Au Kanaval Antillais, la tradition subversive

Près de 10 000 personnes ont déferlé depuis toute la France métropolitaine (et même depuis les Antilles !) ce samedi 12 février pour participer au Carnaval Antillais de Montpellier. Privé·es d’édition depuis deux ans en raison du Covid, les carnavalier·es avaient manifestement de l’énergie et de la joie de vivre à revendre. Le cortège a mis plus de trois heures à rejoindre le parvis de l’Hôtel de Ville depuis le parc de la Rauze, dans une ambiance de folie furieuse, au rythme des groupes de percussions et des chants des participant·es qui ont “couru le vidé” (vidé est le cortège ou défilé). Des déguisements sur le thème de l’océan aux tenues féminines ou masculines très légères, ce fut un déferlement de corps serrés et agités les uns contre les autres, dans une transe explosive. Le thème de cette édition était : “Sous l’océan… bande de coquins !

Si le Kanaval est une tradition caribéenne séculaire empreinte de subversion et d’histoire, notamment celle de la traite esclavagiste, l’édition de cette année avait une résonance toute contemporaine : de nombreux chants faisaient en effet référence à la crise du Covid et à sa gestion par le gouvernement aux Antilles. On pouvait notamment entendre : “Confiné daprè yo, Di prefet ‘a allé cocké manmanw” ou “Confinés d’après eux, dis à ce préfet là d’aller baiser sa maman“. Des paroles qui reviennent sur la gestion de crise du Covid par le gouvernement à La Martinique et en Guadeloupe, qui a donné lieu à une forte contestation de la population et à des manifestations et des blocages très importants cet hiver, fermement réprimés.

À La Martinique, seuls 44,3% de la population ont un schéma vaccinal complet, 42,8% en Guadeloupe. Alors que le gouvernement a été très critiqué pour la lenteur des moyens mis en place pour lutter contre le Covid aux Antilles, et notamment sur le manque de respirateurs dans les hôpitaux, la population, qui s’est insurgée contre les mesures sanitaires drastiques imposées cet hiver, a tôt fait de découvrir la rapidité avec laquelle on lui a envoyé des milliers de gendarmes pour gérer la situation par la force. Aux Antilles, la population est très marquée par le scandale de la chlordécone (90% des Martiniquais·es et Guadeloupéen·nes présentent des traces dans le sang de cet insecticide utilisé abondamment dans la culture de bananes jusqu’en 1993) et est donc très rétive à la gestion de la question sanitaire par l’État français.

Si le carnaval montpelliérain comportait cette dimension contestataire et subversive, cette dernière n’était toutefois pas omniprésente ni très radicale, pour l’un des participant·es avec qui nous échangeons. Rien à voir avec le carnaval marron qui se tient par exemple à Fort-de-France, avec à la manoeuvre, les “rouge vert noir” (groupes indépendantistes, des couleurs du drapeau martiniquais). La Wif, l’association organisatrice à Montpellier, avait fait les choses dans les règles en faisant aboutir le cortège sur un pré carré réservé aux détenteurs d’un passe vaccinal, sur le parvis de l’hôtel de Ville, où un grand concert s’est tenu. Beaucoup de participant·es se sont ensuite rendu·es à Villeneuve-lès-Maguelone, où un très grand espace sous tentes permettait de poursuivre la fête jusqu’au petit matin. Le carnaval de samedi constituait en outre le climax d’une série d’événements festifs organisés depuis jeudi et réunissant la communauté antillaise de Montpellier, mais aussi venue d’ailleurs.







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