Contre l’inaction climatique, pour un nouveau monde

Le rassemblement contre l’inaction climatique à Paris a réuni plusieurs centaines de personnes ce samedi 6 novembre. Les programmes politiques sont divergents et parfois en conflit, mais une question commune plane sur l’assemblée : comment s’organiser face à la catastrophe ?

Plusieurs centaines de manifestant·es se sont rassemblé·es sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, ce samedi 6 novembre, pour protester contre l’inaction climatique des gouvernements, en plein déroulement de la COP26 de Glasgow. L’appel à manifester, lancé par des dizaines d’associations signataires, part du constat que « depuis 2016, nos dirigeants en sont encore à discuter des moyens à mettre en œuvre face aux changements climatiques ou à tenter de verdir leurs images, en même temps que celles de nombreuses entreprises multinationales qu’ils soutiennent », et affirme : « Face à cette inaction climatique, qui devient un véritable crime contre le vivant, c’est aux mouvements populaires […] de prendre la relève ». Sur ce cri de ralliement commun se retrouvent les centaines de personnes, membres d’associations ou individus, présentes au rassemblement.

L’événement se déroule dans le style typique d’Alternatiba et Attac, de façon très scénographique : dix portraits de puissants de la Terre (bien évidemment les « méchants » Macron, Modi, Poutine, Biden et cetera, mais on note l’absence du premier ministre italien et ex-président de la BCE (!) Mario Draghi) sont déroulés sur les parvis et seront piétinés au cours des prises de parole. Des versions réduites des mêmes portraits sont soulevées derrière une énorme banderole qui récite « Inaction climatique = crime contre le vivant ». Le début des prises de parole est marqué par une minute de silence en mémoire des victimes du changement climatique et de la répression contre les activistes écologistes. Au cours du rassemblement, d’autres moments esthétiquement forts succèdent aux prises de parole, comme la performance des « Red Rebels » d’Extinction Rebellion (XR).

Sont présents sur le parvis, outre les organisateurs, des organisations écologistes comme XR ou Greenpeace, mais aussi de grandes organisations comme Oxfam. Jérôme milite pour Oxfam depuis trois ans : « Nous faisons des plaidoyers aux gouvernements sur le thème de la pauvreté et des inégalités, mais nous nous sommes rendus compte que le changement climatique impacte beaucoup plus durement les plus pauvres, donc c’est aussi notre combat ». Le jeune militant est donc sur place « pour demander aux gouvernements de prendre en main la situation ». Une position qui n’est pas partagée par tous·tes les présent·es : « Je n’attends plus grand-chose de cette COP26, affirme Anne, du CPTG (Collectif Pour le Triangle de Gonesse), on aurait pu s’attendre à des mesures contre l’artificialisation des sols, mais là j’y crois plus ». Les mots d’ordre oscillent ainsi entre la délégitimation totale de la COP26 et des gouvernements participants, et une demande à ces mêmes décideurs pour qu’ils et elles agissent pour le climat. Des pancartes reproduisent cette ambiguïté : si certaines dénoncent les « négociants en vain » ou le « bla bla », d’autres appellent : « faites quelque chose, wesh », ou demandent aux gouvernant·es d’avoir « la tête sur les deux pôles ».

Pour certains des collectifs et associations présentes, le but est clairement uniquement d’informer les personnes présentes de leur combat et de diffuser leurs mots d’ordre : il en est ainsi, par exemple, pour L214, association animaliste. Yoann, de L214, résume ainsi la question : « On fait en sorte d’être là lors des événements comme ça pour sensibiliser sur le lien entre l’exploitation animale et le changement climatique ». Miche, de Saccage2024 (collectif contre les Jeux de Paris 2024) et du Collectif de Défense des Jardins d’Aubervilliers, partage ce point de vue : « Je crois pas du tout que la COP26 pourra aider dans la lutte contre le changement climatique, nous on est là pour montrer qu’on se bouge et qu’on existe, et pour faire voir que les Jeux Olympiques contribuent aussi à la destruction du vivant ». Des activistes profitent d’ailleurs des prises de parole pour descendre le drapeau des Jeux Olympiques, hissé devant la mairie, et le taguer en grandes lettres : « HONTE ».

Des élus des Verts et de La France Insoumise sont également présents, mais ne sont pas invité·es à prendre la parole. Les conflits de fond sur la confiance à donner aux gouvernements se résument au contraire dans un bref échange entre Yannick Jadot, candidat EELV à la présidentielle présent au rassemblement, et un jeune activiste qui porte une pancarte « Jadot (dehors) = écologie de droite ». Le méfiance envers les élus et le système représentatif, qui est un thème politique central dans les mouvements de la dernière décennie, s’exprime ainsi aussi dans ce rassemblement écologiste. La réponse de Jadot ? De façon paternaliste, s’en prendre au jeune âge de l’activiste : « Il est bien de dire ce qu’on a fait dans la vie, t’as fait quoi toi pour le climat ? Moi j’ai été au Bangladesh, en Afrique, j’ai été aider les paysans, et toi ? », ce qui lui vaut un sec : « très bien ton néocolonialisme ». Deux mondes qui ne peuvent pas communiquer.

Tout comme les activistes pro et anti-nucléaire, présents au rassemblement et qui frôlent la bagarre. Les deux champs soutiennent leurs raisons d’être présents : pour les pro-nucléaire, il est question de produire de l’énergie « verte » et réduire les émissions, tandis que les anti-nucléaire reprochent à cette forme d’énergie une trop grande dangerosité, un trop haut coût et l’incertitude sur le stockage des déchets de production. Sur le fond, on peut lire deux façons différentes d’envisager la question énergétique, l’une très ancrée dans la notion de développement et porteuse d’une vision industrielle, l’autre plus encline à la décroissance. Pour les pro-nucléaire, il est difficile de se positionner dans un rassemblement qui conteste les choix des gouvernants, étant donné la récente prise de position de la France pour que le nucléaire soit inséré dans la taxonomie des énergies vertes par la Commission Européenne. Jules affirme la « nécessité de reconsidérer le nucléaire comme une solution viable » et s’efforce d’assumer une posture contestataire : « Ça m’énerve beaucoup avec cette taxonomie que les Allemands et les Autrichiens veulent avoir le gaz parmi les énergies vertes, et ils forcent les Français à l’accepter s’ils veulent le nucléaire ». Un argument qui relève plus des relations internationales que de la pertinence effective de l’énergie nucléaire. Le débat entre pro et anti-nucléaires se configure aussi comme débat autour du mode de décision sur l’énergie : si les pro-nucléaire considèrent qu’on peut agir dans et à travers les institutions, les anti-nucléaire partent du constat que les centrales sont des projets imposés sur des populations sans les consulter.

Le thème politique revient à tout échange, et on se rend compte que les positions au sein du rassemblement sont des plus variées. Un collectif anti-pass ramène l’actualité sanitaire en marge de l’événement, en scandant « notre corps aussi est une terre à défendre » et en soulignant sa méfiance totale envers des gouvernant·es qui « nous imposent des solutions dont on veut pas, dans le champ climatique comme dans le sanitaire ». La thématique centrale du rassemblement, loin d’être le changement climatique ou la COP26, semble être plutôt : comment peut-on prendre des décisions justes et démocratiques sur les thèmes centraux de notre époque ? Quels modes d’organisation sont viables ?

Des questions qui peuvent être abordées avec l’aide de mondes très distants et en même temps très proches du notre. La présence massive d’activistes indigènes à la COP26 n’est pas un hasard, et il en est de même pour le rassemblement à l’hôtel de ville. Pour Juan-Pablo Gutièrrez, délégué en exil du peuple Djuqpa, de Colombie : « Cette COP est d’une importance énorme, ça ne peut pas devenir une habitude : elle doit être la dernière. On n’en peut plus de tellement de paroles vides, ils sont en train de jouer avec le destin de l’humanité. Le peuple s’est fatigué, ils doivent matérialiser cette volonté populaire de gouverner pour la vie, et si c’est trop pour eux qu’ils se mettent de côté, parce que nous le peuple on veut vivre ». L’ambiguïté dans le rapport avec les représentant·es reste centrale aussi pour les autochtones, peu entendus lors des COP, comme indique Stéphane, du CSIA (Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques): « On est un peu obligés aussi, c’est quand même eux qui ont les décisions en main, c’est une position difficile. On doit à la fois les bousculer, être dehors, mais aussi dialoguer avec eux ». Les mouvements des peuples autochtones restent toutefois un exemple éclairant pour le mouvement écologiste global : « On peut prendre en exemple l’énorme mobilisation contre le Dakota Acces Pipeline : les peuples autochtones sont en première ligne dans la lutte contre le changement climatique, ils sont à la fois victimes et porteurs de solutions ». Par exemple la Gira Zapatista, le Voyage pour la Vie organisé par les Zapatistes du EZLN (Ejército Zapatista de Liberacion Nacional) et par les peuples du Conseil National Indigène du Mexique, qui a commencé en Europe cet été, est une occasion importante d’écouter les voix et les expériences de ces peuples. Les revendications écologistes et politiques se couplent dans leur discours, modelé par la lutte anti-coloniale, qui a ravagé les terres des autochtones et leurs sociétés pendant des siècles. Le nouveau monde pourrait bel et bien émerger des marges.







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