La “grande cause du quinquennat” à l’épreuve de l’entre deux tours

Une minute et 48 secondes. C’est le temps total pendant lequel la question de l’égalité femmes-hommes aura occupé les deux candidat∙es de l’entre deux tours. Une minute et 48 secondes, dont 1’33 d’éloge du président sortant sur la politique de son gouvernement en matière de lutte contre les féminicides et une quinzaine de secondes sur le port du foulard. Une minute et 48 secondes, sur 2h50 de débat. Voilà qui prouve l’intérêt et la préoccupation des deux potentiel∙les chef∙fes de l’État en ce qui concerne les droits des femmes et des minorités de genre.

Et en même temps, ce constat n’a rien de bien étonnant. Le sujet a été quasiment absent de la campagne présidentielle. Il faut dire que l’extrême droite aura bien imposé ses thèmes dans l’espace public. Sécurité et immigration. Avec ça, on a eu de quoi tenir quelques mois, malgré quelques tentatives vaines d’ouvrir le débat. Écologie ? À peine le temps de traiter le sujet dans sa superficialité. Enseignement ? Malgré quelques mobilisations importantes en fin de quinquennat, nous n’en n’aurons pas entendu parler. Santé ? Mis à part parler du covid, les candidat∙es auront été relativement absent∙es sur la question. Et alors, en ce qui concerne les droits des femmes et des minorités en général… Silence radio.

Macron l’hypocrite

Voir Emmanuel Macron vanter son bilan sur le plateau du débat de l’entre deux tours a de quoi faire grincer des dents. Pas la peine de dresser le bilan déplorable du quinquennat Macron en matière de droits des femmes et des diversités de genre. Oh et puis si, faisons-le (mais rapidement). Par où commencer ? Comment Macron a-t-il mis en œuvre sa « grande cause du quinquennat » ? Tout d’abord, en nommant un homme mis en cause dans des affaires de viol, de harcèlement sexuel et d’abus de confiance ministre de l’Intérieur, un avocat connu pour ses propos misogynes au ministère de la Justice, et une fémonationaliste – le terme fémonationalisme renvoie à un féminisme qui instrumentalise les droits des femmes à des fins nationalistes et identitaires – déléguée à l’égalité femmes-hommes. En plus de l’évidente inutilité de cette dernière, si ce n’est pour servir de faire valoir aux mesures prises par l’exécutif dans les médias et sur les plateaux de télévision, Marlène Schiappa n’est que la représentation des politiques macronistes en matière de droit des personnes sexisées. Des politiques qui, sous couvert de vouloir « défendre les femmes », servent des enjeux bien différents, tantôt sécuritaires, tantôt en matière de « régulation » de l’immigration, encourageant des idéologies racistes. Il suffit de se souvenir de cette phrase qui avait tant fait réagir en juillet 2020. « Lorsqu’un étranger commet des violences sexistes ou sexuelles, il doit cesser d’être accueilli en France. » Non, ce n’était pas Marine Le Pen ou un∙e de ses affidé∙es, mais bien Marlène Schiappa qui lâchait dans le plus grand des calmes ces mots au micro de RMC.

Autre hypocrisie du quinquennat Macron en matière de droits des femmes et des minorités : la loi dite « séparatiste » ? En plus de supprimer l’emploi du point médian dans les documents officiels et administratifs, la loi interdisait aux salarié∙es du privé intervenant dans des entreprises publiques de porter le foulard. Ces cinq dernières années ont ainsi été une véritable surenchère sexiste et islamophobe avec pour effet de contrôler le corps des femmes musulmanes. En août 2020, la chercheuse, sociologue et écrivaine Kaoutar Harchi analysait ces dynamiques dans un texte publié dans la revue Ballast.

« Cet intérêt structurel qui mène les gouvernements de droite et de gauche, dans une perspective conservatrice et nationaliste, à s’accaparer le discours féministe, avec la collaboration volontariste de féministes en poste, « car ils ont quelque chose à gagner ». […] Dénoncer et lutter contre la racialisation des questions sexuelles et la sexualisation de la question raciale — auxquelles Schiappa et Darmanin, comme d’autres avant eux, vont en promettant un grand avenir — implique d’affronter une question centrale : si les femmes racisées sont aptes — car construites ainsi par un ensemble de rapports sociaux — à se voir, à se reconnaître et à éprouver une forme d’empathie envers l’homme non-blanc que le racisme violente et envers la femme blanche que le patriarcat oppresse, qui des membres de ces groupes dominés se reconnaissent en elles ? » – Kaoutar Harchi, « Marlène Schiappa, le néonationalisme et nous », 6 aout 2020, revue Ballast. 

Mais revenons au débat du 19 avril dernier. De quoi peut donc bien être fier Macron ? « La parole s’est libérée, parce qu’on a formé des policiers et des gendarmes. Ce qui était avant de la main courante, maintenant est de la prise de plainte, parce qu’on a formé et investi, parce que les associations ont fait un travail formidable avec nous, parce que nous avons mis en place des numéros 24h sur 24, parce qu’on a justement commencé cette lutte il faut aller au bout. Très fortement. Avec notre police, avec notre justice. »

Quelques précisions pour rafraîchir la mémoire au président candidat. Si le budget alloué à l’égalité femmes-hommes a effectivement augmenté pendant le quinquennat (+40% en 2021 comparé à l’année précédente, +25% en 2022), il n’est pas inutile de rappeler qu’il s’agit du plus petit budget de l’Etat. De plus, celui-ci s’élève à 50,6 millions d’euros. Un chiffre bien loin de ce que préconise un rapport du Haut Conseil à l’Egalité, qui estime à 500 millions d’euros le budget nécessaire à la mise en place de politiques efficaces pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Soit 10 fois plus. Et même plus, puisque la somme consacrée à l’égalité femmes-hommes n’est pas destinée uniquement à la lutte contre les violences. Le constat est unanime : on investit oui, mais pas assez. Quand au numéro d’écoute 24 heures sur 24, Emmanuel Macron aurait peut-être oublié la levée de boucliers qu’avait provoqué l’annonce de la mise en concurrence du 3919. En effet, l’État voulait lancer un appel d’offre pour la gestion de ce numéro, et ainsi potentiellement générer du profit sur ce dispositif dédié à l’écoute et à l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales. Devant les réactions virulentes des association féministes, il a fait demi-tour. Et pour ce qui est de la formation des bleus, elle est majoritairement sur la base du volontariat et reste marginale au sein du corps policier.

Tout le mépris de Macron et son gouvernement en matière de droits des femmes se révèle dans ces quelques secondes. Comment peut-il se féliciter de la prise en charge des victimes par la police et la gendarmerie ? Comment peut-il se vanter, alors que, presque chaque mois, sort un nouvel enregistrement témoignant, au mieux, de l’incapacité des forces de l’ordre à réagir correctement face à une victime, au pire, de la violence perpétrée par ces agents lors de leurs interventions ? Comment peut-il se réjouir, alors que 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, que selon une enquête menée par le collectif Nous Toutes, 66% des répondantes ont jugé avoir déjà subi une « mauvaise prise en charge » lors d’un dépôt de plainte, ou que 20% des victimes de féminicides en 2021 avaient déjà porté plainte ? Comment peut-il s’applaudir, quand sous l’impulsion du mouvement #DoublePeine, des milliers de témoignages ont afflué, décrivant des violences de diverses formes de la part de policier∙ères en charge de prendre des plaintes ? Ah oui, certainement parce que l’enquête commandée par son ministre impliqué dans des affaires de viols a déterminé qu’il n’y avait « pas de dysfonctionnement ». Accablant.

Peut-être est-il fier de l’instauration des vignettes oranges et bleues dans les commissariats pour distinguer les victimes de violences sexistes des autres, au risque de les stigmatiser d’autant plus. Non Monsieur Macron, on ne va pas vous applaudir pour ça.

Le Pen l’usurpatrice

« L’islamisme est une idéologie qui s’attaque à l’égalité homme femmes. » Cette phrase de quelques secondes à peine résume entièrement le point de vue de la candidate d’extrême droite sur la question de l’égalité femmes-hommes. Bizarrement, la thématique ne lui importe que quand il s’agit d’appuyer des positions racistes, xénophobes et islamophobes. Et au risque d’enfoncer une porte ouverte, rien de bien étonnant à ça puisque le Rassemblement National et sa dirigeante sont profondément misogynes. Une étiquette dont elle a essayé de se défaire au cours de la campagne, dans une optique d’opposition à Eric Zemmour. Mais là encore, à gauche personne n’est dupe quand elle essaye de faire valoir le fait d’être une femme, d’insister sur la possibilité pour la France d’élire la première présidente de son histoire.

En plus d’instrumentaliser la lutte féministe à des fins racistes, Marine Le Pen est aussi clairement opposée aux avancées du droit des femmes en France et ailleurs. À la lecture de son programme, difficile de ne pas remarquer qu’aucune de ses propositions ne s’inscrit dans une volonté d’agir ne serait-ce que pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Alors inutile de préciser qu’en ce qui concerne les droits des minorités, il n’y a pas grand-chose à espérer. La candidate, en plus d’être complètement opposée à la PMA pour toustes est très ambigüe sur la question de l’avortement. Elle n’a pas voté la proposition de loi qui devait renforcer le droit à l’IVG en allongeant le délai de recours notamment. À croire que ses nombreuses déclarations condamnant les « avortements de confort » – qui, à titre de rappel, n’existent que dans les fantasmes de certain∙es réactionnaires conservateur∙ices – cachent une position anti-IVG difficile à assumer pour la responsable politique désormais bien insérée dans le paysage politique français.

Un débat fort de symboles

Outre le temps ridiculement réduit consacré à ces questions des droits des femmes, on peut soulever un autre problème. Le sujet intervient lorsque les deux candidat∙es s’expriment sur le volet « sécurité ». On retrouve donc la question des féminicides noyée entre les vols d’engrais à la campagne, les violences supposées commises par les immigrés, la peur des citoyen∙nes qu’on leur saute sur la tête, où les pensées aux forces de l’ordre qui ne supportent plus le mépris de la population à leur égard. Bon. Les violences intrafamiliales ne sont pas de « simples » violences. En effet, au contraire des autres violences, elles touchent à la sphère privée, sphère où s’exerce encore aujourd’hui particulièrement l’oppression patriarcale. Ce n’est donc pas avec des mesures sécuritaires que l’on pourra résoudre la question des violences au sein du foyer. Les chiffres le prouvent.

Les positions des candidat∙es laissent la part belle et donnent toute la légitimité à des courants féministes intégrés aux institutions, bien souvent universalistes et qui rejettent d’autres minorités de leurs luttes, niant d’autres oppressions et ainsi les répétant. C’est pour cette raison que l’on devrait s’inquiéter du traitement plus que partiel de la question des droits des femmes, et de l’absence de l’évocation des diversités de genre ou sexuelles. Ne pas en parler dans le cadre d’une élection, c’est aussi nier leur existence comme sujet politique de la vie démocratique.

Alors ça y est, cette affligeante campagne présidentielle touche enfin à sa fin, et d’ici quelques heures, nous saurons contre qui nous devrons lutter pour défendre ces droits. Le combat est long mais il n’est jamais vain. Et quels que soient les résultats, la rue sera l’espace des revendications. Parce que les cinq prochaines années ne seront certainement pas de tout repos. Mais les forces se rassemblent et si les urnes n’aident pas, les pavés, eux, sont toujours là.

 







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