C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La Préfecture de l’Hérault a annoncé ce 25 septembre le passage en zone alerte renforcée Covid pour 53 communes du département, dont 31 communes de la Métropole comptant bien évidemment Montpellier. Le territoire passe à ce stade en raison du franchissement du seuil de 150 cas pour 100000 habitants, nécessitant selon l’État la prise de mesures fortes pour enrayer la propagation du virus. Toutefois, les mesures prises en ce sens par la Préfecture suscitent l’interrogation et la colère chez les bars, restaurants et épiceries du centre-ville. Si l’on comprend aisément la jauge limite de 1000 personnes pour les grands événements et manifestations sportives autorisées, la limitation à dix personnes de tout type de rassemblement dans l’espace public vient tout de suite poser un premier paradoxe.
De la même manière, les mesures viennent particulièrement frapper certains secteurs : salles de sport, bars, restaurants et épiceries de nuit essentiellement, alors que les premières sources de cluster à savoir l’entreprise (près d’un tiers), l’école et les transports demeurent actifs. Ainsi, toutes les salles de sport, gymnases, publics comme privés sont fermés à part pour l’accueil des scolaires, formations continues ou sportifs professionnels. La location de salles de fêtes pour la tenue d’événements est en outre interdite, tout comme la mise en place de buvettes lors de ceux-ci. Mais ce sont surtout les bars qui subissent de plein fouet ces nouvelles mesures : fermeture à 22h, interdiction de la vente d’alcool à emporter, et… interdiction de diffuser de la musique.
La vie nocturne sacrifiée
Intolérable pour Kat, patronne du Black Out : “Moi, ça me fait halluciner. Je suis très très en colère. La première question à se poser dans ce genre de cas, c’est à qui profite le crime ? Là ça paraît d’une évidence claire, en tous cas ça profite pas aux petits commerçants, ça profite aux grandes entreprises qui n’ont jamais eu si peu de concurrence. Quand tu vois qu’au début, ils ont arrêté les marchés de plein air alors que les commerçants étaient hyper réglo, à côté les supermarchés c’était autorisé…” Pour Kat, la logique est limpide : “Voilà, tu fermes les bars à 22h, tu entraves les restos, les gens vont donc acheter leur nourriture et leur alcool dans les supermarchés.”
Les nouvelles mesures sont difficiles à avaler pour la gérante qui ne pourra sans doute se verser aucun dividende cette année. “Comme la majorité des commerçants, tu paies tes factures à 45 jours [le confinement total aura duré dix jours de plus] donc quand tu te retrouves avec des factures à 10, 20 ou 30000 et que tu as fait zéro, c’est assez difficile…” Même si à titre personnel, Kat n’a pas mal vécu l’épreuve du confinement, qui lui a permis de prendre du temps pour elle et comme beaucoup, d’entamer de nouvelles réflexions, elle voit dans la gestion gouvernementale plus qu’un manque de cohérence : “Il y a certaines choses, tu te dis ça devient absurde, ils sont pas là pour nous protéger, vraiment pas.”
La patronne du Black Out a lancé un appel à ses homologues pouvant légalement le faire (tout dépend de leurs statuts) à passer en mode restauration à partir de 22h, afin de détourner les mesures préfectorales pour préserver leur activité. Elle-même proposera des repas allant de 2 à 4€ seulement. Un choix que comprend l’associé d’un bar de l’Écusson, qui a requis l’anonymat : “On doit s’en sortir, personne ne veut voir couler son projet.” Et qui lui aussi voit l’absurdité mécanique qui peut découler de la fermeture des bars à 22h : “C’est quelque chose dont on a beaucoup parlé entre confrères. Nombre d’entre nous avons fait au maximum pour le respect des règles sanitaires, or la fermeture à 22h multipliera le nombre de soirées privées où le protocole sanitaire ne peut évidemment être assuré.” Pour lui, difficile de se prendre de telles mesures aussi abruptement, et de ne pas faire la comparaison avec les cinémas ou théâtres, dont l’activité demeurera préservée mais où les règles de distanciation au final reviennent au même que dans le cas des bars.
“On a les informations au dernier moment, et on doit les pécher à droite ou à gauche. Les aides en région sont un cafouillis pas possible, de l’aveu même des agents territoriaux qui nous disent “passez à autre chose, concentrez vous sur votre affaire”. Mais on est dans un secteur très disparate, certains sont plus touchés que d’autres. Et personne ne sait vraiment combien de temps la situation va durer, on n’a pas l’impression que ces mesures changeront grand chose sur le plan sanitaire.“
Du côté du Popular Brewing, Ferran témoigne de la mise en place rigoureuse des normes sanitaires, que nous avons pu constater à plusieurs reprises : port du masque obligatoire en terrasse et à l’intérieur dès qu’on se lève de table, service à table et non au bar, gel hydroalcoolique, distanciation etc. “On a cessé les événements où il n’était pas possible d’assurer le protocole, car beaucoup de gens ne sont pas au fait ou ne prennent pas en compte les normes. De même, alors qu’on accueillait beaucoup de grosses tablées, de groupes, on a décidé de limiter les réservations.” Avec ces nouvelles mesures, le jeune homme s’attend à une baisse autour de 20% de son chiffre d’affaires. “On sait qu’on va perdre du chiffre et qu’a priori on ne sera pas dédommagé pour ça.”
Dans un bar du côté de Saint-Roch, un son de cloche un peu plus agacé : “C’est de la connerie, s’ils veulent arrêter le truc ils ferment aussi les supermarchés. Oui, on est touché [par la période Covid], mais qu’est-ce-que tu veux faire ? On courbe l’échine. Tu fais l’effronté, tu te fais fermer, c’est encore pire !”
La Mule est assez impressionnée par le nombre de patrons de bar ou de serveurs qui requièrent l’anonymat, par crainte de représailles de la Préfecture. Dans un autre bar vers la rue de l’Université, nous échangeons avec deux serveurs : “Ce genre de mesures a des répercussions sur nos payes, sur l’emploi. Par exemple, cet été, les bars ont du fermer à 1h du matin, pour nous c’est 2h de travail perdues chaque soir, ça se ressent directement sur le salaire, à la fin du mois, d’autant plus quand ces heures sont en heures sup’. On sait pas trop comment ça va se passer, mais apparemment c’est la guerre à la Préfecture. Personne ne comprend cette règle des 22h“.
C’est aussi le point de vue d’un restaurateur de l’Écusson qui a requis le plus strict anonymat. “J’ai du mal à croire que le virus soit au coin de la rue à partir de 22h01… Si vous voulez mon avis, c’est un ramassis d’âneries, de la part d’un gouvernement qui veut contrôler les gens et aller vers le tout autoritaire. Le virus, ça leur profite bien.” Même si les restaurateurs ne sont pas les plus touchés par les nouvelles mesures (ils pourront ouvrir jusqu’à minuit mais devront cesser l’accueil des clients à partir de 22h), le point de vue est rude sur l’incohérence des choix de la Préfecture : “L’interdiction de la musique dans le cas des restaurants c’est complètement absurde, vous imaginez quoi, qu’allez, il y a de la musique, on se lève de table et on va faire la chenille avec les voisins ?! “
Le restaurateur a dépensé plus de 1500€ dans des plaques de plexiglas pour assurer la tenue du protocole sanitaire. “La reprise s’est bien passée. Le 2 juin, lorsqu’on a réouvert après le confinement, ce qu’on voyait, c’était de la joie de vivre. Nous, ce qu’on constate, c’est que dans la bouche des clients aujourd’hui c’est récurrent : l’exaspération s’accroît, plus personne ne croit dans la gestion sanitaire.”
Petit passage à l’épicerie du coin, vers 20h, alors que celle-ci sera tenue à nouveau ce soir (après le couvre-feu de la période de confinement) de fermer ses portes deux heures plus tard. Le gérant malgré son sourire habituel ne cache pas son agacement : “On est tous du même avis, les épiciers du centre. Ce qu’ils veulent, c’est nous faire fermer. Une épicerie de nuit fermée après 22h, à la même heure que les supermarchés ou les bars, en quoi c’est une épicerie de nuit ? On veut nous faire mettre la clé sous la porte.”
L’urgence sanitaire selon la logique néolibérale
D’un point de vue sanitaire, ces mesures semblent-elles justifiées ? Oui, si l’on suit la logique néolibérale qui n’a en rien été enrayée par la crise du Covid19 et dans laquelle s’évertue à trouver son salut le gouvernement. Pour Rémy Ruiz, de la CGT CHU de Montpellier, “on ne comprend pas. Soit on décide d’arrêter complètement la propagation, et on arrête les écoles, le travail, les transports, soit on laisse circuler et on prend en charge médicalement.” Or, pour la section locale du syndicat, au final on ne suit ni une stratégie, ni l’autre, “on laisse circuler, mais un peu“.
La stratégie sanitaire actuelle ne permettrait ainsi qu’au mieux à ralentir la propagation du virus, afin d’éviter un débordement des services hospitaliers sans ne rien faire pour augmenter le potentiel de ceux-ci. Un tel plan se base sur une forte anticipation de la multiplication des cas puisque aujourd’hui on n’aurait qu’une cinquantaine d’hospitalisés en moyenne sur la région, dont une quinzaine de cas graves. Pour comparaison, il y a environ 800 lits de réanimation disponibles en Occitanie.
“C’est ridicule, pour vingt malades à Montpellier on passe en plan blanc” s’insurge Rémy Ruiz. “Cette stratégie s’inclut dans la baisse générale du potentiel de soin, dont on a vu les dégâts lors de la première vague et qui relève de choix politiques cyniques, on est dans de la “gestion de pénurie”.” En d’autres termes, on limite au maximum la casse tout en poursuivant le démantèlement de l’hôpital public.
Mais le pire pour le syndicaliste, c’est que dans tous les cas, il y a toujours des perdants : “C’est vous, les patients !“. Ainsi, cette politique de gestion de pénurie, avec une maximalisation de la mobilisation des centres hospitaliers pour le Covid19 a eu son impact sur les soins généraux prodigués à la population. “Pour les plus riches, il n’y aura jamais de soucis, ils peuvent se faire soigner dans le meilleur du privé. La deuxième vague, ce n’est pas celle du Covid, c’est celle des malades en retard de soin et qui nous arrivent dans des états aggravés. Tous les autres parcours de soin ont été ralentis, tout ce que l’on a appelé les “actes non-essentiels.” Les dépistages de maladies graves se font ainsi avec un retard non négligeable, ayant un impact sur le taux de mortalité de certaines pathologies qui n’ont rien à voir avec le coronavirus.
De manière générale, les mesures prises par le gouvernement apparaissent comme largement incohérentes lorsque la plupart des entreprises restent actives, que les transports surbondés favorisent la transmission du virus, et que les écoles, collèges et lycées demeurent ouverts en dépit de protocoles complexes à appliquer efficacement. Les professionnels des secteurs touchés, comme ceux du milieu médical, se montrent circonspects quant à des choix qui camouflent mal la volonté de poursuivre les politiques publiques dans le sens du démantèlement global de l’État social porté par la mandature Macron, et ce en plein phénomène pandémique. Quels que soient les secteurs interrogés, c’est aujourd’hui la colère qui gronde.
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