De l’analyse des parrainages présidentiels en Languedoc-Roussillon

La course aux parrainages a pris fin la semaine dernière et permis de resserrer les candidatures aux élections présidentielles autour de douze noms : Arthaud, Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo, Jadot, Macron, Pécresse, Le Pen, Zemmour, Lassalle, et Dupont-Aignan. Cette année, la séquence aura été haletante et très médiatisée par de nombreux·ses candidat·es ému·es de voir leurs soutiens ne progresser que très lentement. Et même décisive puisqu’elle aura vu la mise au ban de figures politiques emblématiques telles que Christiane Taubira ou Florian Philippot.

L’accord de 13 427 parrainages en France est révélateur des ancrages territoriaux de certains partis et de logiques d’appareil locales, mais aussi de l’impact de petits candidats parvenant à se distinguer loin des feux de la rampe médiatique. Les 2098 parrainages reçus par le candidat Macron témoignent de la captation de larges parts de la droite et de la gauche par la majorité présidentielle, mais aussi du soutien du centre. La candidate Hidalgo, dont la dynamique de campagne promet une implosion téléguidée au mois d’avril, a pu bénéficier de plus de 1400 parrainages d’un parti socialiste en déliquescence sur le plan de la représentation nationale, mais encore fermement implanté dans les collectivités locales (Hamon en avait toutefois recueilli plus de 2000 en 2017). Mis en balance, les plus de 2600 parrainages de Pécresse témoignent d’une semblable résistance, aussi bien à droite qu’à gauche, face à la métamorphose du champ politique (Fillon en avait recueilli plus de 3600).

Mélenchon, avec ses 906 parrainages, semble avoir tiré son épingle du jeu de cette séquence où l’on a beaucoup entendu les Insoumis·es s’émouvoir d’une possible censure démocratique. Éric Zemmour de son côté est parvenu à mobiliser 741 parrainages en dépit d’un programme et de propos toujours plus fascisants. Jadot le talonne à peine avec 726 signatures. Marine Le Pen, malgré l’implantation effective du Rassemblement national à différentes échelles territoriales, a sans doute vu certains de ses potentiels parrainages partir vers ce candidat plus extrême en apparence, puisqu’elle ne termine qu’avec 622 soutiens malgré une certaine dynamique pour le RN depuis les dernières élections présidentielles (627 en 2017). Elle est juste derrière Fabien Roussel (626), qui pour sa part, bénéficie du réseau d’un parti communiste encore vivace aux échelons locaux.

La Mule a parcouru attentivement les parrainages attribués dans l’ancien Languedoc-Roussillon, où 564 élu·es ont accordé un parrainage à un ou une candidate. Sans surprise, les résultats reflètent l’écrasante baronnie socialiste historiquement constituée dans la région : avec 158 parrainages obtenus, Anne Hidalgo devance de très loin ses poursuivant·es. On trouve ensuite dans l’ordre Valérie Pécresse et Jean-Luc Mélenchon ex-aequo (53), et Emmanuel Macron (51), puis Fabien Roussel (47), Marine Le Pen (34), Philippe Poutou (33), Yannick Jadot (30), Jean Lassalle (29), François Asselineau (17), Nicolas Dupont-Aignan (15). 14 élu·es ont choisi de parrainer le candidat néofasciste Éric Zemmour. Viennent enfin Nathalie Arthaud et Anasse Kazib (11). Et Christiane Taubira (8).

Ces résultats à l’échelle du Languedoc-Roussillon peuvent être décomposés par départements. On les voit alors, en entrant dans les détails, refléter les différentes dynamiques territoriales à l’œuvre. Pour rappel, ce sont les maires ou maires délégué·es, les conseiller·es régionaux et départementaux, et les parlementaires nationaux et européen·nes, qui peuvent donner leurs parrainages à un·e candidat·e à l’élection présidentielle. Ces effectifs représentaient environ 47 000 élu·es en 2017. Moins d’un tiers d’entre elles et eux ont accordé un parrainage pour l’élection présidentielle en 2022. Les chiffres et données qui en sont issues peuvent être mises en lumière de différentes manières, mais ne constituent aucunement l’image du comportement électoral des Languedocien·nes pour 2022. Ils sont bien plus, l’expression d’un état de fait politique. Plongée locale dans la grande machine républicaine du parrainage, reflet d’un monde politique en décomposition et recomposition permanentes.

Hidalgo loin devant (158)

Sans surprise, Anne Hidalgo, promise à une débâcle historique, a bénéficié de la ferme implantation locale du parti socialiste à toutes échelles. Avec 55 soutiens, elle capte plus d’un tiers des 139 parrainages attribués par les élu·es héraultais·es et reflète la diversité des échelons territoriaux investis par le PS. Parmi les signataires, d’emblématiques figures politiques locales telles que Kléber Mesquida, président du Département de l’Hérault, Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de sa métropole, Hussein Bourgi, sénateur socialiste, ou encore Patrice Canayer, entraîneur du Montpellier Handball (partenaire de la métropole, de la région et du département socialistes) et par ailleurs conseiller régional, dans la majorité socialiste. On trouve aussi bien dans les soutiens d’Hidalgo des maires de l’arrière-pays que des communes de la métropole montpelliéraine, comme Jacou ou Clapiers. On compte également de nombreux et nombreuses conseiller·es départementaux, où le PS héraultais a pris 24 sièges sur 50. Tel est le système.

Dans l’Aude, c’est un même raz-de-marée pour la candidate socialiste qui obtient 58 parrainages sur 152 attribués, bénéficiant de l’apport de 23 élu·es des conseils départemental et régional. Le PS et ses alliés ont littéralement écrasé les dernières élections départementales audoises en remportant 34 sièges sur 38. Nombre de maires dépendent aussi de cette implantation socialiste et la reflètent par l’attribution de leurs parrainages.

Dans le Gard, les résultats sont plus contrastés et reflètent un équilibre plus énergique entre forces de gauche et de droite. Anne Hidalgo y obtient 22 parrainages sur 152, majoritairement tirés des élu·es du PS aux conseils départementaux et régionaux. Même constat dans les Pyrénées-Orientales où la candidate engrange 18 soutiens (sur 78 attribués au total) dont près de la moitié sont issus des mêmes conseils. La socialiste est moins bien représentée en Lozère où elle n’obtient que 5 des 45 parrainages attribués. Si le département est à gauche, les élu·es y sont toutefois moins encarté·es.

À l’échelle du Languedoc-Roussillon, Anne Hidalgo obtient donc 158 parrainages, dont 68 lui ont été offerts par des conseiller·es régionaux et départementaux socialistes ou apparentés, 3 par des députés ou sénateurs, et le reste par des maires en majorité socialistes. C’est presque un tiers de ce qu’il lui fallait pour valider sa candidature. On relève ainsi une logique d’appareil, qui reportée à l’échelle nationale explique le maintien écrasant de la candidature socialiste à travers le système des parrainages. Et ce en dépit d’intentions de vote toujours plus catastrophiques pour la candidate et dont le bon sens retrouve la trace prémonitoire dans les 6% de Benoît Hamon en 2017 et dans le quinquennat Hollande.

Pécresse fait le plein dans le Gard (53)

En Languedoc, c’est dans le Gard que Valérie Pécresse, la candidate des Républicains, enregistre le plus de soutiens. Elle capte en effet 32 des 152 parrainages attribués par des élu·es gardois·es, dont un tiers provient de conseiller·es départementaux, et certains de figures politiques locales telles que le sénateur LR Laurent Burgoa, le maire d’Alès Max Roustan, ou le maire de Nîmes Jean-Paul Fournier. On note aussi le soutien des maires LR ou divers droite de communes moyennes du pourtour nîmois telles que Codognan, Saint-Gilles, Langlade, Lédenon, ou plus loin, de Villeneuve-lès-Avignon. La droite serre les rangs.

Dans les autres départements du Languedoc-Roussillon, Pécresse est moins en vue. Dans l’Hérault, où les Républicains se sont à nouveau fait étriller par le PS aux dernières départementales, Pécresse ne récolte que 7 parrainages, soutenue par les deux conseillères régionales Géraldine d’Ettore et Laurence Magne, ou par les maires LR de Palavas-les-Flots, Christian Jeanjean, et de Castelnau-le-Lez, Frédéric Lafforgue. Elle n’en recueille que 8 dans les Pyrénées-Orientales, où Les Républicains ont fini deuxièmes aux départementales et bons derniers aux régionales avec un seul élu. Dans l’Aude, département le plus clairement à gauche de la région, Pécresse n’obtient que trois parrainages. En Lozère pareillement, mais c’est un peu mieux proportionnellement… Elle y a notamment bénéficié de l’appui du député UDI Pierre Morel-À-L’Huissier.

Globalement, on peut relever là encore une certaine logique d’appareil à travers le parrainage Pécresse et l’implantation de la droite dans la région – dans le Gard, donc, principalement. Sur 53 parrainages, 16 proviennent de conseiller·es départementaux et régionaux et 5 de députés ou sénateurs, le reste de maires LR, divers droite, ou sans étiquette. On constate ainsi un poids majoritaire des maires dans les parrainages que Valérie Pécresse recueille en Languedoc-Roussillon, à l’inverse d’autres partis minoritaires qui capitalisent plus essentiellement sur les conseils régionaux ou départementaux.

Mélenchon des villes et Mélenchon des champs (53)

Les parrainages attribués à Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France Insoumise et de l’Union Populaire, reflètent un double phénomène. D’abord, celui d’une implantation encore très parcellaire auprès des zones urbaines provinciales et dans les conseils départementaux ou régionaux. Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait de gros scores dans l’Hérault à la présidentielle 2017, paie une stratégie insoumise à la peine dans certaines villes importantes. Il faut rappeler par ailleurs qu’il se mesure chez nous à l’hégémonie socialiste. Il ne bénéficie que de sept parrainages dans le département, dont ceux du maire insoumis de Grabels René Revol et de la députée Muriel Ressiguier. Des élus proches du mouvement insoumis donnent leur signature comme le maire de Capestang ou celui de Brissac, et deux maires sans étiquette connue. L’échelon départemental n’est pas très fertile puisqu’une seule conseillère a pu lui attribuer son parrainage, LFI n’étant pas parvenu à débaucher dans les rangs de la gauche traditionnelle. Pourrait mieux faire donc.

Dans le Gard, si l’on retrouve l’absence d’élu·es du conseil départemental ou régional ou de villes moyennes, on peut en revanche constater un large soutien des communes rurales. Mélenchon y recueille les parrainages de 18 petits maires : Mandagout, Saint-Félix-de-Pallières, Saint-Bresson, Montpezat, Saint-Julien-de-la-Nef, Junas… Cette tendance reflète la persistance d’une sensibilité de gauche radicale dans l’arrière-pays, que l’on retrouve aussi dans un large soutien aux candidats d’extrême-gauche (on y reviendra). Mélenchon trouve par ailleurs une certaine approbation dans l’Aude, où 17 élu·es, une nouvelle fois des maires, lui ont apporté leur soutien, dont Jean-Pierre Delord, le maire de Bugarach, le village refuge de la fin du monde en 2012. En Lozère, Mélenchon obtient 4 soutiens, dont celui d’un conseiller départemental PS, Denis Bertrand, et en recueille 7 dans les Pyrénées-Orientales, principalement auprès de maires de petites communes, encore une fois.

Même si l’on trouve des maires héritiers de l’époque du Front de Gauche, la plupart des élu·es qui soutiennent Mélenchon sont non encartés et s’inscrivent sans étiquette ou dans une sensibilité divers gauche, à la tête de communes qui ne dépassent parfois pas la centaine d’habitant·es et vont rarement au delà de mille. Mélenchon semble donc s’appuyer sur une majorité de parrainages sympathisants dans notre région. (On a aussi spotté un maire PCF, mais chut !)

Macron sur sa base (51)

Le président sortant Emmanuel Macron, s’il bénéficie du soutien d’un certain nombre d’élu·es ex-LR ou PS qui connaissent le sens du vent, exprime plutôt dans ses parrainages la difficulté du mouvement macroniste à progresser dans son implantation à l’échelle territoriale durant ce quinquennat. Sur les 13 parrainages obtenus dans l’Hérault, 7 sont issus des députés LREM (Démoulin, Mirallès, Vignal, Dubost, etc.). Le sénateur ex-LR Jean-Pierre Grand a également accordé son soutien à Macron, lequel a aussi pu compter sur les signatures de quelques maires comme François Commeinhes de Sète (ex-LR), récemment condamné pour favoritisme, ou Jean-François Audrin de Saint-Georges-d’Orques (ex-LR également…) qui a rallié le parti Horizons d’Édouard Philippe.

Dans le Gard, le président sortant engrange 14 parrainages, dont ses trois députés LREM et le soutien du député Modem Philippe Berta. Il convainc une dizaine de maires. Dans l’Aude, Macron recueille dix parrainages, dont ses trois députés LREM, six maires de petites communes non encarté·es, et un conseiller départemental, François Mourad, lui aussi affilié à Horizons. En Lozère, seuls deux élus parrainent le président, dont le maire de Mende Laurent Suau, encarté PS, qui s’est expliqué de son choix dans la presse. C’est au final dans les Pyrénées-Orientales qu’Emmanuel Macron recueille proportionnellement le plus de ses parrainages (12 pour 76 attribués dans le département). Il bénéficie du soutien des trois députés LREM Sébastien Cazenove, Romain Grau et Laurence Gayte, mais aussi de l’appui de maires dont le successeur de Jean Castex à la mairie de Prades, Yves Delcor.

On constate donc dans notre région une certaine carence dans l’implantation politique de LREM aux échelles départementale ou régionale, le parti présidentiel s’étant ramassé comme on le sait aux dernières élections. À l’échelle du Languedoc-Roussillon, le modeste soutien par les parrainages au président sortant témoigne d’une forte résistance de notre bonne vieille baronnie socialiste à la désagrégation opérée par la vague macroniste de 2017, même si Emmanuel Macron a pu se féliciter de belles prises dans l’environnement local, comme le député Patrick Vignal, débauché du PS.

Emmanuel Macron n’obtient ainsi que deux parrainages provenant des échelons départemental et régional, mais ceux de dix-sept député·es et d’un sénateur, pour un total de 51 parrainages (plus d’un tiers, donc). C’est logiquement la plus forte proportion de parlementaires ayant accordé leur soutien à un ou une candidate en Languedoc-Roussillon, et qui résulte du hold-up politique de 2017, terreau fondamental du mouvement macroniste. Il faut toutefois relever que les parrainages de Macron proviennent aussi de maires. Quand on regarde plus en détail, certains ont assurément rejoint le camp de la majorité présidentielle en 2017 ou depuis, d’autres sont membres d’un autre parti comme le Modem ou le PS. Enfin, un nombre non négligeable correspond à des maires sans étiquette connue, pour lesquel·les on envisage donc un parrainage sympathisant.

L’extrême-droite sur ses positions

Avec Marine Le Pen et Éric Zemmour, l’extrême-droite récolterait près de 30% des intentions de vote aux présidentielles selon les sondages… (voir cependant par ici notre récent dossier sur les sondages). Pourtant, ces deux candidat·es n’ont cessé de se plaindre de la difficulté d’obtenir leurs parrainages. Dans la région, malgré une solide implantation territoriale dans certains secteurs (Pyrénées-Orientales, Biterrois, Gard), Marine Le Pen, avec 34 parrainages, mobilise à peine plus que Philippe Poutou (on y reviendra, oui).

Dans l’Hérault, reflétant la pérennisation de l’implantation politique du RN, Marine Le Pen est en deuxième position et recueille 14 parrainages, à différentes échelles territoriales : dix conseillers départementaux ou régionaux tels que Frédéric Bort (ancien directeur de cabinet de Georges Frêche), la députée Emmanuelle Ménard ou son mari le maire de Béziers Robert Ménard. Dans le Gard, Le Pen engrange 8 parrainages, dont 6 provenant des conseils départemental ou régional, où l’on retrouve Flavie Collard, la fille de Gilbert ; mais aussi du député RN Nicolas Meizonnet ou du maire RN de Beaucaire, Julien Sanchez. Aux dernières élections, le RN a obtenu cinq sièges régionaux et deux sièges départementaux dans le Gard. Marine Le Pen fait presque autant dans les Pyrénées-Orientales avec 7 parrainages, dont un lui provient de son ex-compagnon Louis Aliot, maire de Perpignan, un autre du maire de Baixas (“divers droite” mais soutenu par Aliot), encore un autre de la députée RN Catherine Pujol, et le reste de conseiller·es régionaux RN. Le Pen est en revanche plus en mal dans l’Aude et en Lozère, où elle n’obtient respectivement que 3 et 2 parrainages.

Si l’on regarde comment Marine Le Pen obtient ses parrainages dans la région, on constate que sur 34 signatures récoltées, 23 proviennent d’élu·es RN aux conseils départementaux et régional, et reflètent donc les résultats obtenus aux dernières élections de 2021. Trois parrainages ont été accordés par des députés RN, ou apparentée. Cela signifie que seuls 9 parrainages offerts à Marine Le Pen dans la région Languedoc-Roussillon l’ont été par des maires. Parmi ceux-ci : trois maires sans étiquette ; Robert Ménard ; l’un de ses anciens adjoints devenu maire de Cers ; et quatre maires RN ou apparentés.

De son côté, le primo-candidat Éric Zemmour, porté par son seul mouvement et sa surmédiatisation, totalise 14 parrainages dans la région. Ils lui ont été envoyés par les maires d’Arboussols, de Pia, de Prugnanes, ou de Réal, dans les Pyrénées-Orientales ; de Lajo en Lozère ; de Fonters-du-Razès dans l’Aude ; de Saint-Bonnet-du-Gard, et de Marguerittes, dans le Gard ; et enfin, dans l’Hérault, de Cazevieille, de Lieuran-les-Béziers, de Servian, de Popian, et par Jean-Louis Respaud et Marie-Emmanuelle Camous de la liste départementale “Défendre l’Hérault” soutenue par Robert Ménard. On trouve par ailleurs parmi ces maires : des sans étiquette et des divers droite, mais aussi le premier vice-président de l’agglomération de Béziers ou encore un ex-RN… On apprend aussi que le maire de Pia, un ex-RN ayant rejoint LR, avait choisi de consulter ses administrés et que son parrainage découle donc de leur vote.

Jadot largué (30)

Très surprenant (?) est le faible nombre de parrainages recueillis par Yannick Jadot (30) alors qu’EELV pourrait donner l’apparence d’un parti mieux implanté que d’autres dans la région. En terme de parrainages, Jadot finit derrière Le Pen, mais surtout derrière Poutou, qui ne compte tout de même pas sur la même puissance d’appareil ! (on y arrive, promis). Dans l’Hérault, le candidat écolo ne fait que 8 parrainages, répartis équitablement entre conseiller·es départementaux ou régionaux (Jacqueline Markovic, Rachid El-Moudden, Sébastien Cristol et Zina Bourguet) et maires des communes de Valflaunès, Murviel-lès-Montpellier, Lunel-Viel et Prades-le-Lez. Dans le Gard, Jadot fait 6 parrainages et bénéficie du coup de pouce de la députée Agir Ensemble (majorité présidentielle) Annie Chapelier et de trois conseiller·es départementaux et régionaux écolos. Dans l’Aude, il en récolte 9, dont les deux tiers sont issus du département et de la région ; dans les PO, 6 parrainages dont la moitié proviennent des mêmes assemblées. En Lozère, il n’en recueille qu’un seul.

En dépit de cette difficulté écolo en Languedoc-Roussillon, Jadot a bouclé tant bien que mal sa collecte à l’échelle nationale, avec 726 signatures. Lors de son meeting à Montpellier, sur la place de la Comédie, malgré d’imposantes bannières à son effigie, le candidat d’EELV ne parvenait qu’à réunir une maigre foule. Reflet d’un parti écolo qui, localement, a peut-être encore du mal à se remettre de sa cinglante implosion lors des dernières municipales sur le Clapas, et qui nationalement, a eu du mal à transposer sa montée en puissance électorale sur le chemin présidentiel.

L’extrême-gauche performe dans les territoires ruraux

Nous y voilà. C’est la grande surprise de cette analyse des parrainages en Languedoc-Roussillon. Les candidat·es de l’extrême-gauche obtiennent 102 signatures, soit près d’un cinquième du total. Aussi, si on fusionnait l’extrême-gauche (haha), elle représenterait la deuxième force politique glaneuse de parrainages dans la région, après Anne Hidalgo. Cette performance se constate principalement dans les territoires ruraux, qui reflètent certaines diversités et disparités dans leurs choix. Ainsi dans l’Hérault, les communistes n’obtiennent que six parrainages pour Fabien Roussel (oui, nous avons fait le choix de le classer à l’extrême-gauche), dont quatre provenant de conseillers départementaux ou régionaux ; Philippe Poutou n’en fait que trois ; Nathalie Arthaud, pas un seul. Mention spéciale au maire de Fraisse-sur-Agout, Jim Ronez, qui est le seul à avoir offert son parrainage au très peu médiatisé candidat de Révolution Permanente, Anasse Kazib.

Dans le Gard, les petit·es candidat·es font un peu mieux : Kazib glane trois parrainages, Arthaud en fait cinq, tout comme Poutou, principalement dans de petits villages. Ce sont les communistes qui sont les mieux représenté·es avec 20 parrainages accordés à Fabien Roussel, et provenant du socle d’élu·es communistes toujours en fonction dans le département : cinq étaient membres des conseils départementaux ou régionaux, et les autres, maires de petites communes rurales comme La Grand Combe, Saint-Julien-les-Rosiers, Saint-Jean-du-Pin ou Sauveterre. Dans les Pyrénées-Orientales, les parrainages de l’extrême-gauche sont là aussi un peu ramassés : 4 petites communes pour Poutou, 1 pour Arthaud, rien pour Kazib. Mais 8 élu·es PCF apportent leur soutien à Fabien Roussel, issus pour les deux tiers des conseils départementaux et régionaux. La France de la planche à charcuterie a donc encore quelques beaux jours devant elle par chez nous.

Mais la dynamique des candidats d’extrême-gauche se retrouve aussi dans les territoires plus ruraux, où ils font bien mieux que dans les plus urbanisés. Dans l’Aude, Arthaud ne fait que deux parrainages, mais Anasse Kazib en obtient six, provenant de toutes petites communes : Plaigne (116 habitant·es), Rieux-en-Val (85 habitant·es) ou Galja-la-Selve (138 habitant·es). Philippe Poutou bénéficie de neuf parrainages dans des communes similaires (Mezerville, Cazalrenoux, Counozols, ou Valgimère). Et c’est autant que Fabien Roussel, qui lui, compte le soutien de deux conseillers départementaux communistes et de la secrétaire départementale du PCF Sylvie Vilas, conseillère régionale.

En Lozère, Roussel (4), Arthaud (3) et Kazib (1) ont un peu de mal, mais là, c’est Poutou qui sur-performe !! Avec douze parrainages sur 45 attribués au total dans le département, il est le candidat qui a obtenu, et de loin, le plus de soutien des élu·es lozérien·nes (plus du double d’Anne Hidalgo !). Philippe Poutou fait notamment le plein auprès de toutes petites communes : Vialas, Chanac, Gabriac, Ventalon-en-Cévennes, Saint-André-de-Lancize… Tout schuss ! Trotski ne tuerait-il finalement pas l’ski ?

Au total, dans notre belle région, Roussel obtient tout de même 47 parrainages, Poutou 33, et Arthaud et Kazib 11 chacun·e. L’interprétation de ces chiffres peut cette fois se faire plus délicate que pour les précédent·es candidat·es. Fabien Roussel bénéficie bien de l’articulation persistante d’un réseau communiste toujours implanté dans la région. Mais les cas de Poutou ou Kazib, qui ne disposent pas vraiment d’un réseau d’élu·es NPA, peuvent eux résulter, au-delà d’une sympathie naturelle pour leurs idées ou leurs personnes, de la campagne que les deux candidats ont, avec plus ou moins de succès, menée pour accélérer leurs récoltes de parrainages. Ils témoignent des efforts que doivent mettre en place les petit·es candidat·es, entre présence médiatique, numérique, et porte-à-porte, pour atteindre les maires potentiellement sensibles à leurs causes. Nathalie Arthaud, si elle ne récolte pas gros sur la région, a quant à elle pu valider sa candidature avec 576 signatures à l’échelle nationale, au fruit d’un intense travail de réseau et de terrain. Et Philippe Poutou, réunir plus de 500 personnes lors de son dernier meeting à Montpellier (prends ça, Yannick !).

Asselineau, Dupont-Aignan, Lassalle, les vieux briscards de nos campagnes

Ils sont bien bien à droite, on les retrouve tous les cinq ans, ils font presque partie des meubles. François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle, les Bee Gees du souverainisme droitier, semblent eux aussi trouver leurs bienfaiteurs dans les bassins de la désertification des campagnes. Le candidat Dupont-Aignan s’est d’ailleurs beaucoup affiché sur ses réseaux sociaux, parcourant les routes de nos contrées à la rencontre de maires dont il espérait le soutien. Bien lui en a pris, puisqu’il a pu réunir 600 parrainages au total. Quant à Jean Lassalle, ce centriste qui tient souvent des propos bizarres pour un centriste, il émarge à 42 de plus.

Sur la région Languedoc-Roussillon, François Asselineau fait en tout 17 parrainages, répartis plutôt équitablement (sauf en Lozère, où il n’en fait aucun) entre des maires de petites communes, mais ne parvient pas à se qualifier à l’échelle nationale (293, mais c’est plus que Taubira). Après un échec en 2012, et une réussite en 2017, il paie peut-être les multiples crises qui ont ébranlé l’UPR ces dernières années, et en filigrane, sa mise en examen pour harcèlement et agressions sexuelles début 2021. Nicolas Dupont-Aignan capitalise 15 parrainages auprès de maires ruraux sympathisants. Mais c’est Jean Lassalle qui domine le trio avec 29 adoubements champêtres dans la région, dont notamment 11 d’entre eux recueillis dans l’Aude, où l’accent se rapproche le plus de celui du Béarn natal du député candidat.

Ces trois candidatures ont logiquement plutôt tendance à refléter le soutien de petits maires de sensibilité de droite, très souvent sans étiquette ou non encartés, dans des régions rurales et agricoles assez isolées, même si certains élus de communes un peu plus grosses et en zones péri-urbaines se distinguent, comme le maire de Baillargues, Jean-Luc Meissonnier, qui a soutenu Jean Lassalle.

Christiane Taubira n’a pu ressusciter

Avec 247 signatures d’élu·es à l’échelle nationale, Christiane Taubira, pourtant forte (ou faible ?) de l’impact médiatique d’une Primaire Populaire taillée comme un soulier de cristal, n’a pu réunir que la moitié des parrainages requis et s’est vue logiquement interdite de concourir lors de ces élections présidentielles 2022. L’ancienne ministre, peu présente dans le paysage politique sous le quinquennat Macron, n’aura pu mobiliser au-delà du plafond de verre de ses sympathisant·es.

Et le moins que l’on puisse dire est qu’on ne l’aura pas beaucoup aidée en Languedoc-Roussillon, puisque l’ex-Garde des Sceaux n’y a recueilli que huit soutiens. Elle plafonne ainsi dans l’Aude et dans le Gard avec trois parrainages pour chaque, et n’en obtient que deux dans l’Hérault. Dans l’Aude, elle est notamment soutenue par l’un des cent conseillers départementaux du PRG, Jean-Luc Durand, ainsi que par Jean-Marc Estrem, maire de La Force, qui ne semblait pas être avec elle pour le coup… En effet, alors qu’il avait annoncé le 18 décembre 2021 son soutien à la candidature de Christiane Taubira, le PRG (dont elle est issue) a finalement fait volte-face le 14 février 2022 en annonçant se « mettre en retrait » de ladite candidature. Les élu·es PRG ayant été laissé·es libres de leur soutien, difficile de dire l’impact qu’a eu cette décision sur la récolte des parrainages de la candidate.

Les enseignements

La lecture des parrainages attribués en Languedoc-Roussillon permet de tirer quelques enseignements généraux. Tout d’abord, on y retrouve sans trop de surprise la coloration à gauche de la région, mais aussi certaines de ses disparités (sensibilités pour la gauche radicale ou la droite souverainiste dans l’arrière-pays, gauche et droite de gouvernement mieux implantées autour des agglomérations…) On constate aussi la progression du Rassemblement National dans certaines zones et son incursion au sein de plusieurs échelons représentatifs au cours de ce quinquennat. Les attributions de parrainages, si elles ne nous apprennent fondamentalement rien de nouveau, ont toutefois d’intéressant le fait qu’elles mobilisent et superposent à un instant T, les différentes couches politiques définies par les dernières élections municipales, départementales, régionales et législatives.

Si ces données ne reflètent évidemment pas le comportement à venir des électeurs et électrices, elles témoignent des implantations politiques des partis et mouvements dans chaque département, et de la facilité (ou de la difficulté) pour ceux-ci d’y récolter des signatures. Elles montrent ainsi l’importance des conseils départementaux et régionaux, permettant une courroie de transmission privilégiée et efficace dans l’attribution des parrainages. On constate la même chose pour les parlementaires dans le cas de LREM. Cette importance semble même avoir été cruciale pour la candidate Le Pen par exemple, dans l’obtention de ses parrainages dans notre région.

À l’inverse, on constate par la même observation, que ces échelons correspondant pleinement à la logique partisane, les candidat·es issues de mouvements plus modestes ou moins implantés, sont obligé·es de déployer de gros moyens pour aller chercher leurs parrainages chez les maires des petites communes, plus indépendants, principalement sans étiquette. On imagine donc la différence d’énergie à déployer dans cet exercice selon les implantations politiques et l’impact médiatique dont bénéficient les candidat·es, et dont les conséquences dans le déroulement des campagnes ont pu être exprimées.

Ce constat met en exergue le principe de délimitation politique résultant de la procédure des parrainages : elle favorise de manière directe les candidat·es issu·es de systèmes partisans implantés, et indirecte ceux qui bénéficient de la plus forte exposition médiatique. Le cas d’Éric Zemmour en est emblématique, puisqu’il parvient à réunir suffisamment de parrainages, en partant d’une implantation politique marginale. En regard, Anasse Kazib, très peu médiatisé, n’a pu parvenir à mobiliser suffisamment de soutiens. L’exception Taubira vient confirmer la règle, en rappelant que l’exposition médiatique peut être à double tranchant et peut ne pas suffire. Outre sa participation à un gouvernement socialiste perçu comme ayant trahi la gauche puis sa quasi-disparition du paysage politique pendant cinq ans, le retour très médiatisé de la candidate à travers la Primaire Populaire a pu être perçu comme de l’opportunisme.

Parrainages obtenus en Languedoc-Roussillon par les candidat·es qualifié·es à l’élection présidentielle

Parrainages obtenus, par sensibilité politique

Des limites évidentes de la présente étude

Certainement, l’analyse des recueils de parrainages présentée par ci-devant ne repose guère sur une méthodologie scientifique, mais beaucoup plus sur une constatation commentée de simples faits. Elle ne partage d’ailleurs avec la science que la vérité des chiffres et des données sur lesquelles elle repose. Elle souffre aussi, à travers ces chiffres et données aveugles, d’être totalement imperméable à une représentation humaine des mécanismes qui conditionnent et nourrissent la participation au fonctionnement républicain en France, ici illustré par l’utilisation (ou non) d’un pouvoir remis entre les mains des élu·es, en préalable à l’accès au Graal de la course à l’échalote politique : l’élection présidentielle.

Cette analyse ne peut donc, et c’est sans doute sa plus importante limite, interroger l’abstention massive (plus des deux tiers) de ces élu·es invoqué·es par la réactivation du corps électoral, mais resté·es sans voix, et les multiples sens qu’emporte ce silence dans le néant d’une élection. Elle ne peut pas non plus se faire l’explication de logiques territoriales plus globales, qui vont au-delà de sa sphère d’étude géographique, localisée. Et elle ne propose pas particulièrement d’avis critique ou de recommandation sur cette manière particulière d’organiser la société.

Elle ne peut par ailleurs que difficilement mettre la main sur tous ces maires sans étiquette qui font le gros de la représentation politique communale, et qui forment les plus fins vaisseaux du corps républicain. Elle ne peut pas déterminer précisément ce qui les pousse à faire un choix ou à ne pas en faire. Elle ne peut pas toujours distinguer les logiques de clan ou de réseau qui peuvent les parcourir, des sentiments de sympathie politique. Elle ne peut faire la différence entre une élue déjà certaine de voir son ou sa candidate obtenir ses 500 parrainages, et un second encore accroché à l’espoir de voir son petit candidat les atteindre, ou une troisième refusant de soutenir le ou la candidate de son parti par différend personnel ou idéologique.

Mais après tout, dans cette histoire de parrainages décidant qui sont les plus dignes à concourir entre des candidatures déjà délimitées par les sondages, ces noms d’élu·es, de communes, de mandat, c’est à peu près tout ce qu’on nous donne, tout ce qu’il nous reste… Tout ce que déglutit finalement le corps républicain, emporté dans sa frénésie médiatico-politique. Et pourtant, à travers ces noms, ce que l’on peut voir, c’est le squelette du monstre politique qui s’agite, cette organisation à la fois simple et complexe qui articule l’État à son spectre représentatif, socle de sa légitimité globale et de la perpétuation de son action.

Ces noms seront les bases d’étude de celles et ceux qui n’auront plus que le lien du souvenir collectif à l’époque perturbée que nous vivons. Ils sont aussi le témoignage d’un système politique et de son fonctionnement. On y voit comment sa délimitation s’opère naturellement à travers le fait d’y faire système de certaines manières seulement, préalablement démarquées, et rendues plus opérantes par le système lui-même. On y constate comment l’hyper-présidentialisation constitutionnelle peut opérer dans des mouvements parallèles et contradictoires avec la masse de la répartition du pouvoir politique. On y ressent la partisanerie des villes et l’anarchie des campagnes.

À l’échelle locale, on peut aussi à travers ces données, voir se dessiner l’essence qui anime certains territoires, lorsqu’on a l’habitude de les fréquenter et de les observer. Ces territoires que nous connaissons bien si nous y sommes né·es ou y avons grandi ou vieilli, mais qui évoluent sans cesse, parfois lentement, parfois beaucoup plus vite, de manière plus complexe, à la fois plus transparente et plus occulte aussi. On peut tenter d’y comprendre la lutte de terrain qui se trame à chaque échéance électorale et d’y cerner l’évolution des personnes humaines et de leurs idées, mais on ne pourra pas y croiser tout ce qui se crée de manière alternative, combative, opposée, occulte aussi d’une certaine manière. On peut y ressentir le poids de l’abstention dans la métamorphose du paysage politique, le poids des appareils partisans pris dans la tempête de la désagrégation politique, et le resserrement des bases idéologiques dans une période de crise et d’accroissement des inégalités. Mais ce ne seront toujours que des signaux, des bouts de matière insaisissables d’un tout-politique dont on ne peut que prendre le pouls, qu’on ne sait jamais vraiment saisir totalement, et qui nous emporte beaucoup plus globalement et sans cesse, vers la destruction et le renouveau.







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