Pris dans la tourmente des inacceptables faits de violences policières qui ont émaillé la semaine dernière (l’affaire Michel Zecler et l’expulsion de la place de la République à Paris), Jean Castex avait annoncé la création d’une commission indépendante chargée de réécrire l’article 24 de la loi de Sécurité Globale, adoptée mardi 24 novembre par l’Assemblée nationale, avant de se raviser face à la fronde des parlementaires.
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Suite à un samedi de mobilisation massive partout sur le territoire, réunissant plus de 500 000 manifestant·es selon les chiffres des organisateurs, les groupes parlementaires majoritaires à l’Assemblée proposent aujourd’hui de procéder à la réécriture complète de l’article 24. Une proposition qui s’inscrit dans la tentative par le pouvoir de focaliser l’opposition sur cette mesure décriée, en occultant toutes celles qui posent problème dans la proposition de loi, mais aussi de déminer l’opposition unanime du milieu journalistique. Et dont on se demande concrètement quelle traduction législative va en permettre la modification alors que la Loi doit passer au Sénat au mois de janvier.
« Nous allons proposer une nouvelle écriture complète de l’article 24. (…) Cette nouvelle rédaction sera conduite dans le cadre d’un travail collectif aux trois groupes parlementaires de la majorité » a déclaré Christophe Castaner, président du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Il y avait en effet un risque que le décrié article 24 ne devienne l’arbre qui cache la forêt. Les mobilisations ont pourtant montré une prise de conscience dans la population du risque répressif que fait peser l’ensemble de la proposition de loi.
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La proposition de loi contient en effet un certain nombre de mesures sécuritaires proprement liberticides et promptes à faire basculer notre société vers un régime sécuritaire à l’américaine. Le titre I de la loi concerne par exemple la police municipale et vient sur le papier “renforcer son rôle de proximité”.
Une proximité à géométrie variable puisque ce sont de nouveaux atours répressifs dont on vient l’affubler et qui vont en permettre un usage politique par les municipalités grâce à l’extension de ses prérogatives et domaines d’intervention : usage de stupéfiants, conduite sans permis, vente à la sauvette, dégradations, sécurisation des manifestations culturelles ou sportives. Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, a de quoi se réjouir, lui qui axe tant sa communication sur le sécuritaire.
Le titre II de la loi de Sécurité Globale vient quant à lui proposer une série de mesures concernant les entreprises et agents de sécurité privée. Si un certain nombre d’entre elles visent à renforcer le contrôle et la formation de ces prestataires (absence de casier judiciaire B2, interdiction de la sous-traitance abusive, durcissement des conditions de délivrance des agréments), d’autres posent clairement question. Ainsi de l’obligation pour les ressortissants étrangers d’être en possession d’un titre de séjour avec une ancienneté de 5 ans, sur laquelle a alerté la Défenseure des Droits, considérant qu’elle contrevient au principe d’égalité et constitue une discrimination.
Cependant, des mesures plus inquiétantes encore viennent renforcer les pouvoirs des agents et leurs prérogatives dans le cadre de certaines missions, par exemple de surveillance de la voie publique contre des actes terroristes, mais aussi la suppression de l’habilitation spéciale permettant jusque là de réaliser des palpations de sécurité. L’État délègue ainsi en quelque sorte une mission publique à la sphère privée et assouplit les conditions d’action des agents de sécurité.
Le titre III vient faire basculer un peu plus la société dans un régime de surveillance de masse. Son article 20 permet ainsi une utilisation plus large des images de vidéosurveillance, étendue aux policiers municipaux comme à des agents habilités de la SNCF et de la RATP, ce qui porterait atteinte au droit à la vie privée.
L’article 21 vient autoriser la transmission en direct des vidéos captées par les caméras portatives des agents de police, qui seront généralisées courant 2021, permettant l’analyse automatisée de ces images. On peut ainsi craindre des processus de reconnaissance des manifestant·es comme des passant·es, en lien avec les fichiers de police déjà existants.
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L’article 22 vient entériner dans la loi l’usage des drones en matière de surveillance, qui était jusque là interdite. Pour autant, la police, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre, fait depuis longtemps un usage illégal de cette technologie, ce qui a été dénoncé devant le Conseil d’État cette année. Ces deux mesures ont également fait l’objet d’alertes de la Défenseure des Droits quant au respect de la vie privée et à la collecte massive de données à caractère personnel.
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Le titre IV est celui qui contient le désormais fameux article 24, pénalisant la diffusion de l’image de fonctionnaires de police ou de gendarmerie identifiables et ce de manière “malveillante”. Nous ne reviendrons pas sur cette disposition dont nous avons déjà largement débattu et qui aboutirait à la possibilité d’embarquer à tout moment n’importe quel·le citoyen·ne filmant les forces de l’ordre. L’article 23 en revanche supprime les crédits de réduction de peine lorsque des infractions ont été commises contre des forces de l’ordre. Une mesure qui pose question quand on constate que nombre de victimes de violences policières sont transformées en agresseurs par leurs bourreaux, ce qu’on a pu voir avec l’affaire Michel Zecler, mais aussi au tribunal de Montpellier, dans plusieurs affaires liées aux manifestations des Gilets jaunes.
L’article 25 autorise les forces de l’ordre à porter leur arme hors service dans des établissements recevant du public, ce qui augure ainsi d’une augmentation des armes en circulation dans l’espace public et pourrait entraîner de possibles bavures.
On le voit, la Loi de Sécurité Globale ne limite pas sa dangerosité sociale à son article 24, mais promet des dispositions qui s’inscrivent dans le “continuum de sécurité” promu par le gouvernement, un de ces packages sécuritaires démagogiques qui permettent le flicage et la répression de la population sous couvert de lutte contre la délinquance ou le terrorisme. On est pourtant habitué de ce type de mesures n’ayant jamais infléchi les statistiques de la délinquance, qui demeurent fortement corrélées aux taux de chômage ou de pauvreté, pas plus que les actes terroristes, qui subsistent aujourd’hui sous des formes plus isolées.
Crédit photo : Photocratie
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