Le monde de l’enseignement entre colère et détresse à Montpellier

Pour la santé des enfants, des parents, des enseignants, même si Blanquer le veut pas, iels étaient là. Impossible de passer à côté dans les médias, ce jeudi 13 janvier marquait une journée de mobilisation dans l’enseignement, en particulier le primaire et le secondaire. Mobilisation « historique » si l’on en croit les syndicats, qui annonçaient à l’avance une grève suivie à 75% dans le primaire et 62% dans le secondaire. Partout, dans les cortèges, sur les réseaux sociaux et probablement même en salle des profs, sous le feu des critiques, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, en prend pour son grade. « Jean-Michel Blanquer, on veut plus bosser pour toi », « tout le monde déteste le ministre », ou encore le désormais classique « Blanquer démission », les slogans visant le ministre se succèdent. Il faut dire que ce dernier a réussi un tour de force : réunir dans la rue les syndicats enseignants de tous bords (CGT, Sud Education, Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des Ecoles et Pegc-FSU, Syndicat National Unitaire de l’Enseignement Professionnel) mais aussi les syndicats de cadres de l’enseignement et de parents d’élèves. Blanquer aurait-il trouvé le secret de la très recherchée « unité nationale » ?

À Montpellier, près de 3000 personnes ont défilé pendant près d’une heure et demie, depuis les grilles du jardin du Peyrou, en passant par le boulevard du jeu de Paume, puis par la rue de la Loge et la préfecture, avant de se disperser devant le rectorat où des délégués syndicaux étaient reçus à 16 heures.

Toustes, qu’iels soient rassemblé∙es sous la bannière d’un syndicat, d’un établissement scolaire ou ne se revendiquant d’aucune organisation ont un point commun. C’est une colère profonde qui les a poussé∙es à battre le pavé, fruit d’un sentiment d’arrogance et de déconsidération à leur égard de la part des dirigeant∙es. Mépris, voilà le mot qui revient le plus souvent.

Une inquiétude généralisée

3 protocoles différents en 6 jours. À l’approche de la rentrée et pour faire face au variant Omicron, le moins que l’on puisse dire est que le ministre est indécis. Et celles et ceux qui font les frais de ses balbuciements, c’est en premier lieu le personnel enseignant. Angélique est enseignante en classe de primaire à Montpellier, et selon elle, ces changements incessants instaurent un climat instable au sein des établissements. « Un jour on nous dit quelque chose, le lendemain on dit l’inverse, c’est insupportable. Je veux bien que le gouvernement soit dans le flou, on est dans une pandémie, et je comprends que ce soit difficile de tout savoir à l’avance, mais il y a des limites. Et puis il n’y a pas que nous, les enfants non plus ne comprennent rien à ce qui se passe quand on change tout le temps. Mais ça, le gouvernement semble s’en foutre. » C’est bien ce qui est reproché aux dirigeant∙es. Hors sol, déconnecté∙es de la réalité, iels s’illustrent depuis le début de la pandémie par l’adoption de mesures qui s’appuient sur une vision faussée du quotidien des français∙ses.

Ainsi, c’est un énième protocole sanitaire qui a provoqué cette mobilisation massive à travers le pays. « Le vrai problème, c’est qu’il n’y a aucune anticipation, déplore Christelle*, ATSEM. On ne peut même pas expliquer aux enfants pourquoi un jour, il doivent se faire tester, pas le lendemain, puis de nouveau. C’est très stressant pour eux. De plus en plus arrivent en pleurant, ils ne veulent plus venir à l’école. »

Ce mal être n’est pas palpable que chez les plus petits. Les collégien∙nes et lycéen∙nes manifestent, elleux aussi, une inquiétude grandissante. Margot doit passer son bac cette année, l’échéance des examens, prévus dans 6 mois, est déjà source d’angoisse pour elle. « Le bac est hyper important pour nous cette année, on nous en parle depuis le collège. On pose des questions aux profs pour essayer de savoir comment ça va se passer, mais on a aucune réponse rassurante. » Cette année, ce sera pourtant la troisième fois que les épreuves auront lieu sous le régime covid. On aurait pu imaginer un peu d’anticipation de la part des administrations.

Et puis il y a les parents d’élèves, tout aussi démuni∙es face à un gouvernement qui fait la girouette. « C’est de l’avenir de nos enfants dont il est question, alors évidemment qu’on est en colère, fulmine Marianne, mère de deux collégiens. Toutes les décisions sont prises sans consultation avec les parents, les enfants, ou le personnel sur le terrain, alors évidemment que ça ne marche pas. »

« Nous sommes les fusibles de l’Education nationale »

Il y a les revendications des enseignant∙es, l’inquiétude des parents, et la détresse des enfants. Et au milieu de tout ça, les chef∙fes d’établissements. Marc* est directeur d’une école à Montpellier, et depuis le début de la pandémie, il tente vainement de composer avec les nombreuses contraintes qu’on lui impose. « On a des directives du rectorat incompréhensibles et contradictoires d’un côté, de l’autre, des enseignant∙es complètements débordés, et des parents mécontents – à raison – de ce qu’on fait vivre à leurs enfants. On prend pour tout le monde, on est les fusibles de l’Education Nationale. Si quelqu’un fait une erreur, qui que ce soit, on en paye le prix. »

Profs non remplacés, sous-effectifs, « slips de nez » en guise de masques. Pour le personnel de l’Education nationale les mesures de protection sont inefficaces. Pourtant, selon le chef d’établissement, si la pandémie est une véritable épreuve pour tout le secteur de l’éducation, elle n’est pas à l’origine de tous ses problèmes. « Avant le début de la crise sanitaire déjà, je recevais régulièrement du personnel qui arrivait en pleurant dans mon bureau. On a eu plusieurs burn-out. Avec le covid, c’est devenu de pire en pire. »

Pour toustes, les conditions de travail sont catastrophiques. Depuis des années maintenant, le personnel crie au surpeuplement des classes, en particulier dans les collèges, victimes de la politique du gouvernement qui priorise l’enseignement primaire, au détriment du secondaire. Ainsi, alors qu’en 2021, le 1er degré a vu la création de 2039 emplois, 1800 ont été supprimés dans le 2nd degré. Et si une hausse de 1,6 millards d’euros du budget de l’Education nationale (soit 3% de celui de 2021 qui se chiffrait à 53,3 milliards) est prévue, pour le moment, pas de quoi réjouir les syndicats. « Le problème du recrutement devient de plus en plus pesant. Quand quelqu’un est malade, iel n’est pas remplacée. Donc il faut compenser, ce qui alourdit la charge de travail, dégrade les conditions de travail et amène à plus d’arrêts maladie. C’est un cercle vicieux », explique Antoine, membre du SNUipp.

Les précarisé∙es de l’Education nationale impacté∙es

Parmi cette foule en colère, il y a aussi celles et ceux que l’Education nationale semble avoir oublié. « Plus de blé pour les AED, plus de cash pour les AESH. » Ce personnel non-enseignant se bat depuis des mois déjà pour essayer d’exister aux yeux du gouvernement, en témoigne par exemple la grève des AED le 2 décembre 2020. Le budget 2022 prévoit bien une enveloppe de 726 millions où est compris une revalorisation salariale des AESH, mais le montant, dérisoire, ne suffit pas à contenter les travailleur∙ses. « Ce qu’on veut, c’est aussi une reconnaissance de notre travail, réclame Myriam, AESH en collège depuis 10 ans. On est considéré comme les sous-employé∙es de l’Education nationale, comme si notre travail n’avait aucune utilité. Mais on est indispensable nous aussi. »

Ce sont ces emplois les plus précaires qui sont touchés, peut être le plus durement, par la crise. Et on peut aussi noter au passage la surreprésentation des femmes dans le secteur : 68,3 % de l’ensemble du personnel de l’Education nationale, et jusqu’à 70% parmi le personnel non-enseignant. Ces chiffres viennent, encore une fois, confirmer la prédominance des femmes dans les milieux les plus durement touchés par la crise sanitaire.

« Aujourd’hui dans la rue, demain ça continue. » La mobilisation, symptôme d’un mal-être du secteur de l’éducation grandissant, devenu difficilement supportable, semble vouloir être reconduite par les syndicats dans les jours à venir. Si après la journée du 13 janvier, le gouvernement joue l’apaisement en annonçant de nouvelles mesures, la date du 27 janvier est dores-et-déjà évoquée pour une nouvelle journée de grève intersyndicale. À voir si l’union de tous ces syndicats pourra tenir au-delà des appels « Blanquer démission ! ».

 

*Les prénoms ont été modifiés







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