“On paie pas !” : un collectif de précaires bataille contre Carrefour

Le siège central de Carrefour, dans la très tranquille ville de Massy, a été secoué dans l’après-midi de ce jeudi 24 mars. Une vingtaine de personnes, armées de cornes de brume, de sifflets et d’autres jouets, a fait irruption, vers 15h, dans le patio du bâtiment. Quelques employé·es étaient en pause au soleil et les deux groupes se sont brièvement mélangés, le temps pour les activistes de tracter pour expliquer les raisons de leur geste. La guerre est déclarée contre le groupe Carrefour depuis une auto-réduction (action qui consiste à entrer dans un magasin, se servir et partir sans payer pour des raisons politiques) pour laquelle deux activist·es ont écopé d’une peine de 38 000 euros d’amende et de réparations à verser à la multinationale française.

Les banderoles sont déployées sous les regards perplexes des employé.es du groupe Carrefour.

Corne de brume, sifflets et lanceurs de confettis dans l’arsenal des militant.es.

RÉQUISITION OU VOL EN RÉUNION ?

C’était le 30 janvier 2021, la France sortait du deuxième confinement. Un groupe d’une soixantaine de personnes avait investi un supermarché Carrefour parisien, rempli des chariots de biens de première nécessité et bloqué les caisses en demandant à sortir sans payer. L’action visait à exposer en même temps les conditions de précarité dans lesquelles une grande partie de la population a sombré après la pandémie, et les méfaits du géant de la distribution. “De l’argent pour les précaires, pas pour les actionnaires” chantaient les présent·es. Après une longue négociation avec le directeur du magasin, ce dernier, face à un blocage qui commençait à coûter cher, a laissé partir le collectif. Deux personnes ont pourtant été contrôlées à la sortie par la police, et “le groupe Carrefour est revenu sur sa parole de ne pas porter plainte et les a poursuivies pour vol en réunion” lit-on dans un communiqué du collectif.

Le groupe Carrefour conteste que dans les courses en question il n’y ait eu que des produits de première nécessité, et lamente la disparition, entre autres, de bouteilles d’alcool et d’appareils hi-fi. Une circonstance niée par les membres du collectif, qui soulignent que “l’avocate et les inculpé·es avaient démontré les incohérences et les mensonges du directeur […] concernant la nature et la quantité des produits récupérés. […] Les militant·es n’avaient pas utilisé la contrainte pour s’emparer du butin“. Le juge, au contraire, a retenu les affirmations de Carrefour et décidé, le 14 octobre 2021, de condamner les deux militant·es. Le collectif a décidé de recourir en appel contre une décision qui “maximise les profits de Carrefour” et dénonce une justice de classe.

Les policiers encerclent rapidement les manifestant.es, au sein du patio de Carrefour.

Les employé.es, déjà derrière une vitre, sont ultérieurement éloigné.es et protégé.es par des barrières.

Le collectif insiste sur les profits sans précédents de Carrefour en 2021 (plus d’un milliard d’euros), alors que les conditions de travail des employés du groupe se précarisent de plus en plus. Le groupe avait, par exemple, mis au chômage partiel 90 000 de ses employé·es (sur un total de 110 000) pendant le premier confinement, alors que ses supermarchés restaient ouverts. Plus généralement, c’est l’inégalité et l’injustice sociale d’un groupe qui accumule les profits et les dividendes pour ses actionnaires, tout en exploitant ses travailleur·ses, qui sont mises en cause. Le jugement du 14 octobre démontre, selon le collectif, qu’en plus “Carrefour n’aime pas partager” avec les plus précaires. Ils et elles revendiquent la légitimité d’actions d’auto-réduction qui permettent une solidarité plus diffuse, tout en s’attaquant à la grande distribution. Un exemple qui a été suivi par plusieurs collectifs en région parisienne en 2021.

UN BLOCAGE FESTIF

Au siège de Carrefour, ce 24 mars, les militant·es se sont contenté·es d’entrer dans le patio du bâtiment. Bloquée par les vigiles rapidement, mais pas assez pour les empêcher de s’introduire dans le bâtiment, la vingtaine de personnes présente à l’action est restée une heure environ dans la cour. Séparé·es des employé·es par une vitre, les militant·es scandaient “Bompard rend les milliards“; “On ne paye pas, même si Bompard veut l’argent nous on paye pas” et “De l’argent pour les caissières, pas pour les actionnaires”, se référant au PDG du groupe Carrefour, Alexandre Bompard. Le collectif demandait en effet à être reçu par le multi-millionnaire, ancien directeur de Canal+, d’Europe 1, et de la FNAC.

Dernières négociations avant la sortie.

Les passant.es sont informé.es de la situation.

Les employé·es présent·es étaient pour certain·es presque amusé·es par l’action. Hors du bâtiment, des militant·es expliquaient aux passant·es les raisons de l’action et distribuaient des tracts. Un groupe d’employées, une fois entendu le pitch expliquant le blocage, a engagé une discussion entre elles. “Ah ça ne se fait pas de porter plainte pour une action comme ça!” s’écriait l’une, tandis que sa collègue réagissait : “Non mais t’imagines ? On va tous avec nos chariots et on sort sans payer“. Les employé·es ont été évacué·es du bâtiment, par crainte d’une action plus intense. La même crainte préoccupait les forces de l’ordre, lesquelles n’ont pas tardé à arriver, gazeuse à la main, sur la scène du délit. Cela avant de se détendre, face à un groupe de militant·es qui n’affichaient manifestement pas d’intentions belliqueuses. La négociation a alors démarré avec un gradé de la préfecture, et les militant·es ont finalement abandonné le bâtiment, après avoir reçu le contact d’un dirigeant de Carrefour qui accepterait de leur parler.

La “semaine d’actions contre Carrefour” s’approche de la fin, après plusieurs rendez-vous de tractages, de blocages de magasins et cette descente au siège du groupe. Une action “réussie” selon les membres du collectif, qui espèrent encore ne pas devoir payer les amendes, mais surtout sensibiliser le public au bien-fondé de l’auto-réduction de janvier dernier. Sur la route du retour, un petit Carrefour Market à été visé par une dernière action de tractage, à banderole déployée devant l’entrée.

Le blocage du Carrefour Market n’a duré que quelques minutes, suffisantes pour tracter à l’intérieur et devant le magasin.

Des militant.es discutent avec des employés du Carrefour Market.







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