Grenades GENL – Quand la violence monte d’un cran?

Déjà en 2018, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dans son rapport sur le maintien de l’ordre, et spécifiquement sur les grenades GMD et GLI-F4, alerte le gouvernement que ces “armes de guerre – catégorie A2 ” font trop de blessés. Mais malgré l’accumulation récente de personnes mutilé.e.s à vie, le gouvernement a fait la sourde oreille.

En 2019, encore sur les GMD, Jacques Toubon revient à la charge et « recommande au ministre de l’intérieur (…) d’engager une réflexion approfondie sur la pertinence de la dotation, pour les opérations de maintien de l’ordre, de cette arme susceptible de porter gravement atteinte à l’intégrité physique des personnes touchées et d’exposer les fonctionnaires de police à des risques importants ».

Les grenades du maintien de l’ordre : des armes de guerre

Fin 2019, face au questionnement sociétal sur l’utilisation des grenades GLI-F4, le gouvernement fait un coup de com, et début 2020, officialise le retrait de la GLI-F4, remplacé par la nouvelle grenade GM2L. Les grenades GM2L seront moins dangereuses, affirme-t-il, car elles ne se déclenchent pas par l’intermédiaire d’un élément explosif, comme la TNT, mais plutôt à travers un mélange pyrotechnique, et ne génèrent pas d’éclats vulnérants.

Le sophisme ne dure pas longtemps et rapidement plusieurs journaux démarrent une analyse comparative des deux grenades et arrivent à la même conclusion : la grenade GM2L reste une arme de guerre classée A2 extrêmement violente, potentiellement blessante et peu éloignée de la GLI-F4. Pour illustrer sur la dangerosité de cette arme : en novembre 2019 pour l’anniversaire des Gilets jaunes, le journaliste indépendant Julien Moreau, a été très grièvement blessé au visage après l’explosion d’une grenade GM2L à quelques mètres de lui.

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet – la nouvelle grenade GENL il est important de comprendre certaines caractéristiques de la GMD (Grenade à main de désencerclement, aussi appelée : Dispositif Balistique de Dispersion-DBD ou Dispositif Manuel de Protection-DMP). Une arme de guerre, qui a ces dernières années mutilé et blessé gravement des dizaines de personnes.

Blanc bonnet ou bonnet blanc

Dans les deux suivantes fiches techniques, présentées sur le site maintiendelordre.fr, création du journaliste Maxime Reynié, nous pouvons connaitre toutes les spécificités de la GMD: nombre de projectiles, force cinétique, effet sonore, etc.

Une autre fiche de 2017 réalisée par l’ACAT, au-delà du caractère technique, énumère les principaux risques communs pour l’intégrité physique des personnes touchées par l’explosion:

  • Risque de lésions auditives liées à la déflagration.
  • Risque de blessures liées à l’impact des pavés en caoutchouc, notamment en cas d’impact au visage (risque d’énucléation ou de blessures trauma-crâniennes).
  • Risque d’entailles liées à la projection de pièces métalliques ou en plastique dur composant la grenade (bouchon allumeur en métal et cylindre central en plastique dur).
  • Risque d’amputation de membres liée à la présence de matière explosive.
  • Risque de décès en cas d’explosion à proximité d’une zone vitale.

 

Concernant les grenades GMD et sa successeur la GENL (Grenade à éclats non-létaux), cette fois-ci, le gouvernement semble ne pas vouloir répéter la même erreur, et l’humiliation provoquée par le travail des journalistes sur la GM2L. Sans coup de com, le ministère de l’Intérieur conclut un contrat le 1er mai 2019, pour 4 ans, avec le fabricant ALSETEX : 40 000 grenades d’une valeur de 1 840 000 euros.

Les grenades GENL, seront utilisées pour la première fois (de ce que nous pouvons corroborer, et d’autres journalistes sur le terrain) le 16 juin 2020 à Paris, pour la manifestation des soignants. Nous avons fait une analyse comparative des deux grenades (basée sur leurs fiches techniques) pour comprendre les raisons qui ont amené le gouvernement à commander 40 000 de ces grenades dans le plus grand silence.

S’agit-il là de renforcer la coopération économico-militaire avec ALSETEX ? La GENL serait-elle une grenade plus respectueuse des droits de l’Homme et des libertés citoyennes, comme demandé par le Défenseur des droits ? Serait-elle une arme moins dangereuse, car elle ne génère pas d’éclats dits vulnérants ?

Performances GRENADE GMD GRENADE GENL
Vitesse des plots 125 m/s 95 m/s
Poids des plots 10 grs 10 grs
Effet sonore 145 db à 10 m 144 db à 10 m
Énergie cinétique 80 Joules sur ? m = ? kg 36 Joules à 1 m = 3.6 Kg
Rayon d’efficacité 10 m 5 à 10 m

Nous pouvons facilement constater qu’il n’y a pas de différences majeures entre la grenade GMD et la GENL : l’effet sonore reste au-dessus du seuil de douleur et des dommages à vie pour le tympan, la vitesse de projection des plots souffre d’une petite réduction, mais pas significative, etc. Le point à relever concerne l’énergie cinétique. Cependant, à cause du manque d’information sur ces fiches techniques d’Alsetex, nous ne pouvons pas établir de comparaison entre les Joules/mètres/kilos des deux grenades.

Néanmoins, pour ce qui concerne la GENL, il apparait que recevoir un plot représentant une force cinétique de 3.6 kg à 1m de distance, sur des parties du corps aussi vulnérables que les yeux, la gorge, les testicules, etc,semble pouvoir produire des dégâts comparables aux 80 joules de la GMD (sans doute exprimés sur une large distance). De plus, ces dernières années, plusieurs blessures graves ont été recensées suite à des explosions de GMD survenues à plusieurs mètres de la victime, comme par exemple : l’éborgnement de Dylan lors de l’acte 24 des GJ à Montpellier. Ainsi peut-on considérer qu’à faible ou moyenne distance, les grenades GENL représentent une dangerosité importante bien que leurs plots déploient une énergie cinétique plus réduite que leur semblable.

Décontextualiser l’usage de la grenade

Un autre aspect de cette commande de nouvelles grenades, est que le gouvernement et son associé ALSETEX, élaborent un tour de passe-passe dialectique et signalétique. D’abord, la dénomination de la grenade GENL (Grenade à éclats non-létaux) invite à se focaliser de manière positive sur la question des “éclats” non-létaux, alors que les streetmedics, mais aussi les journalistes confirment que ce sont les plots qui neutralisent et blessent gravement les personnes touchées.

On peut ainsi regretter cette déformation dialectique qui vient remplacer : “grenade de désencerclement” ou “dispositifs de dispersion/protection”, par “grenade à éclats non-létaux”, qui exclut tout interprétation de proportionnalité, de légitimité et de légalité du jet. Les grenades de désencerclement dans le maintien de l’ordre sont censées être utilisées en cas de danger extrême pour les forces de l’ordre et non pour de la gestion de foule. La dénomination de la GENL exclut donc tout contexte d’utilisation pour mettre l’accent sur le côté non-létal de l’armement.

Sur la signalétique, on peut observer que l’autocollant de rappel au règlement (NE PAS JETER – ne pas tirer au-dessus de l’épaule) présent sur la GMD, a disparu sur la GENL. Le plus choquant est, que sur la fiche technique de la GENL une nouvelle signalétique est présente : celle d’une main qui jette la grenade, sans préciser son mode d’emploi.

 

Retranscription agrandie du pictogramme en question (voir ci-dessous)

Outre le fait que le gouvernement néglige ou ignore tous les conseils des autorités défendant les droits de l’Homme et les libertés, autorise-t-il le lancement des nouvelles grenades GENL en cloche ? Les policiers, seront-ils rigoureusement formés à l’utilisation de cette nouvelle grenade et appelés à respecter le règlement ? Le ministre de l’Intérieur, ignorera-t-il les risques d’explosion au niveau de la tête ou d’autres zones vitales ?

Dans la vidéo suivante, nous pouvons constater que quelques policiers ignorent la réglementation et lancent plusieurs grenades GMD “en cloche”… La question est de savoir comment les forces de police vont utiliser les nouvelles grenades GENL, dans un moment où les relations entre la police et la population se dégradent à une vitesse astronomique.

 







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