement, précise : “Depuis 1986 tous les projets immobiliers sur la colline Rodin ont été annulés parce que le site est classé au patrimoine. Alors, depuis 2017 on s’attaque à la dangerosité du site, et on pousse pour le comblement.” Les méthodes utilisées pour établir la dangerosité des carrières est aussi contestée : “On a fait une modélisation numérique, c’est-à-dire qu’on a inséré dans un logiciel les données concernant la carrière et on a établi que tel ou tel pilier pourrait éventuellement s’effondrer. Mais ça n’a aucunement été vérifié sur place. Si on rentre, on peut facilement constater que les carrières sont en parfait état.

Magdalena Labbé prends la parole avant le départ de la manifestation

Les habitant.es de la ville se désolent de la perte de ce site, et pour certain.es c’est les premières mobilisations. Mehdi a 21 ans, et s’est rendu à la manifestation avec son ami Félix. Quand on lui demande pourquoi il se mobilise pour les carrières, il s’émeut : “Nous on grandit avec les carrières, on nous en parle à l’école tu vois ? Mon père y descendait, il m’en parlait il m’en parlait. Et la colline au-dessus c’est un des seuls endroits où on peut aller se balader au milieu des arbres qui poussent de partout.”  C’est assez pour se mobiliser. “Surtout que ça n’a aucun sens de détruire tout ça pour, quoi, 28.000 mètres carrés de bâtiments qu’on pourrait faire n’importe où” ajoute Félix. La menace qui plane sur le site est assez lourde pour faire bouger des habitant.es habituellement peu actif.ves: “Mec tu te rends compte, on a fait manif à Meudon!” lance Mehdi à son ami en partant de la manifestation.

300 personnes: une petite manifestation, mais un défilé inhabituel pour la petite ville du Sud-Ouest parisien

Au-delà de la valeur du site, les opposantes soulèvent des questions de méthode : il y aurait d’autres moyens de mettre en sécurité les galeries sans les combler, tout en garantissant leur accessibilité au public. Des méthodes de renforcement sans comblement proposées dans l’étude initiale mais qui n’ont jamais été étudiées. Pour les manifestant.es, la preuve de la mauvaise foi de la ville, qu’iels estiment vouloir bâtir de l’immobilier nouveau dans la ville : “Dès le premier jour, ce qu’ils ont fait c’est d’abattre les arbres au sommet de la colline. Dans les prochaines années, on va avoir 30 camions de remblais par jour, et puis ensuite les travaux pour bâtir sur la colline” clarifie Magdalena. La Ville de Meudon nie toute volonté de réaliser un projet immobilier, et oppose aux arguments des activistes la volonté de réaliser un parc : “Tu parles!” lance Françoise, “ce sera un tout petit parc pour les immeubles autour, alors que là, la colline est très belle, elle est sauvage. Dans certains coins on se croirait à la fin du XIXe siècle.” Le comblement des carrières permettrait en effet de faire d’une pierre deux coups : pouvoir bâtir au dessus de la colline sans avoir à déclasser le site, et stocker des remblais de chantier qui deviennent une marchandise dont personne ne veut avec le foisonnement de chantiers du Grand Paris.

La métropole et ses destructions

Le mot est dit : l’ennemi serait bel et bien la métropole, et ses projets de développement immobiliers contre lesquels se mobilisent des citoyen.nes partout en Île-de-France. Au cours de la manif, le slogan le plus chanté est bien “Grand Paris, Grand Profit : des gravats on en veut pas !“. La lutte de Meudon a attiré des activistes de toute l’Île-de-France, y compris de zones très lointaines de la ville. François a été membre du CPTG, le Collectif Pour le Triangle de Gonesse, et est maintenant actif dans la défense du plateau de Saclay : “Pour moi, la violence, elle est dans ces villes qui nous agressent. Pour qu’elles arrêtent de nous agresser, il faut arrêter les chantiers, c’est tout“. Pendant qu’on s’entretient, nous sommes interrompus par un ami de François : “C’est le Grand Paris notre ennemi commun, voilà!“. “Oui il dit bien” répond François, “Et je suis sûr qu’avec le jeu de la sous-traitance, on va retrouver ici des camions de déchets toxiques. C’est toujours comme ça, au final on enfouit n’importe quoi.

 

 

 

L’accès aux carrières, entouré de grillages et fermé en vue des travaux

Au sommet de la colline, des arbres ont déjà été coupés pour permettre les premiers travaux. Des manifestant.es ont visité les lieux

Les projets de la métropole agissent selon une logique de rentabilité, négligeant l’utilité publique et la durabilité écologique, selon François : “Bernard (Loup, président du CPTG, NDLR) l’a bien dit : il y a à Tavergny des galeries souterraines qui sont vraiment en train de s’effondrer, on pourrait mettre là les déchets du Grand Paris. Mais ça coûte cher, c’est pas rentable, tout ça. Alors, ils font d’une pierre deux coups ici à Meudon.” Une façon d’agir qui pose des problèmes non seulement dans les contenus, mais aussi dans les modalités: “C’est une logique profondément anti-démocratique : ils viennent avec un projet, et ils demandent pas si ça va ou ça va pas. Ils disent : c’est ça, et c’est tout.“. En opposition avec la logique du développement du Grand Paris, mais aussi avec cette dynamique anti-démocratique, plusieurs luttes se sont construites en Île-de-France dans les dernières années. Des collectifs qui s’unissent au nom d’enjeux écologiques, sociaux et de vie politique, et qui proposent souvent des autres façons de s’organiser et d’élaborer des projets communs. Vianney Orjebin, élu LFI (La France Insoumise) des Hauts-de-Seine, rappelle : “Certaines de ces luttes ont gagné : Europacity, les jardins d’Aubervilliers… Je vois pas pourquoi on ne pourrait pas gagner ici“. Comme par hasard, il cite les deux seuls exemples d’occupation de terrain en Île-de-France, qui se sont ralliés sous le nom de ZAD (Zone à Défendre, à Gonesse) ou JAD (Jardins à Défendre, à Aubervilliers). Une façon de dire qu’une occupation serait possible à Meudon ?

En tout cas, dans les prises de parole, les opposant.es sont beaucoup plus précautionneux.ses: “On veut bien montrer, et je le dis fort pour notre maire, qu’on n’est pas des rigolos !” s’agite au micro François Devergnette, historien de l’art et activiste contre le comblement. “Nous avons aussi récemment contacté Gabriel Attal, et il serait intéressant qu’il nous réponde puisqu’il se vante d’avoir fait des choses pour la colline Rodin dans son dernier programme de campagne“. Dans l’auditoire, des huées se lèvent contre le porte-parole du gouvernement. “Allez, on veut lui parler quand même, faut pas le brusquer déjà…” Les âmes de la mobilisation sont en effet très variées et ça saute aux yeux : à côté de militant.es citoyen.nes, pour beaucoup d’un certain âge, il y a nombre de “cataphiles”. Ces pasionné.es des catacombes parisiennes et de toute galerie souterraine ressemblent plutôt à des punks qu’à l’image typique de l’activiste écolo ou du citoyen concerné. Qui sait si iels sauront apporter une autre dimension à cette lutte ?

Une cathédrale de craie en miniature, dans les galeries, fait écho aux surnom des carrières, des “cathédrales” selon leurs défenseur.euses.

 

 







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