À Calais, l’État organise la traque des exilé·es

Ce n’est pas en une semaine à Calais que l’on peut comprendre l’intégralité de la crise. Pourtant, ce court laps de temps suffit pour documenter la dynamique extrêmement violente menée par l’État français. Pendant quelques jours, nous avons rencontré des exilé·es, filmé la police pendant les expulsions, parlé avec des associations, suivi la marche solennelle en mémoire des morts aux frontières, et rencontré un groupe de citoyen·nes qui se battent pour le droit au logement.

Vivre entre la détresse et l’accomplissement d’un rêve

S’il y a des situations qui reflètent la décadence des valeurs républicaines, la droitisation des politiques étatiques et la résilience de la pensée colonialiste, Calais en est un exemple criant. Dans le nord de la France, des milliers d’exilé·es qui essayent de rejoindre l’Angleterre, sont victimes de traitements humiliants, racistes, et inhumains. Ces exilé·es qui fuient la guerre, la pauvreté, la faim, la discrimination ethnique ou sexuelle, après des mois de souffrance subie dans les pays du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient, arrivent en Europe et en France, où iels sont confronté·es à une précarité et à une violence policière et civique qu’iels pensaient derrière eux, dans des pays comme la Libye.

« Je n’ai jamais vu de toute ma vie, des gens aussi violents, pervers, qu’en Libye. Les exilé·es sont violé·es, exploité·es, humilié·es, et les personnes qui nous infligent cette violence ne ressentent aucune censure. »

Pareillement à d’autres crises migratoires et sociales, l’État français emprunte le chemin répressif. C’est à coups de pression chaque 48 heures sur les campements des exilé·es et par une activité policière permanente, partout dans la ville, que la préfecture de police et la mairie de Calais espèrent contenir ce flux migratoire et invisibiliser les exilé·es dans la région.

Les idées proposées par quelques politiques et associations, la création d’un corridor humanitaire ou la “liberté de circulation” qui permettra aux exilé·es de choisir dans quel pays iels veulent s’installer, paraissent inimaginables, et même absurdes pour la machine étatique. Même si des milliers de vies pourraient être sauvées de la mort aux frontières. Vu le corollaire, voulu ou pas, l’État français participe à la détresse et à l’anxiété des exilé·es, qui dans leur désespoir, cherchent à tout prix à quitter la France.

Dimanche 6 février, une action internationale a mis en évidence la violence de l’Europe forteresse et de sa police Frontex. Plusieurs actions étaient menées en France, en Espagne, en Allemagne, en Grèce, etc., en mémoire des personnes mortes aux frontières. Souvenons-nous que 347 personnes sont décédées depuis 1999 dans le canal de la Manche. Et que plus de 50 000 sont décédées sur les routes migratoires qui conduisent en Europe depuis 1990.

En France, dans la 6e puissance mondiale, des femmes, des enfants et des hommes exilé·es, se trouvent face à une violence, un acharnement policier, qui pour beaucoup d’entre eux, visent à anéantir le peu d’intégrité physique et psychologique restant aux exilé·es pour pouvoir se mettre en péril une dernière fois, et dépasser cette dernière barrière maritime de 30 km de long. Pour sortir de la France et entrer sur le territoire anglais, il y a deux possibilités : puisque les exilé·es ne prennent pas le train, car leurs destinations sont incertaines, il y a les bateaux et les camions. Ces deux moyens sont extrêmement dangereux et ont déjà coûté la vie à des centaines d’exilé·es.

Dans leur jargon, ils l’appellent :the try” ou “the chance”. Concrètement, on parle de semaines, de mois d’attente pour avoir la chance de traverser La Manche et d’arriver en Angleterre. Un rêve, un désir, une nécessité, et un choix qui ne sont pas pris à la légère, car leur vie est mise en péril. Malgré les tragédies et les actions des associations humanitaires, qui appellent l’État à la raison, rien ne change véritablement.

Un contexte atroce, où les violences policières, les violences civiques et la bunkérisation de Calais obligent les exilé·es à entrer dans des camions ou embarquer in extremis par la mer. Pour ceux et celles qui arrivent à se cacher à l’intérieur des camions, ou à acquérir un bateau, l’entrée en Angleterre n’est pas certaine. Beaucoup rencontrent le destin le plus triste, la mort, et la grande majorité est interceptée en mer et dans les camions par la police et leurs chiens. Une fois attrapé·es, s’ils ont de la chance, ils sont relâché·es dans le Pas-de-Calais, d’autres sont envoyé·es en Centre de rétention administrative (CRA).

« Dans le “poste de police”, les policiers qui nous ont interpellés dans les camions, font des blagues alors que nous mettons notre vie en péril. Ils disent : “Pas de chance. Tu essayeras à nouveau demain”.

Les cellules sont sales, ça pue, et nous sommes plusieurs à rester des heures dans un petit carré. »

Imposer la violence, la précarité

L’État français et la Macronie veulent “quoi qu’il en coûte” invisibiliser la présence des exilé·es à Calais. Et ceci se traduit par la persécution des plus démuni·es, des plus fragiles, que l’État déshumanise et force à vivre caché·es dans les ronces, les bois, en danger, et loin de tout rapport sain avec le monde « normal ». Pour l’administration, il est préférable de dépenser des millions d’euros en répression, plutôt que de se comporter en institution sensible, solidaire et humaniste. La situation d’environ 1500 personnes exilées à Calais est extrêmement dégradante. Et sur le terrain, il est très difficile de recueillir leurs témoignages. Au-delà d’une méfiance envers les journalistes et les associations, et de la peur des policiers en civil, une des raisons de cette fermeture tient en un sentiment de honte, au vu de l’environnement décadent dans lequel ils vivent.

Pas-de-Calais – Grande Synthe

La grande majorité des exilé·es vivent dans des zones humides typiques du littoral calaisien, et cohabitent avec toute une variété d’animaux. Rats, souris, insectes de toutes sortes, oiseaux, mouettes, etc., sont attirés par les toilettes à ciel ouvert, les restes de nourriture et les vêtements abandonnés par les différentes vagues de migrant·es, qui ont subi des centaines d’expulsions. On parle de kilos de nourriture, abandonnés lors des expulsions faites par la police. Dans toute cette précarité, les expulsions constantes détruisent tout le peu de stabilité, qui en vérité, permettrait aux exilé·es de créer des lieux de vie un peu plus durables, installer des petits coins de stockage, et d’autres où ils peuvent cuisiner. Même pour reussir à faire du feu, les exilé·es sont obligé·es d’utiliser du plastique pour faire brûler un bois trop humide.

« Nous ne voulons pas rester à Calais. Nous n’avons pas besoin de votre aide. Laissez-nous passer, nous voulons aller en Angleterre, c’est tout. »

La relation entre les “Abas(policiers en soudanais) et les exilé·es, une fois de plus, exacerbe le caractère violent des politiques étatiques et la réalité du racisme institutionnel. Traité·es comme des criminel·les, infantilisé·es, abusé·es verbalement et physiquement, l’humain racisé “n’est plus un humain, mais un problème”. Les valeurs républicaines pourrissent sous l’usage du “gaz lacrymogène et des grenades de désencerclement”, qui ne tuent pas, mais conduisent inévitablement au désespoir.

Après des centaines d’expulsions, l’objectif de la police, donc de la Préfecture, donc de l’État, est confus et s’apparente à un fiasco. Aujourd’hui, à Calais, un type d’État policier nébuleux et arbitraire s’est installé. Car les opérations de police changent de procédure selon le goût de la hiérarchie. Outre l’ubiquité de la police partout et à tout moment, la plupart des opérations policières ne respectent pas les “droits” minimaux des exilé·es. Cela concerne la présence de traducteurs sur le terrain, le respect des procédures internationales, le respect de la déontologie policière, les biens personnels confisqués et difficilement récupérables…. Puis, lors de certaines opérations, les exilé·es sont contraint·es de monter à bord d’un bus et transporté·es sans la moindre information vers des centres d’accueil à travers la France.

“Les gens changent de visage quand ils nous regardent, quand on va au supermarché ou quand on monte dans le bus.”

Après le scandale des tentes lacérées au couteau, les 27 personnes mortes en mer en novembre dernier, les grèves de la faim, et la publication de centaines de vidéos issues des associations et des journalistes, la police a changé de stratégie et conduit des “expulsions partielles” chaque 48 heures. Comme on peut le voir dans notre reportage vidéo, les exilé·es ont pris le réflexe de prendre leurs tentes, leurs affaires et de fuir, jusqu’à qu’iels soient hors du périmètre d’intervention de la police. Puis quand celle-ci repart, les exilé·es reviennent vers leur lieu de campement. Néanmoins, ces “expulsions partielles”, plus axées sur une violence psychologique, ne sont pas anodines.Car elles servent une forme d’intimidation, et en réalité, cachent le fait qu’il y a toujours des affaires d’exilé·es qui sont confisquées et des violences policières qui persistent envers les exilé·es, les associations et les journalistes, souvent empêchés de faire leur travail.

Afin de faire face et d’apporter de l’aide aux exilé·es qui vivent dans les conditions d’extrême précarité que nous avons énumérées, un collectif de citoyen·nes occupe depuis plusieurs jours des bâtiments abandonnés de la ville. Ce vendredi 11 février, l’État français consolide son délire répressif et envoie un hélicoptère avec des agents du Raid pour évacuer les occupant·es.

 

 







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