À Briançon, les solidaires s’unissent face à l’urgence

Face à la quantité d’arrivées des dernières semaines, les organisations, associations et collectifs solidaires avec les exilé·es ont appelé à un rassemblement ce samedi 13 novembre. Dans le même temps, l’ONG Médecins Sans Frontières a fait son entrée en scène, construisant une tente pour l’hébergement d’urgence d’exilé·es, une première sur le sol national. Retour sur une journée riche en événements.

« Je dis détruire la misère ». L’émotion est palpable, dans le parc au centre de Briançon, quand cinq solidaires lisent ensemble le discours tenu par Victor Hugo à l’Assemblée nationale en 1849. Les applaudissements sont bruyants à la fin du discours, et quelques voix se lèvent : « ça n’a pas beaucoup changé ! ». Environ trois cents personnes sont rassemblées, dans l’après-midi de ce samedi 13 novembre, pour écouter les prises de parole, la fanfare et partager une soupe chaude et quelques boissons. La manifestation a été organisée par les collectifs solidaires de Briançon et des organisations actives sur le terrain, dont Médecins du Monde, les Terrasses Solidaires, TousMigrants… Parmi le public, des solidaires et des Briançonnais, mais pas que : des citoyen·nes de villes voisines, comme Gap, mais aussi de partout en France. Même des Italien·nes se sont déplacé·es de Clavière pour montrer leur proximité avec les activistes de la ville, en conflit avec le maire Arnaud Murgia (LR) et la préfète.

Le refuge « les Terrasses Solidaires » a fermé le 24 novembre, après l’arrivée de plus de 250 personnes sur le site, qui ne peut actuellement en héberger que 80. La fermeture du refuge a été suivie d’un long bras de fer avec le maire et la préfète des Hautes-Alpes Martine Clavel, comme nous l’avons reporté ici. Après avoir annoncé le redoublement des effectifs de gendarmerie mobile déployés aux frontières, et le renfort de dix membres de la police aux frontières (PAF), la préfète a répondu aux solidaires avec une lettre rendue publique le 8 octobre dernier. Dans cette dernière, elle indique clairement que « aucun lieu d’accueil ne sera ouvert par nos soins », car l’État remplit ses devoirs par « des dispositifs renforcés à la frontière et des contrôles renforcés dans le Briançonnais » qui permettent « une gestion maîtrisée des flux ». Dans la même lettre, la préfète délégitimise l’action des solidaires, qui, selon elle « conforte l’attraction du Briançonnais pour les migrants ».

« Appel d’air » contre solidarité

L’argument des pouvoirs publics dans la gestion de la migration à la frontière est toujours le même : l’aide des associations, ONG et citoyen·nes solidaires serait un « appel d’air » pour les exilé·es, un facteur qui faciliterait le voyage aux personnes en transit et qui rendrait donc Briançon plus attirant pour la population migrante. Pour les solidaires et leurs soutiens, au contraire, c’est simplement une question de solidarité : « Nous, on se doit d’aider, c’est une situation d’urgence, on ne laisse personne dehors », affirme Antoine, 65 ans, qui a hébergé chez lui plusieurs exilé·es depuis le début de la crise en 2015. Face à l’afflux intense des dernières semaines, les Briançonnais·es ont réactivé le réseau des hébergeur·ses solidaires : « On a une quarantaine de contacts et on peut héberger chaque soir une dizaine-quinzaine de personnes chez les gens. C’est beaucoup plus chaleureux d’être hébergé par des habitants », affirme Thomas, du Refuge Solidaire.

Ironiquement, le même langage de « l’attrait de Briançon » est employé pour une autre population, bien plus intéressante pour Murgia et son électorat : les touristes. Le conflit autour des migrant·es peut se lire aussi comme une lutte autour de l’image de la ville. Le maire LR, élu principalement par des propriétaires de restaurants et de commerces, a tout intérêt à garder une image de ville « propre ». Autant dire que, dans cette mentalité, il existe une humanité de série A, qui a l’argent pour aller faire du ski, et une de série Z à qui il peut arriver de mourir sur les mêmes pistes, dans la nuit, sans que personne s’en soucie. C’est ce que rappelle Michel, de TousMigrants, lors de la manifestation : « C’est pas de la maltraitance, c’est de la torture. C’est une façon de désigner des gens comme des bêtes. Toute l’Europe, les gouvernements européens, sont en train de faire ça, de dire qu’il y a des gens qui peuvent crever dans la forêt, dans la montagne, dans la mer. C’est pas possible d’accepter ça, il faut se révolter. ».

Pourtant, c’est l’activité des solidaires, face à l’abandon de l’État, qui permet à la ville d’avoir encore une image attractive pour les touristes. C’est l’argument que soulève un solidaire qui souhaite rester anonyme : « Finalement, on travaille aussi dans leur intérêt. C’est grâce au travail des solidaires que les migrant·es sont pris·es en charge et que Murgia peut continuer à publiciser Briançon comme ville touristique. ». Dans la ville frontalière, se profile une division de travail entre les pouvoirs publics qui « ne se résument quasiment plus qu’aux forces de l’ordre, hormis les secours en montagne qui sauvent l’honneur. », indique une bénévole lors de la manifestation, et les associations qui s’occupent de l’accueil d’urgence des exilé·es. Max Duez, administrateur des Terrasses Solidaires, souligne l’absurdité du choix de l’État, même d’un point de vue financier : « Un escadron de gendarmerie mobile, c’est 110 personnes, 2 escadrons c’est 220, fois 200 euros par jour et par personne, ça fait plus de 40 000 euros par jour. On ne demande pas autant d’argent, on demande un tout petit peu d’argent pour accueillir dignement. » La réponse de la préfecture est sans appel, et jette certain·es dans le désespoir, confie Thomas, le bénévole du Refuge Solidaire : « On a eu un peu d’espoir la première, deuxième semaine, là c’est un petit peu la désillusion, mais c’est pas pour autant qu’on va arrêter de se mobiliser parce qu’il est hors de question que la situation revienne à l’identique. On souhaiterait travailler avec les pouvoirs publics et on continuera à les mettre face à leur responsabilité»

MSF entre en scène

C’est dans cette optique de mettre les pouvoirs publics face à leur responsabilité que ce même samedi 13, avant la manifestation, Médecins Sans Frontières est intervenue à Briançon pour installer une tente capable d’accueillir environ 50 personnes. L’arrivée de l’ONG est pensée comme un symbole de l’inaction de l’État, comme le souligne un représentant lors de la manifestation : « C’est cette tente que MSF monte dans des contextes de catastrophe, là où l’État n’est pas capable d’accomplir son devoir. L’État français est actuellement dans l’incapacité éthique de répondre à ses obligations» L’installation de l’ONG s’insère dans une synergie entre les associations des solidaires et la paroisse Sainte-Catherine de Briançon, qui annonce la signature d’une convention d’usage du terrain sur lequel est posée la tente jusqu’en avril 2022. Médecins du monde est aussi active sur le terrain, pour garantir la mise en place des tests Covid nécessaires pour pouvoir partir de la ville alpine. La politique de l’État se traduit en effet par un accès limité aux soins et aux tests, l’action de la Croix-Rouge étant empêchée depuis trois semaines, rappelle un représentant de Médecins du Monde. En même temps, les Terrasses Solidaires annoncent, par la voix de Jean Gaboriau, représentant l’organisation pendant la manifestation, la réouverture prochaine du lieu d’accueil.

Les associations, ONG et citoyen·nes assument donc entièrement le travail d’hébergement après trois semaines de bras-de-fer avec l’État et de demandes d’ouverture d’un lieu d’accueil digne. Pour Max Duez, l’administrateur des Terrasses Solidaires, l’arrivée de MSF fera bouger les consciences et les leviers d’action de l’État : « La manifestation et le logo de MSF ça permettra de faire comprendre à du monde et aux politiciens, j’espère, qu’il faut que l’État participe à l’accueil. Fermer les frontières n’est pas la solution, puisque les migrations sont naturelles et vont continuer. Je ne désespère pas que le fait que MSF s’installe dans le cœur de ville de Briançon remonte à Paris, et que ça fasse déployer des moyens pour faire de l’accueil d’urgence. » Effectivement, certain·es des présent·es à la manifestation se sont rendu·es à Briançon précisément à cause de l’arrivée de l’ONG. C’est le cas de Jérémie, 40 ans, qui n’habite pas dans la région :

« C’est le déploiement de la tente de MSF qui m’a poussé à venir ici aujourd’hui. C’est un coup de projecteur complètement justifié au vu de l’hiver qui arrive et de la situation des gens qui traversent la frontière ».

Un tel « coup de projecteur » se justifie pour la situation d’urgence et dans l’idéal ne restera que temporaire. Mais face à l’inaction de l’État et au mépris évident des institutions pour la vie des exilé·es, qui risquent de plus en plus leur vie en traversant la frontière, on pourrait se demander si la situation ne va pas se pérenniser. Les citoyen·nes mobilisé·es pour le devoir d’apporter de la solidarité à la frontière se retrouvent face à un dilemme : leur action de solidarité ne semble aucunement faire bouger les positions des institutions sur la crise migratoire. La gestion sécuritaire de la frontière continue sans qu’aucun ne se soucie des demandes des solidaires, qui se retrouvent donc dans la position compliquée de devoir gérer une « zone humanitaire » à la frontière, tout en essayant de continuer à faire pression sur l’État et ses représentant·es. L’espoir que la situation d’urgence ne se pérennise pas devient de plus en plus faible, et le sentiment de ne pas être écouté·es par l’État de plus en plus fort. De quoi alimenter rage et révolte.







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