Pour les Jardins d’Aubervilliers, une victoire juridique qui rend honneur à la lutte sur le terrain

Dans un nouveau coup de théâtre juridique, ce jeudi 10 février, la Cour Administrative d’Appel de Paris (CAA) a donné raison aux activistes du Collectif de Défense des Jardins des Vertus d’Aubervilliers : le recours qu’iels avaient mené contre le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUi) a été retenu. L’intercommunalité Plaine Commune, présidée par Mathieu Hanotin, également maire de Saint-Denis, sera obligée d’« engager la procédure de modification du PLUi en ce qu’il classe en zone urbaine une partie […] des Jardins des Vertus excédant les zones strictement nécessaires à l’implantation de la gare du Grand Paris Express et de la piscine olympique ». Plaine Commune a quatre mois pour opérer le changement.

Le Collectif de défense des Jardins se réjouit de ce résultat et rappelle que la modification du PLUi permettant d’urbaniser les Jardins avait été opérée sans consultation et en contradiction avec d’autres documents-cadre, dont le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF). Sur cette modification du PLUi se base, légalement, la possibilité de construire sur l’emprise des Jardins. Avec la décision rendue jeudi, la CAA protège donc la partie restante des Jardins des Vertus, après que la zone occupée des Jardins à Défendre ait été expulsée le 2 septembre dernier et entièrement rasée.

La destruction des jardins, suite à l’expulsion de la JAD @Giovanni Simone

Concrètement, le sort des travaux de la piscine olympique n’est pas certain. Bastien Lachaud, député La France Insoumise (LFI) du 93, prône dans un communiqué de presse publié sur les réseaux sociaux l’arrêt des travaux dans l’attente de la modification du PLUi. Il considère aussi que le solarium et l’espace fitness liés à la piscine d’entraînement olympique ne sont pas strictement nécessaires pour son opérativité et que le projet de piscine serait donc à revoir. Le solarium constitue depuis le début l’objet de la discorde, étant la partie du projet de piscine qui impacte les Jardins, et en même temps celle qui garantira le profit des gérants une fois que la piscine sera utilisée par le public après les JO. Un nouveau retard dans la construction de la piscine, dont la livraison est prévue pour janvier 2024, pourrait impliquer le retrait de la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (Solideo) du financement du chantier. Une perte de 10 millions d’euros pour une piscine qui en coûte 34 au total, sans compter les probables coûts supplémentaires.

Une lutte de terrain difficile à déraciner

De leur côté, les militant·es en défense des Jardins appellent aussi à la suspension des travaux, mais ne se font pas d’illusion sur la volonté des décideur·ses publics de « tenter coûte que coûte de faire valoir la nécessité des équipements nautiques et de transport. […] Dans ce cas, les 4000 m2 d’ores et déjà menacés resteraient urbanisables et constructibles. » Dès jeudi soir, le collectif a appelé à un rassemblement pour 6h15 le lendemain 11 février afin de notifier la décision de justice aux travailleurs de Plaine Commune engagés sur le chantier. La réponse policière ne s’est pas fait attendre, et une militante historique des Jardins a été interpellée et placée en garde à vue jusqu’à la fin de l’après-midi, sur la foi d’un article du Parisien (maintenant modifié) qui laissait entendre qu’elle était organisatrice du rassemblement. Le pouvoir de la presse, des fois…

Le collectif n’a jamais arrêté les actions directes contre le déroulement des travaux, malgré la destruction des jardins et la fin d’une occupation qui avait tenu six mois sur les Jardins à Défendre (JAD). À partir de décembre, les blocages de chantiers se sont répétés plusieurs fois, dans un crescendo tactique : après des actions qui se limitaient à empêcher l’accès aux travailleurs et aux machines, jeudi 3 février, une trentaine de militant·es sont entré·es dans le chantier et une partie d’entre elleux s’est enchaînée à la centrale à béton. Grâce aux actions répétées, les ouvriers connaissaient déjà certain·es activistes et tout s’est déroulé dans le calme. Certains ouvriers ont même lâché : « Moi je suis d’accord avec vous, je suis pour la verdure aussi… Mais il faut bien gagner sa vie. »

L’action de blocage de la centrale à béton du 3 février. @JardinsAuber

La résistance acharnée des militant·es s’explique par la quantité de menaces qui pèsent sur les Jardins : si le demi-hectare de la JAD est déjà perdu, d’autres projets intéressent la zone du Fort et vont modifier, réduire et détruire les parcelles des Jardins Ouvriers. L’éco-quartier prévu dans le Fort même a besoin d’infrastructures et de loisirs pour se rendre économiquement rentable : en plus de la piscine olympique, voici donc la gare de la ligne 15 du métro Grand Paris Express, accompagnée de projets d’hôtels et bureaux encore à l’état d’idéation. La justice protège donc les six hectares et demi de Jardins qui survivent encore, mais les activistes resteront sans doute en veille. Comme l’écrit la chercheuse Flaminia Paddeu sur Twitter : « Si les jardinier·es et militant·es n’étaient pas là, rien ne se passerait » mais « au final, la stratégie du béton reste de le faire couler et de se dire qu’on y inféodera la loi après, quoi qu’il arrive ». Un risque que les militant·es veulent éviter à tout prix. Selon les mots d’une activiste qui souhaite rester anonyme : « On pourrait estimer que le jugement ait tenu en compte aussi la détermination des personnes qui ont continué à défendre les Jardins. Ils parlent de ‘valeur’ des jardins et c’est possible qu’ils pensent aussi à la résistance de ces personnes qui agissent malgré la perte de la JAD. ». L’action des membres du collectif a donc plusieurs effets : au-delà de l’objectif direct de bloquer le chantier « ça permet une discussion politique qui n’aurait sûrement pas lieu autrement, et ça a un effet sur les décideurs : on a parlé au téléphone avec la maire d’Aubervilliers hier et finalement on aura un rendez-vous avec elle ». Un inédit, malgré deux ans de lutte.

Une réponse institutionnelle répressive

Face à la ténacité démontrée par les opposant·es, la réponse des institutions a été jusqu’à maintenant répressive. Les élu·es de droite et de gauche interpellé·es par les activistes ont choisi d’ignorer autant que possible leurs plaidoiries, et d’envoyer en avant les bulldozers et la police. Lors de l’action de blocage de jeudi dernier, ce sont huit personnes qui ont été interpellées et mises en garde à vue. Elles seront jugées le 2 septembre, un an exactement après la destruction de la JAD, pour avoir bloqué la centrale à béton. Parmi elles, Jade Lindgaard, journaliste, qui a annoncé dans un billet de blog avoir participé à l’action dans un rôle de contact avec la police et les ouvriers. Sans doute à cause de ce rôle, elle a été interpellée en tant qu’ « organisatrice » de l’action, alors que le collectif se revendique d’un fonctionnement horizontal. Elle était présente lors de l’interpellation de la jardinière de vendredi matin : « Pour moi, ça, c’est de l’intimidation. Ils savaient très bien qui elle était quand elle est arrivée, et ils ont voulu l’embarquer même si elle a dit à plusieurs reprises que ce n’était pas une manifestation, qu’on voulait simplement remettre le jugement dans les mains du chef de chantier. Ils ont fait ça alors qu’on était très peu nombreux·ses, et une fois qu’elle a été embarquée, ils ont même envoyé une camionnette pleine de policiers, clairement pour faire peur ».

Les activist.es en discussion avec les ouvriers. @JardinsAuber

Le message est très clair : toute action de dérangement des chantiers en cours, pour illégaux qu’ils puissent être, risque d’encourir dans des graves sanctions. Encore une fois, c’est sur le terrain que les militant·es essayent d’établir un rapport de force, sans tenir compte des décisions de justice. Tout cela alors que nous vivons une profonde crise écologique, sociale, économique et politique. Les Jeux Olympiques se lancent dans une course effrénée au développement urbain, sans tenir compte ni des accidents de travail, ni de l’opposition populaire, ni des enjeux écologiques. La lutte contre cette machine à profit et à propagande s’annonce longue et dure, mais porte, petit à petit, ses fruits.

Retrouvez le suivi de la lutte des Jardins d’Aubervilliers : https://www.lamule.media/?s=jardins+d%27aubervilliers







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