115 voix pour, 0 voix contre. Ce mardi 5 octobre, la France est en bonne voie pour entrer dans le club très restreint des pays européens à interdire les thérapies de conversion. En effet, la proposition de loi 4021, concernant « l’interdiction des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne », a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, prévoyant la création d’un nouveau délit. Partout, les associations de défense des droits LGBT+ se réjouissent – à raison – de cette nouvelle. Le collectif Rien à guérir, collectif de rescapé·es de thérapies de conversion, se réjouit sur les réseaux sociaux du caractère exceptionnel de ce vote : « Première fois dans l’histoire de la République française qu’un texte de droits LGBTQIA+ est adopté unanimement ». Effectivement, pour une fois, pas de tapage médiatique insupportable laissant tout le monopole à des personnalités conservatrices hurlant à la « décadence de la France », pas de débats parlementaires interminables où le moindre petit amendement est négocié pour laisser le moins de droits possible aux bénéficiaires du texte et ralentir l’adoption, comme cela a pu l’être lors du mariage pour tous ou de la PMA pour les femmes seules ou les couples lesbiens. En tout cas, c’est l’impression que ça donne… Mais est-ce vraiment le cas ?
Ce vote est le résultat d’une mobilisation conjointe massive, depuis de nombreux mois, de militant∙es, de collectifs, d’associations et de politiques, portée à l’Assemblée par la députée LREM Laurence Vanceunebrock. Revenons sur la soirée dans la chambre.
Laurence Vanceunebrock, rapporteuse à la commission des lois, est invitée à prendre la parole. L’occasion de rappeler de quoi on parle et donner une définition des « thérapies de conversion », trop souvent associées à un type de pratique unique, alors qu’il existe une diversité effrayante de méthodes visant à « corriger des déviances ». « Des thérapies de conversion ont cours dans notre pays, ici, et maintenant. Elles prennent des formes différentes : exorcisme, retraites, stage de guérison, séances d’humiliation, hypnose, traitement par électrochoc, prescription d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, injection d’hormones ou encore mariage forcé, séquestration, privation de nourriture, coups et violences, viols, et même excision. » L’imagination n’a pas de limites quand il s’agit de porter atteinte aux droits humains.
C’est ensuite à la ministre de l’Egalité, Elisabeth Moreno, de prendre la parole afin d’assurer la position du gouvernement en faveur de l’interdiction… Et par la même occasion se féliciter largement sur les avancées pour les droits des personnes LGBTQI+ sous le mandat Macron. Classique. Et puis, c’est le défilé. Les représentant∙es de chaque groupe à l’Assemblée se succèdent, réaffirmant leur soutien à la proposition de loi. La France Insoumise, l’UDI, le groupe Liberté et Territoires, Gauche Démocrate et Républicaine, Les Républicains, La République En Marche, Le MoDEM, les Socialistes, Agir Ensemble, et Le Rassemblement National… Tous semblent d’accord sur le projet de loi. Et en même temps, on comprend pourquoi. On voit mal un∙e élu∙e de la République se prononcer publiquement pour ce qui a été qualifié par l’ONU de « torture ». Et pourtant… Ce serait sous-estimer l’abjection de certain∙es membres de l’Assemblée.
Des débats loin d’être consensuels
Si toustes – ou presque, nous y reviendront – soutiennent le projet de loi dans la première phase de discussion générale, cela ne veut pas pour autant dire qu’ielles sont d’accord, ni que leurs intérêts à faire passer cette interdiction des thérapies de conversion sont similaires. Et comme pour annoncer la suite, la séquence de discussion générale se termine par l’intervention du député Rassemblement National Sébastien Chenu : « Parler des victimes devrait aussi vouloir dire parler des auteurs, des agresseurs, ne pas se cacher derrière son petit doigt. Je lis chaque année avec une belle constance le rapport d’SOS homophobie, nous fournissant un panégyrique du profil des victimes, sans malheureusement analyser celui des auteurs. Pourtant, cette analyse du profil des auteurs, leurs âges, leurs origines, leurs motivations, nous indiqueraient avec intérêt les sources même de cette homophobie qui traverse notre société. […] Les thérapies de conversions qui nous intéressent aujourd’hui font assurément partie de ces violences. C’est une atteinte à la dignité, toujours, à l’intégrité, souvent. Les sanctions devront donc aller jusqu’à l’expulsion de délinquants étrangers condamnés sur le sol pour ce type d’agissements car ils expriment à travers ce type d’acte le refus d’adhérer à nos valeurs. » Et voilà. On pourrait presque être admiratif de la capacité du Rassemblement National à parler immigration sur n’importe quel sujet.
« Lobbys du genre » et transphobie décomplexée
La discussion du premier article, portant sur une définition légale des thérapies de conversion, commence. Quelques minutes sont passées, que déjà, un premier amendement restrictif est présenté. Marie-France Lorho et Xavier Breton veulent supprimer la notion « d’identité de genre » de la proposition de loi, excluant de ce fait les thérapies visant les personnes transgenres. Et ce n’est que le premier d’une très longue série de débats transphobe. À de nombreuses reprises, des amendements sont déposés successivement par Marie-France Lorho, Xavier Breton et Emmanuelle Menard, dans le but d’exclure les personnes transgenres de l’interdiction des thérapies de conversion, prétextant une pseudo « idéologie du genre » ou encore un « lobby ». Les parlementaires reviennent en boucle sur le sujet.
Un point particulier cristallise les débats : celui de la prise en charge des mineurs transgenre. D’un côté, on s’accommode bien du fait que des personnes encouragent des personnes trans à renoncer, soit à leur identité, soit à un parcours de transition. De l’autre, on voudrait bien que l’accompagnement de ces mineurs dans leurs parcours de transition – déjà très long et fastidieux – soit considéré comme thérapie de conversion, et ainsi pouvoir interdire ces transitions. Et l’âge n’est qu’un prétexte, car s’il était possible de supprimer complètement les parcours, certain∙es députés ne seraient pas contre.
En fait, pour certain∙es député∙es, la proposition de loi n’est pas conçue comme une avancée dans le domaine des droits des minorités sexuelles et des minorités de genre. Bien au contraire même. C’est l’occasion de s’en prendre notamment à la communauté trans. Alors que Fabien Di Filippo propose de rajouter un article à la proposition qui en contient déjà trois, afin d’interdire aux mineur∙es « le changement de sexe ou tout service qui s’y rapporte », Xavier Breton, encore lui, veut interdire les traitements hormonaux et pose un amendement à l’article. Tous deux sont rejetés. On pourrait continuer longtemps sur les odieux propos balancés à la volée de ces député∙es (toustes cisgenres, faut-il le préciser ?) qui ne se sont jamais préoccupé·es de la question trans, sauf quand il s’agit de l’invisibiliser. Mais on vous en fera grâce ici.
Xavier Breton dénigre l’approche “trans-affirmative”, la présentant comme une approche dans laquelle les médecins incitent à la transition. Mais il faudrait plutôt parler d’un approche “non-jugeante” dans laquelle la transition n’est pas considérée comme un mal nécessaire.
— Questions Trans & Féministes (@questionstf) October 5, 2021
Thérapies de conversion, et rien d’autre
Au cours des derniers mois, on s’était habitué∙es à voir passer dans des lois, des amendements ou des articles plus ou moins inattendus en vis-à-vis du titre de la loi. Ce fut par exemple le cas dans le projet de loi, dit séparatiste, lorsqu’un article mentionnait la scolarisation – en opposition avec l’instruction – désormais obligatoire. Mais ici, pas question de divaguer. Bastien Lachaud et Lamia El Aaraje proposent deux amendements pour interdire les mutilations des enfants intersexes ? Ce n’est pas le sujet, leur répond-on. Et quand ielles demandent une modification du Code de l’Education pour intégrer au sein des établissements scolaires un enseignement et une sensibilisation au respect envers les personnes LGBT+, là encore l’amendement est rejeté. Alors bizarrement, quand il s’agit d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans les documents officiels dans le projet de loi séparatiste, ça ne pose pas vraiment de problème. Par contre, la loi contre les thérapies de conversion, elle, doit voir son champ d’action strictement circonscrit.
En réalité, l’adoption en première lecture de cette proposition de loi s’inscrit dans des intérêts plus politiques que véritablement sociaux. En témoigne par exemple le refus par l’Assemblée de l’instauration d’un rapport du gouvernement sur l’état des lieux des thérapies de conversion en France. Peut-être vaut-il mieux ne pas savoir. À un peu plus de 6 mois des élections présidentielles, et quelques-uns de plus des législatives, la majorité à largement intérêt à faire passer ce type de loi tandis que les plus conservateurs cherchent également à en tirer profit. Alors il ne faut pas se tromper, l’unanimité relative – puisque trois députés, Marie-France Lorho, Xavier Breton et Emmanuelle Menard, se sont abstenu∙es du vote – cache bien des choses.
On peut d’abord rappeler que la France compte 577 député∙es. Un cinquième de la chambre, seulement, s’est exprimé sur le sujet. À croire que pour les autres, il n’est pas d’une importance suffisante pour nécessiter que ces dernier∙ères se déplacent (et accessoirement fassent ce pour quoi ielles sont largement rétribué∙es). Cette unanimité cache aussi une stratégie politique, la concurrence pour savoir qui récupérera les votes de la communauté LGBT+ aux prochaines élections législatives de 2022. Elle dissimule derrière un apparent consensus, de vives polémiques sur l’existence même de l’identité de certaines personnes. De plus, la proposition de loi n’a passé que la première étape du processus législatif. Qui sait comment elle va être tordue pour plaire au Sénat ? Alors, attention à ne pas s’y tromper. Malgré les grands discours, les belles phrases et les promesses, malgré les lois et les débats, malgré quelques avancées dont on peu se réjouir, il ne faudrait pas penser que tout est gagné. Le chemin reste encore long, et légiférer n’est qu’une première étape. Les dissensions restent importantes ; la lutte, elle, n’est pas terminée.
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