8M22 – Quand la réappropriation politique menace la lutte féministe

35 000 personnes dans les rues de Paris pour lutter contre les violences machistes. 100 000 en Espagne en solidarité aux femmes du monde entier. 20 000 à Guatemala où le gouvernement vient de durcir la répression des recours à l’avortement et bannir le mariage homosexuel. Plusieurs milliers en Pologne, près de la frontière Ukrainienne, au Pakistan ou au Mexique. Des centaines en Afghanistan où ces milliers de femmes sont sorties manifester au péril de leur vie.

Le 8 mars, c’est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et des diversités de genre. C’est cette journée où le monde fait semblant de s’intéresser aux oppressions que subit cette moitié de l’humanité. C’est cette journée où, gloire au capitalisme, on peut trouver des aspirateurs à moitié prix pour célébrer la « journée de la femme ». C’est cette unique date dans l’année où l’on tolère parfois que toi, femme ou autre identité, tu sortes timidement de la place qui t’est imposée. Mais pas question de faire de vague non plus. Une seule journée où toute l’hypocrisie des politiques du monde entier, feignant lutter contre les discriminations sexistes, se révèle et s’expose au grand jour.

Sexistes, on vous voit

Chaque année c’est la même chose. À croire qu’en France, un 8 mars sans polémique ne serait pas un 8 mars. On se souvient que le 8 mars 2021, Libération publiait en Une la lettre d’un violeur à sa victime deux jours après un tweet de la police nationale culpabilisant les victimes de revenge porn. On aurait pu croire que le tollé provoqué par ces messages diffusés sur les réseaux sociaux leur ait servi de leçon. Et pourtant cette année, voilà que le compte de la police nationale du Puy-de-Dôme rend hommage, en cette journée de lutte pour les droits des femmes… aux hommes qui ont participé à l’acquisition de leur citoyenneté. Blague, provocation ou ignorance profonde, on se demande ce qui motive ce tweet… et quelle hypothèse est la plus terrible.

Le 8 mars, c’est aussi ce jour où l’on voit fleurir un nombre significatif d’articles ou de reportages dans les médias. En 2021, selon les derniers chiffres du CSA, les femmes représentaient 40% des intervenant∙es médiatiques, mais seulement 30% des invité∙es politiques dans les émissions de radio ou de télévision, un chiffre en baisse d’un point par rapport à 2020. Alors, face à ce système médiatique sexiste, à quoi peut-on s’attendre un 8 mars ? Sur 15 invité∙es dans les matinales françaises, 13 hommes. Le 8 mars, c’est donc aussi entendre sur les grands canaux de diffusions, des hommes discuter féminismes entre eux.

La France est loin d’être le seul pays dont les contradictions révèlent une réappropriation des mobilisations à des fins politiques. Que le porte-parole des talibans – qui depuis leur prise de pouvoir en Afghanistan n’ont fait que réduire les droits des femmes au très strict minimum – qualifie le 8 mars d’ « excellente occasion pour [les] femmes afghanes de revendiquer leurs droits légitimes » a de quoi faire grincer des dents. Et ce n’est qu’un exemple – certes extrême – parmi tant d’autres. Ce détournement des luttes féministes est aussi le fait des organisations internationales.

« Face à l’opinion, et aux mouvements sociaux, l’ONU essaie de se présenter comme une instance qui « rattraperait » les catastrophes provoquées par la brutalité des politiques du FMI, de la Banque mondiale et de l’AID. Une analyse critique de ses politiques dans les dix dernières années montre pourtant qu’elle constitue une pièce centrale du dispositif de mise en place du nouvel ordre mondial néolibéral. Violence et persuasion, coercition et consensus : voilà un scénario connu. […] Au centre de cette logique, on trouve les femmes. Les premières affectées par la pauvreté et la détérioration de l’environnement impliquées par le « développement » onusien, elles sont aussi celles qui réalisent une grande partie des propositions concrètes de solutions ou d’alternatives. Leur grande soif de participation, leur responsabilité envers les générations futures, leur sens pratique et leur immense capacité à travailler à des coûts défiants toute concurrence, constituent une disposition sociale que l’ONU entend exploiter à fond. » – Jules Flaquet, « L’ONU, alliée des femmes ? Une analyse féministe du système des organisations internationales », Multitudes.

 

Le 8 mars, c’est aussi l’occasion de mettre encore une fois sur le devant de la scène, un féminisme occidental, universaliste, qui ne profite réellement qu’à cette « élite » de femmes blanches, bourgeoises, cisgenre et hétérosexuelles. Ainsi, en mettant en avant des féministes, les divergences ressurgissent dans le débat public. TERFs et abolitionnistes, dont la parole semble plus audible aux yeux de l’opinion publique, en opposition avec les positions autoproclamées radicales d’autres mouvements revendiqués intersectionnels.

Cependant, le 8 mars, c’est aussi des milliers de militant∙es, sur chaque continent et dans chaque pays, battant le pavé avec conviction, porté∙es par une rage et un besoin parfois vital d’agir, de ne pas rester oisif∙ves face aux injustices qui structurent notre monde, nos mondes. Le 8 mars, c’est un aperçu de la puissance de la lutte collective. Car le monstre patriarcat n’est pas intouchable. Peu importe sa puissance et son emprise. En voulant souffler la flamme de la lutte, il ne fait qu’attiser les braises de la résistance féministe. Et pas seulement la résistance revendiquée en ce 8 mars, mais bien celle inlassablement acharnée de ces milliers de personnes, qui œuvrent dans l’ombre.

 







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