Crise du logement : Sénat et gouvernement renforcent la répression des squats

C’est une proposition de loi introduite par la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone et plusieurs de ses collègues membres des Républicains. Son objet vise à renforcer le “respect de la propriété immobilière contre le squat”. Faisant fi de la crise du logement qui pousse des milliers de personnes à la rue alors que trois millions de logements sont vacants en France, la loi, finalement adoptée en première lecture le 19 janvier par le Sénat, introduit des mesures coercitives visant à dissuader et punir plus sévèrement les squatteurs.

Dans son propos introductif, la sénatrice met sur le même plan squatteurs et criminels : “Ne confondons pas squatteurs et personnes précarisées, criminels qui facilitent le squat et associations de défense du droit au logement.” Cette vision criminalisante s’appuie notamment sur des affaires récentes : à Théoule-sur-Mer où la maison d’un couple de retraités a été squattée (les occupant·es ont été condamné·es à huit mois de prison avec sursis), ou à Paris, avec des locaux appartenant au Petit Cambodge et mis à profit par des collectifs pour lutter contre la gentrification.

Lutter contre la pauvreté en faisant la chasse aux pauvres

On imagine difficilement comment les pouvoirs publics vont opérer cette fameuse distinction entre mauvais squatteurs et gentils précaires en amont. Quoi qu’il en soit, la droite ferme largement les yeux sur le rôle de l’État dans la mauvaise application du droit au logement, qui démultiplie évidemment le recours au squat ou les dérives des marchands de sommeil.

Le sénateur PS de l’Hérault Hussein Bourgi a bien tenté de mettre en avant le phénomène, sous les indignations de ses collègues Républicains, mais en vain : “Le coeur du sujet, c’est l’application de la loi SRU. (Protestations à droite) Alors qu’il y a dix millions de pauvres et quatre millions de mal logés en France, la loi Dalo reste lettre morte. Année après année, le rapport de la Fondation Abbé Pierre dénonce la condition de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants errant d’hôtels en centres d’hébergement, quand ils ne sont pas dans la rue, sur un banc ou sous la porte cochère de nos immeubles.

Le compte-rendu analytique de la séance met en exergue les moqueries et l’indignation sélective de la droite, qui lutte sans surprise contre la pauvreté en luttant contre les pauvres. Comme le disait Bossuet : “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.

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Ainsi, le texte adopté par les sénateurs, qui sera ensuite examiné par l’Assemblée nationale, prévoit d’alourdir considérablement la peine encourue en cas d’introduction ou de maintien dans le domicile d’autrui, la portant au plafond de 3 ans d’emprisonnement et 45000€ euros d’amende, contre un an et 15000€ aujourd’hui. Le texte crée aussi un “délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble”, puni d’un an d’emprisonnement et de 15000€ d’amende. “A la différence de la notion de domicile, parfois subjective et nécessairement singulière, celle de propriété est davantage objective puisqu’elle repose sur un titre de propriété” assurent les soutiens du texte, une mesure qui permet ainsi un nouvel angle répressif, la notion de domicile suivant en effet des interprétations différentes selon le Code civil ou le Code pénal.

Le texte de loi étend ensuite la procédure rapide d’évacuation forcée à l’occupation illicite de tous les locaux à usage d’habitation, même s’ils ne sont pas utilisés par les propriétaires. Enfin, la loi crée une contravention sanctionnant spécifiquement la diffusion de “modes d’emploi” du squat, en gros, sanctionne l’information sur les dispositions légales encadrant le droit au logement…

Il faut aussi punir l’encouragement au squat via la publication en ligne de véritables modes d’emploi : tapez « comment squatter un appartement » sur les moteurs de vos téléphones, et vous verrez, assène la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone. Il est glaçant d’imaginer qu’à la faveur d’un déplacement, vous puissiez retrouver vos serrures changées et un nouvel occupant à votre place chez vous. Nous prévoyons donc une peine pour cette propagande

Le texte s’en prend ainsi directement à ce qu’on pourrait désigner comme la pratique du “squat” militant, qui vient pallier les carences de l’État à respecter la loi, et prendre en charge les plus démuni·es, notamment dans le cadre des migrant·es et des sans-papiers. En cas d’adoption définitive, les militant·es s’exposeront donc à des peines beaucoup plus lourdes en cas de judiciarisation pénale de leurs occupations.

La précarité victime des escarmouches politiques

Malgré son adoption par le Sénat, le texte n’était toutefois pas soutenu par le gouvernement, représenté en séance par la ministre du Logement Emmanuelle Wargon, qui estime qu’un équilibre a déjà été trouvé avec la loi Asap (ou “d’accélération et de simplification de l’action publique”) et qu’il n’est point besoin d’accentuer le volet répressif. Celle-ci étendait la notion de domicile aux résidences secondaires, donc non-occupées, ouvrait les demandes d’expulsion aux ayant droits ou représentants des propriétaires ou locataires, et obligeait les préfets à agir sans délai en cas de demandes d’évacuation par les propriétaires ou locataires.

Le gouvernement, malgré ses airs de droite rigide, n’entendait cependant pas laisser la poursuite de la “lutte contre le squat” à l’opposition Républicaine sénatoriale, et a finalement saisi la séquence médiatique au vol. C’est ainsi que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti et la même madame Wargon ont ce vendredi 22 janvier publié un communiqué de presse annonçant la mise en application de la réforme de “la procédure d’évacuation forcée en cas de “squat” de domicile, pour mieux protéger les français.” Il s’agit en fait des dispositions contenues dans la loi Asap et dont la procédure de mise en application a, ce jour, été transmise aux préfets. Ceux-ci devront désormais répondre aux demandes d’expulsions en moins de 48h et procéder aux “évacuations” à partir de 24h suivant la mise en demeure.

Le recours au squat s’inscrit bien évidemment dans des contextes de précarité ou de difficultés sociales importantes, et la loi, si elle préserve également le droit au logement, prévoit déjà de multiples dispositions pour protéger les propriétaires : les récentes affaires de squat médiatisées ces derniers mois consacrent surtout l’incapacité de l’État à assurer correctement la réalisation de la loi, qu’elle concerne les occupant·es ou les propriétaires. Des exemples montrent toutefois qu’en cas d’importants enjeux immobiliers, l’État peut avoir une certaine tendance à favoriser les classes possédantes

Ce texte de loi adopté par le Sénat se contente donc de renforcer l’aspect répressif de la question du logement, sans apporter aucune mesure sociale compensant ce durcissement en obligeant l’État à agir plus et mieux en faveur des plus précaires.







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