“C’est une guerre fratricide, c’est inimaginable” : Russes et Ukrainien·nes pour la paix

Ce matin, le monde s’est réveillé sous le choc de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine. Lancées dans une sorte de guerre éclair, les forces armées russes ont attaqué par le Nord, le Sud et l’Est, profitant des points d’entrée représentés par la Crimée annexée et les régions séparatistes du Donbass, mais aussi par la Biélorussie de l’allié Loukachenko. Toute la journée, sur des canaux d’information ukrainiens ont afflué les images effarantes de nuées d’hélicoptères de combat, de missiles, d’avions de chasse, alors qu’on apprenait l’avancée au sol de troupes russes en direction de Kiev et la prise ou la destruction de dizaines d’aérodromes et d’équipements militaires. En fin d’après-midi, un aéroport militaire crucial aux portes de la capitale était pris par les Russes, faisant craindre la mise en place d’un pont aérien pour acheminer des centaines de soldats. On dénombrait sur la journée plus d’une centaine de morts du côté ukrainien, et au moins 100 000 personnes ayant fui les combats.

Tout au long de la journée, partout dans le monde, des mobilisations se sont tenues pour dénoncer le recours à la guerre par le régime poutinien. C’était le cas dans de nombreuses villes en France, comme à Paris, où plus de deux mille personnes se sont réunies sur la place de la République, ou encore à Lyon, Caen, Nîmes, Gap, Dijon ou Montpellier.

Devant la Préfecture de l’Hérault, environ deux cents personnes ont répondu à l’appel de la Ligue des droits de l’Homme, de collectifs militants et de partis politiques (de gauche). “L’important, c’était de se réunir ce soir et de lancer un appel pour la paix, contre l’invasion de l’Ukraine, pour le respect des droits humains et du droit international, a introduit Sophie Mazas pour la LDH de l’Hérault. Depuis ce matin, il y a une invasion, une agression militaire en cours. Les populations qui ont déjà fait face à plus de huit années de conflit larvé voient maintenant arriver un conflit ouvert. (…) On est là pour manifester notre solidarité, notre soutien” et demander une solution diplomatique, un cessez-le-feu et la désescalade de la violence.

 

Cet éclatement du conflit fait suite à huit années de guerre larvée autour des régions du Donbass entre la Russie et l’Ukraine, après que la révolution du Maïdan en 2014, chassant un pouvoir pro-russe, ait sonné comme un affront aux oreilles de Poutine. L’interventionnisme de la Russie en Ukraine semble aussi répondre à la stratégie de l’ouverture de l’OTAN vers l’Est de l’Europe et de sa militarisation, vécue par le pouvoir russe comme le retour du containment appliqué lors de la guerre froide contre l’URSS. Toutefois, malgré une tension croissante ces dernières années – qui a pu prendre la forme de l’intervention russe en soutien à Loukachenko en Biélorussie – l’Occident a semblé pris de court par l’éclatement inéluctable de la guerre en Ukraine.

On est venus pour soutenir la paix en Europe et dans le monde entier, lance Paul, Ukrainien et étudiant le droit à Montpellier. Si on est venus, c’est aussi pour protéger l’intégrité territoriale et souveraine de l’Ukraine, car on voit dans ce cas la violation flagrante du droit international public et des frontières ukrainiennes par le régime de Poutine. On remercie tous les Russes au côté des Ukrainiens, c’est important que tout le monde en Russie sorte pour combattre ce régime qui tue des gens partout : en Tchétchénie, en Géorgie, au Kazakhstan, et depuis 2014, en Ukraine. Le peuple ukrainien est martyrisé. Les Nations unies, toutes les nations qui se disent démocratiques, doivent aujourd’hui se mettre du côté de l’Ukraine et infliger des sanctions beaucoup plus efficaces sur le régime de Poutine, pour lui faire comprendre qu’on se battra tous pour notre cause.

Le jeune homme, très remonté, fait référence à une récente allocution de Poutine remettant en cause jusqu’à l’existence de l’État ukrainien. “Aujourd’hui Poutine intervient en Ukraine soi-disant pour protéger les minorités russes, je pense que c’est la même chose qu’Hitler faisait avec la Pologne en 1939. Et ça ne va pas s’arrêter aujourd’hui en Ukraine, ça ira plus loin, vers les pays baltes ou la Pologne.

Nous voulons dire merci aux Français pour leur soutien à l’Ukraine. Nous demandons de ne pas laisser l’Ukraine seule, si on n’arrête pas Poutine, il ne s’arrêtera pas là.” Natalya, la quarantaine, est une Ukrainienne vivant en France, mais dont les deux parents sont toujours au pays, dans la région de Donetsk. “Je les ai eus au téléphone ce matin. Ils m’ont dit de rester en France, que c’était trop dangereux de venir.” Un homme présent à ses côtés et originaire de Moscou, nous explique que l’attaque a été fulgurante : “Ils ont bombardé tous les stockages logistiques, les aéroports et aérodromes importants, tout ce qui était militaire. C’est une attaque précise des positions stratégiques. Même jusque près de la frontière polonaise, il y a eu des bombardements.

Moi je suis russe, poursuit-il. mais j’ai toujours considéré que chaque pays a son droit de choisir, OTAN ou pas OTAN, UE ou pas UE, c’est le droit de l’Ukraine. Je suis pour le respect de la souveraineté de l’Ukraine. La Russie aussi avait le choix de se rapprocher ou non de l’UE et de l’OTAN, mais Poutine a choisi son propre chemin.” De nombreuses personnes Russes étaient mobilisées au côté des Ukrainien·nes aujourd’hui à Montpellier, pour manifester leur soutien et désapprouver largement Poutine.

 

“Je voudrais montrer qu’il y a des Russes qui ne soutiennent pas cette guerre. Ne pensez pas que tous les Russes soutiennent cette action, non, on ne la soutient pas, on est contre. J’espère que cette guerre ne va pas fâcher nos peuples, parce que nous sommes frères et sœurs, on a des histoires très proches, très unies, très amicales, on est des amis, on ne veut pas devenir des ennemis, on veut être ensemble.”

On est là pour dire que les Russes sont aussi contre cette guerre” nous dit, avec beaucoup de détermination, Olga, qui vient de terminer d’écrire “Non à la guerre” sur son panneau. “On n’est pas d’accord avec notre tsar !” glousse ironiquement sa comparse, Natalya. “Je pense que beaucoup de gens seront touchés, et tout d’abord les Ukrainiens ou la population de Crimée ou du Donbass, mais les Russes vont aussi le payer cher économiquement, et puis par les hommes qui seront envoyés à la guerre. Personne ne veut que son fils ou son mari parte à la guerre.” Natalya ajoute : “Ce sont les ambitions de Poutine qui sont en jeu, mais il ne peut pas gagner, il ne peut que perdre, ce sont des trillions de roubles qu’il va falloir investir.” Et de pointer les cours boursiers qui ont chuté de plus de 40% en Russie aujourd’hui.

Les oligarques, oui eux peut-être que ça va les toucher, mais ils ne seront pas les plus lésés… En Russie, tout le monde essaie de survivre au milieu de la crise du Covid, les gens auraient préféré qu’on mette beaucoup d’argent pour la société russe plutôt que de faire la guerre pour vouloir “sauver le monde russe” comme prétend Poutine. Moi j’ai de la famille russe, mais aussi de la famille biélorusse. Chaque matin, je me réveille en me demandant si Poutine est toujours au pouvoir, parce que c’est lui qui a empêché la révolution biélorusse, alors que les Biélorusses étaient complètement prêts à renverser ce pouvoir horrible. Loukachenko, c’est comme le frère de Poutine.

C’est une guerre fratricide, on ne peut pas accepter ça. C’est inimaginable” regrette Dima, étudiant russe en administration à Montpellier. Ses deux amies Katya et Sveta ont chacune un parent ukrainien et l’autre russe : “On ne peut pas imaginer que ce soit possible. J’ai ma famille en Russie, mais je ne peux même pas faire cette distinction là, c’est pas possible. Mais en Russie, c’est très compliqué de protester, ça peut être dangereux pour ta vie de manifester en ce moment. À Pétersbourg, j’ai une copine qui est sortie pour manifester, ça a duré huit minutes et le rassemblement a cessé car ça devenait vraiment dangereux.” Selon l’ONG OVD-Info, au moins 800 personnes ont été interpellées en Russie lors de rassemblements en soutien à la paix ce jeudi 24 février.

Tous trois sont venus avec Nazar, jeune homme originaire de Kiev. “Pour l’instant, le centre de la ville, où se situent mes proches, est plutôt calme par rapport à d’autres fronts. Je regarde les nouvelles toutes les dix minutes.” Pour le jeune homme, quelle que soit la stratégie de l’OTAN vis-à-vis de la Russie, et inversement, il n’est pas nécessaire de choisir la politique de la guerre. “Aucun pays ne peut s’ingérer sur le territoire d’un autre contre sa volonté démocratique.” Et de dénoncer avec amertume et mépris la guerre facile et disproportionnée menée par l’imposante armée russe face à la jeune armée ukrainienne.

Puis, les amis, visiblement très animés par la situation, commentent, les uns après les autres : “Poutine, je pense qu’il n’y a rien qui puisse faire infléchir cet homme là… – Je ne pense pas que l’Occident va aller en guerre… – Si l’Occident y allait, ce serait pire ! La guerre, c’est pas la réponse ! – Des sanctions économiques contre Poutine et ses amis oui, mais pas contre la population… – Si vous commencez la guerre, ce sera une sorte de légitimation des actions de Poutine. Les gens se diront que Poutine avait raison et que l’Occident était prêt à la guerre contre la Russie.

Jude Mas.


Paris

À Paris, plus de 2000 personnes se sont rassemblées place de la République pour s’opposer à l’invasion de l’Ukraine. L‘émotion était forte, et les prises de parole souvent interrompues par des chants de “Poutine, assassin” et “Poutine, terroriste”. Parmi les manifestant·es, d’autres nationalités de l’ex-URSS ont participé en nombre : les drapeaux Géorgiens et Biélorusses étaient nombreux, ainsi que ceux du Parti Socialiste…

Dans la journée, un groupe de manifestant·es s’était déjà réuni devant l’ambassade Russe.

Giovanni Simone.







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