Dans le nord de l’Ardèche, des manifestant·es empêché·es d’exister lors de la venue de Macron

Les “100 jours d’apaisement” annoncés par Macron pour mettre fin au conflit des retraites auront plutôt ressemblé à une fuite en avant sécuritaire. Partout où il se rendait, le Président était protégé par un dispositif impressionnant. En Ardèche, le 13 juin dernier, la Préfecture a tout fait pour empêcher les opposant.es de manifester.

 

Il était là pour annoncer le retour de la production de paracétamol en France. La visite d’Emmanuel Macron en nord-Ardèche, le mardi 13 juin 2023, a été un succès. Du moins d’un point de vue médiatique : pendant quelques jours, on n’a parlé dans la presse mainstream que de réindustrialisation et de la pénurie de médicaments. Pourtant, dans les coulisses de la visite, s’est jouée une toute autre partie. Une répression pour l’exemple en direction du mouvement social local, muselé et invisibilisé.

À 9 heures du matin, les manifestant·es ont déjà commencé à le comprendre. L’arrivée du Président est prévue aux alentours de 11 heures. Environ 500 gendarmes sont déjà en position autour du laboratoire Aguettant, à Champagne. Ils contrôlent les voitures et les passant·es dans un rayon d’environ 2 kilomètres. Une trentaine de manifestant·es, lève-tôt, sont déjà sur place. À 200 mètres du laboratoire, dans un parking, iels échangent leurs considérations sur le mouvement des retraites qui touche à sa fin en buvant du café. Les présent·es sont impressionné·es. « Il n’y a pas de démocratie, dénonce Julien Petit, secrétaire départemental de la CGT finances publiques. On entend qu’il y ait un dispositif, c’est quand même le Président, mais la quantité de police déployée est ridicule. »

Peu après, les portables des CGTistes commencent à chauffer : les gendarmes empêchent d’autres manifestant·es de s’approcher. Éric Vigouroux, secrétaire départemental de la CGT, est bloqué à un contrôle de voiture. « À l’entrée de Champagne, ils ont vu les drapeaux CGT et ils m’ont bloqué, explique-t-il aux journalistes du Dauphiné Libéré. Le temps de m’expliquer et d’avoir l’autorisation de repartir, c’était trop tard. » Le prétexte ? 9 heures étaient déjà passées, le moment où l’arrêté départemental d’interdiction de la circulation prenait soi-disant effet.

Une heure et demi plus tard, alors que le Président est attendu et en retard, le sous-préfet de Tournon-sur-Rhône François Payebien demande aux manifestant·es face au laboratoire de quitter les lieux. Les syndicalistes et sympathisant·es se consultent, et décident de rester. Une colonne de camion de CRS se détache alors du laboratoire et s’approche du parking. Les manifestant·es cèdent, et sont « invité·es » à s’installer à deux kilomètres de là, à l’entrée de Champagne, où ils retrouvent leurs camarades privé·es d’accès pendant la matinée. L’ambiance est bon enfant, mais quelques minutes plus tard, iels sont à nouveau prié·es de partir. « Veuillez vous écarter de la route », somme un gradé. Quelqu’un lui rétorque qu’il n’y a pas d’interdiction de manifester. « C’est ça, je t’emmène au poste alors, tu vas voir ton arrêté. » Le rapport de force est mis en place, les manifestant·es sont prié·es de bouger… rue du Poulet. L’hilarité est générale et les blagues filent, mais la matraque est du côté des CRS qui ont peu envie de rigoler. Rue du Poulet, c’est un chemin en terre qui marque la fin de la commune de Champagne, et joint la RD86. C’est la limite établie par l’arrêté préfectoral portant interdiction de manifester.

Les gendarmes en position, rue du Poulet.

Seulement, à ce moment là, personne n’en a connaissance. Et pour cause, l’arrêté n’a été publié qu’une heure plus tard, aux alentours de midi, sur le site de la Préfecture. Aucun document officiel ne portait auparavant interdiction de manifester. « C’est une problématique qu’on a beaucoup vue à Paris, après les recours au 49.3, explique Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes. Les préfectures ne publiaient pas les arrêtés d’interdictions de manifester, où elles le faisaient trop tard. » Une stratégie qui vise à empêcher les manifestant·es et les organisateur·ices de faire suspendre les décisions d’interdiction, souvent abusives. « Pourtant, le Conseil d’État a clairement affirmé que les arrêtés doivent être publiés en temps utile, continue le juriste. Pour que les citoyen.nes puissent les contester en justice. » La préfecture fait le pari que les organisateur·ices des manifestations ne porteront pas plainte en cas d’arrêté non publié. Dans tous les cas, le rapport de force sur le terrain est clairement défavorable aux manifestant.es.

Ce 13 juin, les images sont éloquentes. Peu avant le passage de Macron sur la RD86, les gendarmes somment à nouveau les manifestant·es de partir. Celleux qui restent sont entouré.es. Une dizaine de camions se postent aux abords de la route départementale, forment un cordon qui cache la vue du convoi aux manifestant·es… et la vue des manifestant·es au convoi. La trentaine de protestataires restante est entourée par une soixantaine de gendarmes. La nasse dure plus d’une heure, et personne n’est autorisé à sortir. Ce dispositif, prévu dans le Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO), est strictement encadré. Il doit être « nécessaire » en cas de conditions difficiles de maintien de l’ordre, et les sorties du périmètre fermé peuvent être filtrées, mais pas empêchées, sauf cas exceptionnels et pour des périodes très limitées. « On peut estimer que dans ce cas, il y a
eu un usage disproportionné de la nasse », commente Serge Slama.

La Préfecture a utilisé des méthodes contraires aux procédures et donc illégales : par exemple en communiquant sur des arrêtés qui n’ont jamais été publiés. La veille de la venue du président, la Préfecture a communiqué par voie de presse sur le blocage des routes départementales et sur l’autorisation à l’usage des drones pour filmer les manifestant·es. « Ce dispositif doit absolument être encadré par un arrêté de la préfecture, rappelle Serge Slama. C’est archi-clair dans les sentences du Conseil d’État. Autrement, c’est une utilisation illégale. » Ce 13 juin, la Préfecture a pourtant déployé des drones pour filmer les personnes présentes, sans base légale. Le communiqué a servi également des glissements discrets, mais efficaces, du dispositif. Alors qu’il ne mentionnait un blocage des routes qu’à partir de 10h45, Éric Vigouroux a été bloqué à 9 heures, sur la base d’un arrêté préfectoral dont les manifestant·es ne pouvaient avoir connaissance.

On le sait, ce gouvernement est dans le mépris et refuse le dialogue. Mais cette année, un palier semble avoir été franchi. Le maintien de l’ordre n’en est plus un : on empêche tout simplement les gens de se rassembler et d’exprimer leurs opinions, de quelque façon que ce soit. À Champagne, le convoi présidentiel est passé en moins de 30 secondes devant des manifestant.es cerné·es par les gendarmes. À Ardoix, quelques kilomètres plus loin, juste avant la visite de Macron au laboratoire Chamatex, deux manifestants se sont perchés sur un camion et un arbre. « J’étais parfaitement dans mon droit, se plaint Benoît Deschamps, aka Tontonballons, artiste et clown. Ils n’avaient pas de raisons de m’interpeller, et en effet ils m’ont seulement amené au poste pour une vérification d’identité et laissé repartir. Leur but était uniquement de m’empêcher de manifester. »

Benoît Deschamps sur le toit de son camion, devant l’usine Chamatex à Ardoix. Ce manifestant s’en sortira avec un simple contrôle d’identité.

La suspension du droit de manifester sans raison valable fait partie d’une tendance plus générale de l’État français. Ce mouvement des retraites, avec ses centres-villes en état de siège, ses cartons rouges confisqués, ses arrêtés anti-casseroles l’ont encore montré. La violence de la répression policière contre les manifestant.es de Sainte-Soline et lors des révoltes faisant suite au meurtre de Nahel l’ont confirmé. La France est un État policier, qui vire à l’autoritarisme à une vitesse sidérante. Les scènes les plus éclatantes s’accompagnent d’une tendance de fond, une pensée qui implique que monsieur tout le monde n’a aucun mot à dire, sur rien. Toute la République est une rue du Poulet.







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