Appel national antipass : l’explosion de la colère à Montpellier

Début janvier, après une manifestation antipass émaillée de quelques échauffourées, un appel était lancé sur les réseaux sociaux à venir manifester ce samedi 12 février à Montpellier, tant contre l’instauration du passe vaccinal ou la vaccination obligatoire des soignant·es, que pour des revendications plus larges telles que le pouvoir d’achat ou le prix de l’essence. Mais on comprenait surtout qu’il s’agissait là de rendre la monnaie de sa pièce à un président qui venait d’étaler ses envies d’emmerder la population non-vaccinée. Un mois plus tard, la colère n’est semble-t-il pas retombée, alors qu’un convoi de la liberté s’est promis de tenter le blocus de la capitale, sur le modèle de celui d’Ottawa, et que des milliers de personnes venues de toute la France ont répondu à l’appel montpelliérain ce même week-end.

Sur la place de la Comédie, dès 14h, les rencontres et les discussions vont bon train, au milieu de joyeux chants gilets jaunes, puis de prises de parole enrichies par l’apport de manifestant·es venues d’ailleurs, changeant de la rengaine très conspi proposée habituellement. Il est un point sur lequel on insiste particulièrement : la nécessaire union entre vacciné·es et non-vacciné·es, contre un ennemi qu’on identifie alors plus directement, le monde de la finance et ses affidés, au premier rang desquels la Macronie dans son ensemble. On parle aussi évidemment de liberté(s), et d’une injuste stigmatisation de la population non vaccinée à travers le passe vaccinal. Dans la foule, de très nombreux Gilets jaunes et quelques dizaines de personnes tout en noir, côtoient une certaine diversité de profils : retraité·es, familles, étudiant·es, soignant·es… Le cortège, composé de plusieurs milliers de personnes, prend son départ un peu avant 15h, et entame la sempiternelle montée vers la Préf’.

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Smells like Gilets jaunes Spirit

On aura rarement vu manifestation exploser aussi vite à Montpellier, si ce n’est lors des actes les plus intenses des Gilets jaunes. Le premier passage sous les fenêtres du préfet Moutouh suffit à déclencher le jet de quelques projectiles sur des forces de l’ordre assez clairsemées, qui vont immédiatement faire l’emploi de gaz lacrymogènes. La foule se précipite sur la rue Foch et est attendue par la Compagnie d’Intervention du préfet devant les grilles du Peyrou, interdisant au cortège l’accès au boulevard du Jeu de Paume.

Comme à la grande époque, des gilets fluo se rapprochent des bleus pour leur parler et les invectiver, se lançant dans de longs monologues passionnés, parfois ponctués par les sourires gênés ou l’agacement des flics. Puis la tension monte et rapidement, des grenades lacrymogènes sont jetées pour disperser la foule. Des bouteilles et des pierres leur répondent immédiatement, dont l’une viendra s’écraser douloureusement sur la main autrice de ces lignes. Merci aux street-medics qui l’ont prise en charge. Finalement, les policiers se replient et laissent le cortège redescendre vers l’Observatoire dans une joyeuse cacophonie. La vitrine d’une agence bancaire est dégradée au passage.

C’était de la colère, partout, tout le temps, mais aussi de l’espoir et de la solidarité, au sein de ce cortège composite qui est resté longtemps massif. Tout le long de l’après-midi, la manifestation s’est faite courbe épidémique, alternant les pics enflammés, où le cortège formait comme un front quasi uni dans sa résistance – marginalement violente et majoritairement pacifique – face à des forces de l’ordre souvent dépassées ou en sous-nombre, puis les moments de dispersion plongés dans la poix lacrymogène recouvrant totalement les places et infiltrant les petites rues. Les manifestant·es s’éclataient alors en petites grappes pour se réunir à nouveau autour de la Préfecture ou sur la place de la Comédie.

Cette dernière s’est fait le théâtre de la majorité des affrontements qui se sont tenus à partir de 17h, jusqu’à la tombée de la nuit. De nombreuses dégradations et feux de poubelles se sont produits sur la place noyée dans le gaz, tenue inlassablement par les manifestant·es. Le moindre face-à-face avec les forces de l’ordre se transforme en jeu de massacre : bouteilles, pierres et pétards contre palets de lacrymo. Notamment lorsque des policiers de la BAC ou de la CDI procèdent à plusieurs interpellations, obligés d’opérer dans le chaos des grenades lacrymogènes lancées par leurs collègues pour les couvrir. Toujours sur le même modèle, les tensions reprendront jusque vers 19h30. Au moins huit personnes seront interpellées sur la journée.

Inefficacité du maintien de l’ordre

C’était l’épreuve du feu pour le nouveau préfet Hugues Moutouh, qui s’est lui-même présenté comme un homme à poigne dans les médias locaux, tout en enchaînant expulsions de squats, de ZAD, ou de bidonvilles. La manifestation de ce samedi 12 février semble pourtant l’avoir pris au dépourvu : les forces de l’ordre se sont trouvées globalement en situation de sous-nombre, et n’ont eu de fait que peu d’influence géospatiale sur un cortège massif, dynamique et mobile, dont nombre de participant·es semblaient avoir une expérience solide de la manifestation sous l’ère macronienne. D’où l’usage massif de gaz lacrymogène pour faire cesser les jets de projectiles, parfois nombreux, et empêcher au maximum le cortège de se reformer et encercler les lignes policières. On a vu des gendarmes mobiles parfois fébriles sur la place de la Comédie, face à une foule intimidante et toujours plus proche. Pour autant, le nombre de personnes formant un bloc anticapitaliste radical dans la manifestation était très loin de ce que l’on a pu connaître lors d’appels nationaux à Montpellier.

Le prédécesseur de M. Moutouh, le préfet Jacques Witkowski, avait lui, une façon toute personnelle de gérer les grandes liesses populaires que sont ces manifestations nationales sous perfusion fluo : des forces de l’ordre très importantes en nombre, permettant de gérer le gros de la foule à la façon d’un bétail, en la mettant en nasse pour de longs moments sous tension, ou en la scindant continuellement. Pendant que des forces plus mobiles se chargeaient d’aller violemment au contact des manifestant·es à l’extérieur, menant des arrestations et pressurisant les groupes qui se reformaient.

Cette stratégie brutale, coûteuse en effectifs et en moyens, avait à plusieurs reprises conduit à l’isolement de cortèges plus modestes dans un certain secteur de l’Écusson ou de la ville, préservant l’activité économique du reste, et répondant à la pression politique émise par les commerçants et certaines figures politiques locales. Mais elle n’avait pas évité que de véritables scènes de chaos se produisent dans le centre-ville de Montpellier lors de grosses mobilisations, ni pu venir à bout d’un mouvement Gilet jaune local très tenace, malgré de très nombreuses personnes blessées ou envoyées au tribunal. Certaines manifestations comme l’acte 64 des Gilets jaunes ou la manifestation de la grève du 5 décembre avaient tourné au carnage pour les manifestant·es. Après les événements d’hier, le maire de Montpellier Michaël Delafosse a condamné les violences et dégradations commises par des manifestant·es, et soutenu les commerçants du centre-ville, sans évidemment, remettre en question la gestion du maintien de l’ordre de cette manifestation.

L’édile aurait pourtant pu s’interroger sur l’origine stratégique de l’abondant usage de gaz lacrymogène partout dans le centre-ville, conduisant effectivement bien des commerces à ranger à la hâte leurs terrasses parfois avec l’aide de manifestant·es, et fermer leurs portes pour mettre à l’abri leurs client·es. Les forces de l’ordre en sous-nombre ont fait un usage quasi systématique du gaz dans les moments de tension, notamment sur la place de la Comédie, qui s’est ré-emplie de nombreux badauds et de familles à chaque accalmie de la manifestation. Les dégradations menées par des “groupes organisés” ont par ailleurs tendance à s’opérer lors des moments de chaos global générés par des gaz abondants ciblant indistinctement la population, ou lorsque le cortège est mu solidairement par sa répression. Rappelons pour finir que le gaz lacrymogène est une arme interdite en terrain de guerre par la convention de Genève, et que sa nocivité et sa toxicité sont établies. Les pouvoirs publics sont responsables de l’exposition répétée et massive au gaz lacrymogène, de la population fréquentant le centre-ville et de celle exerçant son droit à manifester.

Si la violence ne peut souffrir d’aucune complaisance, alors il en est une dont la disproportion ne peut plus être passée sous silence. Le maire Delafosse aurait ainsi pu se demander en quoi un maintien de l’ordre violent et sans objectif de désescalade accroît systématiquement la violence générale (spoiler : il n’y a pas de maintien de l’ordre “humain”). Et s’interroger sur ce qui vient de nos jours mêler ponctuellement la manifestation et l’émeute – notamment à Montpellier – entre la précarisation et la stigmatisation de franges entières de la population par la politique du gouvernement, et sa gestion violemment répressive des luttes sociales et politiques. Sur ce qui conduit aujourd’hui des êtres humains à se sentir continuellement en lutte dès lors que leur droit à vivre décemment et à manifester leurs idées est systématiquement conditionné par un État qui les oppresse. On entend peu le maire, qui se dit homme de gauche, sur ces sujets là. Quand on veut apaiser, on doit déjà comprendre.

Reportage: Clara Maillé, Jude Mas.







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