Loi Sécurité Globale : “Plus de teufs, moins de keufs” mais toujours la répression

Un peu moins d’un millier de personnes se retrouvent dans les rayons d’un soleil doux, sur le parking des halles de la Paillade ce samedi 16 janvier, pour marquer la reprise des manifestations contre la Loi de Sécurité Globale à Montpellier. Malgré quelques mines un peu soucieuses de l’affluence, les discussions vont bon train et éclipsent la lourdeur de la période dans cette complicité des retrouvailles entre compagnes et compagnons de luttes, après des fêtes de fin d’années aux effusions restreintes. Certain·es reviennent avec de beaux souvenirs de leurs vacances, d’autres avec de nouvelles coupes de cheveux…

Après s’être préparé sous les regards curieux des pailladin·es allant et venant autour du marché, le cortège s’élance au rythme d’une dynamique batucada, qui vient bientôt faire résonner ses chants percussifs entre les façades inégalement décrépites parsemant le Grand Mail. Les pailladin·es, surpris au beau milieu d’une matinée animée, accueillent avec bon coeur cette manifestation à l’allure festive. S’il est certain que peu se joindront au cortège, celui-ci vient replacer dans son berceau originel la thématique de la répression d’État et marquer symboliquement la reconnaissance des violences policières dans les quartiers délaissés par la cinquième république. Et reçoit donc un accueil plutôt bienveillant de la population marquée par les récentes montées de violences, qu’elles soient de l’ordre délictuel, criminel ou répressif et policier.

Et la manif se fait fête

En arrivant sur le stade, dont le déménagement à venir signifiera nécessairement un nouvel abandon culturel et économique pour la Paillade, deux camions sonos, l’un en tête et l’autre en queue de cortège, se mettent à pulser des rythmes électroniques, et la manifestation s’ébroue joyeusement en direction du centre de la ville. C’est la présence de la musique qui va transformer celle-ci en véritable fête : la techno à l’avant, la batucada au milieu, et la teuf à l’arrière ! Chacun·e à sa manière, tout le monde profite de cette respiration bienvenue alors que la fête, cette incontournable vertèbre sociale, n’a jamais été autant stigmatisée et interdite.

Pour cette journée du 16 janvier, partout en France, des collectifs liés au monde de la free-party se sont joints aux cortèges des marches des Libertés, après les nouveaux moments répressifs vécus par un mouvement teuf qui en est hélas coutumier. On notera ainsi, et notamment derrière le soundsystem en queue de cortège, la présence de beaucoup de jeunes, lycéen·nes et étudiant·es, parfois joyeusement à la traîne derrière la foule réunissant des profils multiformes parsemés au milieu de groupes militants et de gilets jaunes.

Dans le cortège bruyamment musical, les slogans ne sont toutefois pas en reste et notamment sur les nombreuses pancartes : de “Soumission, Répression, Voilà le programme !“, “Filmer les gens pour les ficher, vous trouvez ça normal ?” à “Alcool partout, apéro nulle part“, chacun vient souligner à sa façon le recours au répressif systématique par les gouvernants, face à la crise économique et sanitaire comme aux questions sociales, qu’illustrent à merveille les contours de la loi de Sécurité Globale et son versant identitaire, la loi Séparatismes.


Au fil de la route, le cortège s’épaissit et compte environ 2000 personnes en arrivant sur plan Cabanes. Une prise de parole impromptue devant la CPAM vient proposer de faire du samedi la journée politique des Français·es, initiative rapidement acclamée par la foule, pour partie bien décidée à poursuivre la fiesta sous les platanes de l’Espla.

Et la fête continue…

C’est avec quelques minutes d’avance sur le programme que le cortège est arrivé place de la Comédie. C’est à ce moment-là que l’esplanade Charles de Gaulle prend des airs de véritable rave party. Son poussé au maximum, machine à fumée fonctionnant à plein régime, la foule encore sur place s’amasse à proximité des enceintes. Les kilomètres parcourus lors de la manifestation se font à peine sentir pour celles et ceux qui continuent à danser pendant plusieurs heures, y compris après 15 heures, heure officielle de la fin de la manifestation. « Rien n’arrête un peuple qui danse », peut-on lire sur une pancarte.

Rien, mise à part une troupe de CRS. Vers 16 heures, alors que l’Esplanade ne désemplissait pas, les forces de l’ordre sont intervenues pour dissiper les dernier∙ères manifestant∙es encore sur place. Après l’annonce « officielle » de la fin du rassemblement de la part des organisateurs et le départ des camions transportant le matériel de son, une centaine de personnes est tout de même restée sur place.

Les forces de l’ordre s’invitent

Après un petit temps de flottement et quelques sifflements de mécontentement à l’encontre des forces de l’ordre, arrive le temps de mettre un terme aux réjouissances. Et pas de la plus douce des manières. Une interpellation assez brutale, sous forme de charge met le feu aux poudres. Des gaz lacrymogènes sont jetés sur les manifestant∙es, dont certain·es répliquent à l’aide de canettes ou de bouteilles en verre. En quelques minutes, l’Esplanade est noyée sous un nuage de fumée qui se déplace doucement vers la Comédie.

Après avoir été frappé d’un coup de pied lors de la première charge des forces de l’ordre, notre journaliste Ricardo Parreira a été victime d’un coup de matraque à la jambe lors d’un second mouvement des policiers, lequel a abouti à un tir de LBD 40 sur la foule à une distance de moins de dix mètres.

Les provocations mutuelles continuent pendant plus d’une heure et demi avant que, lassé∙es et dans la perspective du respect du couvre-feu, les dernier∙ères contestataires se décident à tourner le dos à ces policiers.

Les gendarmes mobiles eux aussi, se sont invités à une autre fête. Un concert était prévu au Bât’ du peuple après la manifestation, mais ces derniers, envoyés par la préfecture, y ont fait acte de présence dès la matinée afin d’empêcher tout rassemblement.

Bilan de l‘après-midi : cinq personnes interpellées, et saisie d’un véhicule, de matériel de sono et du drone géant fabriqué par le collectif Danger Loi Sécurité Globale. Alors que l’une des personnes interpellées a été libérée sans poursuites, les quatre autres sont toujours en garde à vue selon le collectif SIM (Soutien Interpellés Montpellier) et risquent sans doute d’être déferrées devant le TGI ce lundi. Un technicien son convoqué aujourd’hui à 14h s’est vu restituer le camion mais pas son matériel sonore. Le drone, lui aussi, est toujours soigneusement gardé par les forces de l’ordre.

De son côté, le collectif Danger Sécurité Globale Montpellier dénonce un usage abusif de la violence. Il s’agit selon lui, d’une « violence inutile qui a tenté de salir une manifestation très bon enfant. Le collectif condamne cette gestion volontairement tendue de fin de manif par la police […] et remercie tous les manifestants pour la joie de vivre, le respect et la persévérance dans cette lutte contre la loi sécurité globale. ».

Pas de quoi refroidir les ardeurs du collectif donc, qui prépare d’ores et déjà une nouvelle mobilisation le 30 janvier prochain, après laquelle une scène ouverte electro devrait avoir lieu. Reste à savoir si les forces de l’ordre seront elles aussi à nouveau de la partie.

Clara Maillé et Jude Mas







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