Sur le triangle de Gonesse, où un collectif citoyen lutte depuis plus de dix ans contre l’urbanisation des terres agricoles parmi les plus fertiles de l’Île de France, une occupation a débuté dimanche 7 février. Nous sommes allés passer une journée avec les occupant.es, en plein travaux pour rendre la ZAD accueillante.
Malgré le soleil, le froid pique le visage ce matin du samedi 13 février. Sur la ZAD de Gonesse, le terrain est gelé et lorsque j’arrive, les travaux viennent de commencer. La ZAD a été déclarée occupée le dimanche 7 février, et les soutiens ont été chaque jour plus nombreux de Paris : aujourd’hui, étant le week-end, on s’attend à une grosse participation. Le café est préparé et bu, les mains et les pieds commencent à bouger. Plusieurs dizaines de personnes ont dormi sur place la nuit précédente, dans des dortoirs qui commencent à être bien isolés du froid. Les soutiens apportent du matériel et de quoi se restaurer : bois, polystyrène isolant, tôles, gâteaux, thé, café.. surtout, ils apportent des bras prêts à construire, et le travail commence.
Aujourd’hui, de nouvelles cabanes voient le jour, et les vieilles sont améliorées pour les isoler davantage. Certain.es courageux.ses sont arrivé.es de Paris en vélo, comme un militant qui est venu avec un groupe d’ami.es pour apporter de la nourriture et du matériel pour aider à la construction. La lutte contre les grands projets inutiles fédère des gens de toute la France. Thierry est de passage en Île-de-France, mais il trouve tout à fait naturel de venir passer sa journée sur la ZAD avec une amie, pour apporter son soutien au projet qui naît. Le reproche d’utiliser la logique « not in my backyard » qui est souvent employé contre les militant.es écologistes ne semble pas tenir face au large front qui soutient la lutte de Gonesse et à l’écho que celle-ci a eu dans toute la France.
La ZAD commence à ressembler à quelque chose d’habitable : la cuisine est très bien fournie, bien qu’exigüe, et on trouve même, à coté, une bibliothèque et un free-shop de vêtements. Le salon est en cours de réalisation, en son milieu deux braseros chauffent le café et les mains des présent.es, qui prennent une pause du froid et de la fatigue. En attendant que son toit soit terminé, deux barnums le remplacent et protègent au moins du vent. En somme, la situation est en ferment : de nouvelles cabanes surgissent, les personnes s’entraident, l’atmosphère est électrique.
Le triangle de Gonesse a vu la mobilisation se remonter autour de lui dans les premiers mois de 2021, avec la proclamation du serment du triangle le 17 janvier. Après l’abandon du projet Europacity en 2019, en effet, le CPTG (Collectif Pour les Terres de Gonesse) est resté vigilant sur les vicissitudes judiciaires et financières de ces terrains. En juillet 2019, la cour d’appel de Versailles avait annulé le jugement interdisant l’urbanisation du triangle, ce qui a ouvert la voie à une nouvelle Zone d’Amenagement Concertée (ZAC) de 110 hectares, entre Gonesse et Roissy, décidée par le préfet du Val d’Oise. Le seul projet qui est encore en route dans cette ZAC, et contre lequel se mobilisent les occupant.es, est celui d’une gare de la ligne 17 du métro, prévue dans le cadre du plan Grand Paris.
Le maire de Gonesse Jean-Pierre Blazy et la présidente du département du Val d’Oise Marie-Christine Cavecchi, supporteurs de la gare, se sont réjouits de la décision de la cour d’appel. Les deux, tout comme Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, condamnent fermement l’occupation. Pécresse a demandé l’évacuation immédiate de la ZAD, alors que Blazy a condamné « une occupation illégale par définition ». L’Établissement Public Foncier d’Île-de-France (EPFIF), propriétaire de la parcelle de terrain concernée par la ZAD, a déposé un référé d’expulsion au tribunal de Pontoise, qui doit se prononcer ce mercredi 17 février. Entre temps, des machines ont déjà fait leur apparition face au chantier, et se penchent menaçantes au dessus du mur qui encercle la ZAD.
Le débat sur les moyens de transport qui devraient desservir la Val d’Oise est intense : les élu.es déjà cités soutiennent la gare de la ligne 17 en avançant la promesse du développement économique du Val d’Oise, qui serait nécessaire pour les habitant.es et qui reposerait entièrement sur ce projet du Grand Paris. Les occupant.es et le CPTG proposent une vision exactement opposée : pour eux et elles, la gare est synonyme d’investissement et de gros flux de capitaux, mais n’apporterait aucun bénéfice aux habitant.es. Pour protester contre la vision du monde qui se cache derrière ce projet, un rassemblement est tenu, ce samedi 13 à 14h, devant la gare de Villiers-le-Bel, qui dessert aussi Gonesse et Arnouville. Les collectifs citoyens, la CPTG et des élu.es et représentant.es à l’assemblée régionale sont présent.es.
La gare de la ville, sur la ligne D du RER, est vide ce samedi. Un des intervenants nous explique que c’est désormais comme ça toutes les fins de semaine : aucun train ne s’arrête à Villiers-le-Bel. Les intervenant.es revendiquent donc une amélioration des transports quotidiens pour la population locale, et soulignent l’inutilité de la future gare de la ligne 17, éloignée de toute habitation. De façon assez surprenante, tout le monde soutient les ZADistes, sans trancher sur les questions de la légalité ou des modalités de l’action. Comme quoi, la désobéissance civile est encore un instrument politiquement viable.
Au retour du rassemblement, sur la ZAD, on note que la quantité de personnes présentes a encore augmenté. À y regarder de plus près, la plupart d’entre elles portent une camera ou un microphone : c’est l’assaut des « vrais » journalistes. Ils et elles ne vont rester qu’environ 40 minutes. C’est une règle pour les ZADistes, et on comprend pourquoi : ceux et celles qui travaillent sur des cabanes se retrouvent soudainement entouré.es, des micros poussent comme des champignons, les journalistes ne prennent pas la peine de se présenter aux personnes auxquelles ils et elles posent des questions. L’énervement est compréhensible et palpable. Il y a de quoi s’interroger sur la pratique journalistique, en voyant cette scène.
Entre temps, les travaux continuent, mais pas pour longtemps : le coucher du soleil s’approche, il faut se préparer pour la nuit. On respire encore la même atmosphère de camaraderie et d’enthousiasme du matin. Certain.es vont rester pour la nuit, d’autres repartent pour rentrer avant le couvre-feu. On voit des personnes de tout âge parler, rire, jouer sur le terrain vague. Sans doute, la ZAD est-elle capable de mobiliser des personnes très différentes politiquement comme par leurs parcours de vie. Pour l’instant, ce n’est pas problématique, mais là est peut-être une question à affronter dans l’avenir. Problème ou ressource, on ne peut le savoir pour l’heure. Aujourd’hui, on n’y pense pas : la « fanfare invisible » joue ses morceaux, les muscles se détendent, le rideau tombe sur une journée de lutte et de partage.
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