À Fournès, l’espoir de vaincre Amazon

Lorsqu’en janvier 2020, la Mule a pour la première fois traîné ses sabots sur la zone de la Pale à Fournès, près du Pont du Gard, la parcelle vouée à l’installation d’un immense entrepôt logistique du promoteur Argan, ne ressemblait plus qu’à un vaste cimetière végétal et minéral, aux ceps de vigne arrachés et à la terre partout stérile et retournée. Les quelques citoyen·nes réunis au sein de l’association Adere (Association de Défense de l’Emploi dans le Respect de l’Environnement), qui luttaient depuis près d’un an contre ce projet dantesque, après en avoir découvert le pot aux roses finement dissimulé par la municipalité fournésane, semblaient encore bien isolé·es dans leur combat et commençaient à peine à tisser des liens avec le militantisme écologiste. Que de chemin parcouru, lorsqu’un an et une couverture médiatique nationale adroitement menée plus tard, plus d’un millier de personnes se rendaient sur la parcelle début 2021, sous une pluie battante, afin d’y planter symboliquement des arbres et d’y réaliser une immense chaîne humaine représentant l’emprise du futur centre logistique.

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Et pour cause, la lutte contre le projet à Fournès avait tout pour mobiliser : la démesure de l’artificialisation de près de 39000 m² d’espaces agricoles, des élu·es mouillant dans des suspicions de conflits d’intérêt, des irrégularités dans les procédures légales, et l’ombre menaçante du géant du numérique Amazon, habitué à placer ses pions de manière dissimulée en s’abritant derrière le promoteur Argan. Quelques mois plus tard, une nouvelle mobilisation s’est tenue ce samedi 29 mai sur le site, afin de continuer de rythmer le tempo d’une lutte qui pourrait bien porter ses fruits, et est parvenue à empêcher pour l’heure les travaux de démarrer : l’entrepôt aurait déjà dû être réalisé et commencer son activité ce printemps.

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Preuve que la nature est prompte à reprendre ses droits, la nouvelle saison a largement fleuri la zone de la Pale, qui s’est couverte de blés sauvages et de chardons. Les arbres plantés au crépuscule de l’hiver se sont accoutumés à la terre et couverts de petites feuilles vertes. C’est donc au cœur d’une beauté retrouvée que s’est tenu ce rassemblement dont le programme avait été voulu plus riche et diversifié qu’au précédent rendez-vous. On notera la présence de syndicats, de groupes militants écologistes impliqués dans la lutte fournésane, tels qu’ANV-Cop21 ou Extinction Rébellion, mais aussi de petits producteurs locaux venus tenir marché en marge du rassemblement, d’une crieuse publique abracadabrantesque, d’une batucada militante, d’une fresque pour le climat… On ne pourra donc que regretter que la mobilisation du public ait été moindre à celle du mois de janvier, ne réunissant que près de 500 personnes, notamment l’après-midi.

Au matin, deux ateliers débats se tenaient, l’un consacré à informer sur l’artificialisation des sols et sur les moyens de résister à un phénomène qui participe pleinement de la chute de la biodiversité et de la hausse de la concentration du CO2 dans l’atmosphère ; l’autre, porté sur les notions de patrimoine et de paysage, revenait notamment sur l’architecture légale et politique qui les régit en France, sur le rôle et la formation de nos élu·es, du plan local jusqu’au national. Des ateliers instructifs et où la participation du public était encouragée. L’après-midi, le programme était plus proprement tourné vers la lutte fournésane, avec un atelier animé par Attac, les Amis de la Terre et Solidaires, autour du problème Amazon : optimisation fiscale, destruction et accaparement des terres, surproduction et appel à la surconsommation, exploitation inhumaine des salarié·es et intérimaires, anti-syndicalisme… Les griefs ne manquent pas face à la multinationale fleuron de la logique néolibérale, que d’aucuns considèrent comme l’un des principaux ennemis de la nature et de sa préservation.

Et puisqu’il ne s’agit pas seulement de dresser une critique acerbe du projet qui menace Fournès, mais aussi d’être force de propositions, un second atelier présentait les alternatives possibles pour la zone de la Pale, en s’inspirant notamment d’autres réalisations : ressourcerie, installations paysannes, permaculture, agriculture biologique destinée aux cantines, etc, avec notamment cette thématique récurrente de la création d’emplois, sans cesse mise en avant par Amazon et les élu·es qui soutiennent son implantation. Le Collectif pour le Triangle de Gonesse était notamment représenté, venu donner un aperçu de son projet Carma, visant à proposer une alternative viable à cette zone proche de Paris et vouée à la bétonisation. Il était donc question de deux visions du monde qui s’opposent, l’une tournée vers le mythe de la croissance et la recherche du profit maximal, et l’autre vers la résilience de notre espèce et de la nature, vers la réparation des torts causés à la planète et la recherche d’égalité et de justice.

Des prises de parole musclées suivaient au programme, tenues par des représentant·es d’Attac, des Amis de la Terre, d’Adere, de Primavera, ou des Commerçants de France, et portaient résolument l’appel à poursuivre le combat sans relâche, sur le site de la Pale comme ailleurs dans le pays. Mais aussi un espoir aujourd’hui véritable de voir la lutte à Fournès vaincre contre le géant du numérique, qui fait face à une opposition d’une ampleur inédite en France, laquelle fait exception à son développement inextinguible ailleurs dans le monde. La mise à l’arrêt de fait du projet d’entrepôt, comme certains signes de recul dans le discours de la multinationale, semblent unanimement convaincre de la possibilité d’une victoire. Ce message d’espoir, c’était aussi celui porté par le musicien HK et ses saltimbanques, venus comme en janvier clôturer cette journée de lutte, cette fois sous l’épaisse chaleur d’un soleil franc, avec une nouvelle et inédite chanson “Dans ma zone, pas d’Amazon” qui aura suscité la joyeuse approbation d’un public conquis. La lutte continue !







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