Devant le commissariat de Montpellier, les flics méprisent la double peine

Ceci n’est pas un article “journalistique”. Vous n’y lirez pas, comme dans Midi Libre, France 3 ou BFM les propos abjects des représentants de syndicats de police français. Vous ne verrez pas non plus ces images intrusives de photographes de presse qui s’invitent dans l’intimité des personnes, ne se privant parfois pas de jugements dépréciatifs sur ce qu’ils considèrent comme du « buzz ». Vous ne lirez pas les très nombreux témoignages bouleversants livrés lors du rassemblement, trop intimes pour être  balancés comme s’il ne s’agissait que de vulgaires histoires comme on en lit tous les jours dans la presse. Non. Ceci n’est pas un article “journalistique”, au sens où on ne prétendra pas à une pseudo objectivité. Parce que sur un sujet comme celui des violences sexistes et sexuelles, sur un sujet comme la prise en charge policière et judiciaire de ces violences, que signifie être objectif ? Mettre en doute la parole des victimes, encore et toujours ? Pas question.

Cela fait bientôt trois semaines que les témoignages affluent sur les réseaux sociaux. Trois semaines que la militante féministe Anna Toumazoff a impulsé le mouvement Double Peine, après avoir publié sur les réseaux sociaux des dizaines de témoignages évoquant de mauvaises prises en charge des victimes de violences au commissariat central de Montpellier. Depuis, via le hashtag du même nom, le mouvement a pris une importance nationale. Mais ce dimanche 10 octobre, c’est bien là où la polémique a commencé, au commissariat central de Montpellier, qu’iels étaient quelques centaines à se rassembler pour dénoncer la prise en charge catastrophique des victimes de violences par les forces de police.

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Iels sont d’abord à quelques dizaines de mètres de la ligne bleue. « Nous sommes fortes, nous sommes fier∙ères, et féministes et radicales et en colère. » Iels s’avancent, petit à petit, faisant face aux quelques 10 policiers plantés devant le commissariat, pancartes tenues bien en évidence. « Prenez nos plaintes. » Eux restent stoïques, ils ne bronchent pas. « Une victime de féminicide sur 5 avait déjà porté plainte. » La foule, elle, est compacte, animée d’une colère perceptible par toustes. « Un viol a lieu toutes les 6 minutes. » Les chiffres, déclamés comme pour justifier la présence des militant∙es sur le parvis du commissariat central de Montpellier, sont sans appel. « 91% des victimes d’agression sexuelle ont été mal prises en charge lors de leur dépôt de plainte. » Alors, iels s’assoient, à proximité des policiers pour qu’ils puissent les entendre, et commencent à parler. « ACAB ».

Certains visages sont tordus par l’émotion. D’autres semblent crispés, et les yeux clos laissent transparaitre une douleur à peine contenue. Sur d’autres encore, des larmes. Les témoignages se succèdent. L’intensité du moment monte crescendo. Iels sont de plus en plus nombreux·ses à oser prendre le mégaphone, à s’emparer de cette tribune éphémère, et raconter leurs expériences, leurs traumatismes et leurs angoisses. Leurs voix, parfois tremblantes, laissent transparaître leur colère. Car s’il est une chose qu’iels ont en commun dans la diversité de leurs identités et de leurs histoires, c’est qu’iels sont en colère. En colère contre le système policier, qui légitime et permet ces violences. En colère face à l’inaction de l’État. En colère contre son incapacité – si ce n’est son absence de volonté – à mettre en place de véritables politiques de protection des victimes. En face, l’auditoire se tait, écoute. Des applaudissements d’encouragement engagent les plus timides à se lancer. Pour certain∙es, c’est la première fois. Ici et là, une main réconfortante se pose sur une épaule. On se prend dans les bras, souvent.

Une dizaine de journalistes est présente aussi. On se chamaille discrètement. Qui aura le meilleur témoignage ? Qui fera l’image la plus forte ou celle qui attirera la plus de monde ? Un délégué syndical se pointe, alors on l’interroge, pendant de longues minutes, alors que derrière les militant∙es continuent de confier leurs souffrances. Indécent.

Et puis, ils sont là. Des soldats en armure, mercenaires, la main sur la bombe lacrymo prêts à se défendre à la moindre alerte. Les chiens de garde, tout de bleus vêtus, protègent la porte du commissariat, pourtant si peu empruntée en ce dimanche après-midi.

« On voit un goût de mépris dans leur visage, un rictus se devine au coin de la lèvre de l’un, le pied d’un autre qui bat timidement le bitume pendant la chorégraphie, qu’est-ce qu’il aime ? Voir la rage et la tristesse dans nos yeux ? La musique ? Le rythme ? Pendant qu’une victime parle ils ricanent.

La gazeuse à la main ils se dandinent et quand une personne du groupe les regarde ils la cachent dans leur dos. La honte. Les témoignages continuent et leurs discussions filent. Il a filmé la chorégraphie, comme si le moment était un spectacle. Et mes larmes coulent rejoindre les précédentes, elles s’écrasent contre mon masque.

Leur démonstration de force est hypocrite, hypocrite mais réelle, finalement c’est peut-être dans l’ordre des choses. Ils se passent la lacrymo et échangent un regard sourcils froncés et yeux plissés seule l’allégeance à leur travail transparaît, bons petits soldats, les mots passent par leurs oreilles ; sans conséquences.

Il ne nous reste que la lutte. » – M

C’est accablant. Accablant de distinguer leurs sourires sous leurs masques. Accablant de les voir froncer les sourcils quand on évoque leurs collègues, ou même parfois l’un d’entre eux. Accablant d’observer leurs yeux rouler, accablant de ne percevoir aucune réaction quand on les interpelle, accablant de lire tant de mépris et d’indifférence dans leurs regards. Accablant.

Enfin, après presque 3 heures de mobilisation, les dizaines de personnes encore présentes leur tournent le dos. Elles tournent le dos à ces forces de l’ordre – mais quel ordre ? – et s’en vont non sans lâcher encore quelques « ACAB ». Iels laissent face aux policiers leurs pancartes, traces de leurs témoignages et de leurs revendications. Des messages écrasés par les lourdes bottes, sans plus de considération, aussitôt que les manifestant∙es se sont éloigné∙es. Belle métaphore. Elle est là, la double peine.

Crier, hurler, pleurer, danser. On peut dire sans trop prendre de risques que ce rassemblement est marquant pour beaucoup. Eprouvant pour certain∙es, libérateur pour d’autres. Certainement cathartique pour toustes. Un moment suspendu, hors du temps, entre violence, souffrance et surtout solidarité. Une solidarité qui semble, à ce moment précis, sans limites. Une solidarité qui dépasse les différences, qui embrasse les histoires et apaise aussi, un peu, la douleur.







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