14 juillet 2021. Dans une énième allocution télévisée depuis le début de la pandémie, Macron annonce la mise en place du pass sanitaire, nécessaire pour accéder aux cafés, restaurants, lieux culturels ou encore transports longue distance. Le samedi suivant cette annonce, plus de 110 000 personnes étaient dans la rue en France pour protester contre cette mesure. Les semaines passent, et les restrictions se multiplient. Pendant que de plus en plus d’obligations vaccinales sont décrétées pour les travailleur∙euses de la santé, puis de la culture et la restauration, les manifs continuent avec une régularité constante. Depuis 6 mois, La Mule suit de près le mouvement montpelliérain. Depuis 6 mois, nous l’avons vu tenter de s’organiser, et nous avons effectué un travail critique des discours employés dans la mobilisation. Depuis 6 mois, nous avons observé ses évolutions, analysé ses travers et constaté ses échecs. Et s’il en est un que l’on peut particulièrement regretter, c’est l’abandon du mouvement, au potentiel politique pourtant important et aux revendications antiautoritaires, par les organisations et militant∙es de gauche.
Le samedi 17 juillet 2021, premier samedi de mobilisation, on dénombrait près de 5500 personnes dans les rues de la ville. Un nombre impressionnant compte tenu du peu de temps qui s’était écoulé depuis l’annonce de la mise en place du pass sanitaire et de l’absence d’organisation. La semaine suivante, plus de 7000 personnes étaient réunies à Montpellier. Le 31 juillet, puis à nouveau le 21 août, la participation grimpe à 10 000 personnes, ce qui n’était pas arrivé depuis 2019 où une manifestation contre la réforme des retraites avait rassemblé 15 000 manifestant∙es. Des chiffres d’autant plus exceptionnels que nous sommes à ce moment-là en plein cœur des vacances d’été, moment habituel de calme pour la vie militante. Alors, on commence à s’interroger sur ce nouveau mouvement social d’ampleur. Sommes-nous à l’aube d’un nouveau mouvement Gilet Jaune ?
Le cortège est très hétérogène. Aux côtés de certain∙es militant∙es de gauche minoritaires, on retrouve aussi quelques nationalistes, mais surtout un nombre impressionnant de primo-manifestant∙es. Dès le début, la gauche est en effet peu présente. Pas facile d’entendre les appels aux forces de l’ordre à rejoindre la manif, de sentir une fierté nationaliste ou de voir des références au fascisme sur des pancartes, c’est vrai. Mais parmi toute cette diversité, il est une chose qui rassemble tous ces militant∙es, une idée simple qui prend la forme d’un cri dans chaque manif : « Liberté ! ».
Non, ces manifestant∙es ne sont pas, à l’origine, des antivax, comme on a pu l’entendre, teinté de condescendance, dans la bouche d’autres militant∙es. Ces manifestant∙es sont avant tout anti-pass. Comment ne pas soutenir la lutte contre une mesure que l’on peut qualifier d’autoritaire, le gouvernement prenant comme prétexte la pandémie pour renforcer son contrôle social et s’enfoncer dans le sécuritarisme ? Cela a été assez répété, le pass sanitaire, c’est faire de chaque individu un contrôleur potentiel. Chacun∙e peut être maintenant chargé∙e de vérifier et d’octroyer ou non le droit à un autre individu d’accéder à un lieu ou un service. Ce sont les prémisses d’une société du contrôle que le pass sanitaire pose. Ce dernier s’inscrit d’ailleurs dans la politique sécuritaire du gouvernement ces dernières années, avec, à titre d’exemple, la loi « Sécurité Globale », qui avait par ailleurs été l’occasion de nombreuses et importantes manifestations à Montpellier.
Il faut reconnaître qu’au-delà de ces discours contestataires, une partie des manifestant∙es est tombée peu à peu dans une forme de complotisme antivax, anti-gouvernement et anti-médias. C’est ce qu’ont exposé les militant∙es de gauche pour ne pas participer à ces rassemblements. Ces arguments sont parfaitement audibles. Seulement pourquoi se contenter de dénoncer ces positions ? Pourquoi ne pas expliquer à ces nouvelleaux acteur∙ices de la lutte sociale pourquoi La Rose Blanche, groupe dont iels collaient les stickers étaient en fait liée à l’extrême droite, pourquoi comparer le pass à l’étoile jaune est antisémite ou pourquoi les discours antivax de plus en plus présents ne sont qu’une accumulation de manipulations de chiffres et de mauvaises interprétations de faits ? Pourquoi refuser de voir le potentiel de ces mobilisations ?
Et que dire de l’absence totale des syndicats ? Pas une seule tentative d’intégrer le mouvement. Pire que cela, ces derniers n’ont pas bougé non plus quand il s’agissait de défendre les travailleur∙ses suspendu∙es et privé∙es de salaires. L’enjeu n’est pourtant pas un débat « pour ou contre le vaccin ? », mais bien de faire opposition à des politiques autoritaires. Au lieu de quoi, la gauche a préféré adhérer à une vision manichéenne du mouvement, composé d’antivax, de complotistes, et de militant∙es d’extrême droite, vision relayée assez largement par les médias.
Plutôt qu’une absence de réaction, la gauche montpelliéraine aurait aussi pu prendre le contre-pied, comme ce fut le cas à Paris, où les manifestations se sont différenciées en se séparant en plusieurs cortèges idéologiques. Les occasions de s’approprier le mouvement n’ont pas manqué, que ce soit pendant l’été, où aucun groupe n’avait encore l’ascendant sur les autres, en août quand l’extrême-droite et la Ligue du Midi ont été chassées des cortèges à plusieurs reprises par des militant∙es antifas, où très récemment, quand la mobilisation a connu un nouveau souffle après les propos emmerdants de Macron et que des heurts ont eu lieu avec les CRS et la CDI34. Mais dès la semaine suivante, toujours presque aucune réaction. Les quelques militant∙es de gauche, présent∙es depuis le début des manifs, tentent toujours d’infléchir le mouvement, sans grand succès.
En refusant d’investir le mouvement et de soutenir ses revendications politiques, la gauche a laissé la place à des discours complotistes et antivax délirants, brandis par des gourous en blouse blanche, qui ont contribué à la décrédibilisation d’un mouvement porteur de revendications légitimes. Elle a permis, faute d’être imposante, à des leader polémistes et des pseudo-médecins de prendre la tête de cortège, laissée vacante. Alors que l’échéance des élections approche, cet échec collectif à faire de ce mouvement social un véritable levier d’action dans la campagne présidentielle peut être préjudiciable. Mais après la mise en place du pass vaccinal, peut-on s’attendre une réaction ? On peut toujours l’espérer.
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