Faucheurs·ses Volontaires : ces OGM cachés dont on ne veut pas

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Une, deux, trois, puis quatre voitures arrivent. Quinze minutes plus tard, une table en bois se remplit rapidement de chorizos, saucissons, fromages, tartes, de pain et de soupe chaude : qui ne mange pas, n’est pas faucheur.se ! Les saluts reflètent la joie des retrouvailles. Les sourires, les yeux qui brillent, transmettent un extraordinaire sentiment de fraternité et de solidarité. Une atmosphère paysanne et décontractée, nourrie – si l’on puit dire – par un sens holistique, dans le corps et dans l’esprit. La “bonne énergie” qui précède le moment que tout le monde attend : le briefing.

L’action se déroulera à Rodez, dans une usine de semences appartenant à la RAGT, un grand groupe semencier “européen”, tel qu’il se présente, mais dont l’assise se situe en Aveyron (RAGT signifiant Rouergue Auvergne Gévaudan Tarnais). Dans leur communiqué de presse, les faucheurs et faucheuses volontaires rappellent que l’objectif de cette “inspection citoyenne” est de trouver des semences OGM de tournesols, mais aussi de colza, entreposées dans des locaux de la RAGT. Afin de les rendre impropres à la commercialisation.

Une implication citoyenne valeureuse

Pour que cette action de désobéissance civile puisse être accomplie, le collectif des faucheurs.ses volontaires, a d’abord identifié une parcelle agricole sur la commune d’Ambeyrac (Aveyron) où se trouvaient des plants de tournesol dits VrTH, issus d’un type de semences obtenu par mutagenèse, et considéré comme OGM par l’Union Européenne via sa Cour de Justice (CJUE). Le Conseil d’État a notamment enjoint le gouvernement à appliquer à ce type de variétés la même règlementation que celle relative aux OGM.

Pour en savoir plus sur les VrTH, lire notre précédent reportage – Avec les faucheur·ses volontaires, en guerre contre la mauvaise graine

Après une première tentative avortée, la parcelle repérée a fini par être partiellement fauchée la nuit du 18 août. La suite, révèle une implication citoyenne assez extraordinaire. Les faucheurs.ses, pendant des semaines, ont surveillé le bout de parcelle restant, en attendant patiemment le moment de sa récolte, pour ainsi, suivre les semences vers l’usine où elles ont ensuite été enrobées et conditionnées. L’assurance de trouver sur place d’authentiques VrTH et de mettre le gouvernement français face à l’illégalité qu’il perpétue.

Pour les faucheurs.ses, ces semences imbibées de poison (les enrobages de pesticides auxquelles elles résistent, mais qui détruisent toute nature alentours) impactent gravement la santé humaine, la biodiversité animale, la vie des sols, la qualité de l’eau… Elles contaminent tous les modes de cultures aux alentours et contraignent les agriculteurs à l’utilisation accrue de produits chimiques faces aux adventices (ce qu’on appelle communément les mauvaises herbes) devenues résistantes par adaptation au produit.

Si les OGM obtenus par transgenèse ne sont plus cultivés en France, d’autres techniques, développées notamment par les industries agricoles ou la pharmaceutique, inquiètent les anti-OGM dès les années 2010 : mutagenèse, cisgenèse, agro-infiltration, méthylation de l’ADN, ciseaux à ADN tels que la protéine Crispr… Une véritable nuée de nouvelles technologies qui se retrouvent de facto en zone grise, puisque les instances européennes comme nationales ne se prononcent pas tout de suite sur le statut des plantes ainsi modifiées. Derrière ces développements, les grandes entreprises d’agrochimie : Pioneer, Syngenta, Monsanto, Bayer, BASF… toujours à la recherche de plants rendus tolérants à leurs productions chimiques, ou de résultats correspondants à des prérogatives commerciales. En somme, inscrits dans le projet d’une agriculture industrielle chimique, à rebours des préconisations actuelles remettant l’agriculture biologique au goût du jour. Le site Infogm donne ainsi l’exemple d’une pomme cisgénique créée par l’entreprise américaine Okanagan, « modifiée pour ne pas brunir une fois épluchée. »

Si les plantes obtenues par mutagénèse aléatoire datent d’une cinquantaine d’années, c’est la commercialisation récente de plantes mutées pour tolérer des herbicides qui a fait émerger le débat sur la mutagenèse. Ces plantes mutées tolérantes aux herbicides sont appelées Variétés rendues Tolérantes aux Herbicides (VrTH) ou variétés tolérantes aux herbicides (VTH). Leur développement commercial en France se fait notamment avec les variétés de tournesols Clearfield et de colza Express Sun.

La France néglige les lois européennes sur la mutagenèse

Malgré les injonctions du Conseil d’État en février 2020 faisant suite à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne de juillet 2018, la France continue actuellement à rendre réglementaires les semences issues des processus de mutagenèse. Pour les faucheurs.ses, depuis deux ans, le gouvernement favorise le lobby semencier OGM et poursuit la voie écocide propre au capitalisme.

Sur place, au coeur de l’usine RAGT, devant les gérants énervés qui n’arrêtent pas de filmer ou photographier, les faucheurs.ses volontaires justifient le caractère civique de leur action, en insistant sur l’illégalité de l’État français, et sur la destruction massive de nos écosystèmes et du monde agricole qu’engendre ce type de semences VrTH / OGM.

Cette action, qui se finit (en toute tranquillité) sous les yeux des gendarmes, engendrera des dégradations en apparence impressionnantes : 16 tonnes de semences touchées, des centaines de sacs éventrés et dispersés. Mais sur l’ensemble, une grande partie d’entre elles sera récupérée, car seule une part peu importante a été mélangée à d’autres types de graines. Une action de désobéissance civile qui concrètement, contre-bascule à peine le chiffre affaires de 144 millions d’euros de la filiale RAGT Semences à Rodez (plus d’un tiers des 388 millions de CA de l’ensemble du groupe RAGT), mais s’appuie sur la gestion de l’impact médiatique, et l’éducation populaire contre les OGM, les insecticides, pesticides etc. Tout en rendant visible l’inaction complice du gouvernement. C’est peut-être dans cette juste mesure entre les modalités de leur lutte, que les faucheurs et faucheuses volontaires d’OGM trouvent leur efficacité et leur longévité. Mais pas que…

Retour au point de rendez-vous : une délicieuse bière artisanale, dont le “bock” des bouchons réveille la soif et la joie de beaucoup, rassemble tous les participant·es. Puis, se forment deux groupes. Le premier, passionné par l’arrivée, à la table des plaisirs, un gâteau breton sarrasin chou, qui accompagné d’un concentré de tomates, fait fureur et finit par disparaître en quelques minutes. Le deuxième groupe est plus affairé à faire le bilan de l’action. Les débutant·es, partagent leur vécu, les points positifs et négatifs émergent et sont nombreux. Les questions juridiques sont également discutées, avant que ne viennent les au revoir, les baisers. La lutte continue.

“Ni dans les champs, ni dans nos assiettes, les OGM on n’en veut pas”

 

 







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