De St-Victor à Tehuantepec, l’Amassada étend sa lutte “contre EDF et son monde”

Lors du festival Zadenvies à Notre-Dame-des-Landes, des membres de l’Amassada, qui luttaient depuis 2015 contre l’implantation d’un méga-transformateur RTE sur la commune de St-Victor en Aveyron, sont venus en nombre pour donner quelques nouvelles de leur combat, qui a trouvé sa brutale fin locale avec le début des travaux. Mais aussi mettre à profit leurs expériences, enrichies par un voyage au Mexique, sur l’isthme de Tehuantepec, pour appeler à la création d’un vaste réseau de lutte “contre EDF et son monde”.

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Cette vidéo réalisée par l’Amassada, projetée lors du festival Zadenvies, revient sur les événements traversés par le collectif depuis son expulsion en octobre 2019.

L’arnaque de la transition énergétique

Après près de cinq ans d’occupation et de lutte acharnée, après avoir vécu la répression et le harcèlement policier, judiciaire, l’expulsion des cabanes de l’Amassada en octobre 2019 marquait l’échec d’un combat mené contre le géant EDF et son déploiement massif de parcs éoliens en Aveyron. Au delà de la sauvegarde d’un territoire agricole et naturel magnifique, les opposant·es ont sans cesse enrichi leur lutte d’une réflexion critique sur la “transition énergétique”.

Au nom des énergies renouvelables, qui agissent comme une caution morale, le développement de celle-ci colonise de vastes territoires afin de produire toujours plus d’électricité. Les énergies renouvelables participent de plus à l’explosion de l’extractivisme des matières premières et notamment des terres rares, en plus de poser le problème de leur faible durée de vie et de leur recyclage. L’économie capitaliste et sa vision toxique du monde tentent de se draper de vert pour préserver leurs privilèges et leur course folle à la croissance.

On ne peut plus se revendiquer écolo ou anticapitaliste sans être contre la transition énergétique.

Les infrastructures portées par la transition énergétique ne visent pas à autonomiser la production d’énergie et à la rendre moins polluante, mais à s’appuyer sur l’extraction d’énergies non fossiles. Aussi les immenses parcs d’énergie renouvelable, qu’elle soit éolienne ou photovoltaïque, sont-ils semblables et concourent aux productions croissantes des grosses industries. De plus, ces productions seront toujours complémentaires d’une filière nucléaire dont on peine à envisager la sortie en France, et qui est encore promue comme l’énergie la plus verte jusque dans les rangs écologistes politiques. Le maillage des intérêts du grand capital dans le secteur de l’énergie se reflètent jusque dans la répression subie par les opposant·es.

Cabanes sur l’Amassada, en juin 2019, avant l’expulsion

Sous le joug de la triade Police/Justice/Industrie

On a d’abord subi une répression légère, spontanée : des contrôles d’identité, des véhicules, de la présence en manifestations. Puis une arrestation et une inculpation pour “jet de feuilles végétales”, histoire de bien différencier avec la ramette en papier… On attend toujours la date de l’appel de ce procès.” Puis c’est l’accumulation des convocations, auxquelles les opposant·es de l’Amassada ne répondent pas, suivies d’arrestations au petit matin, sans ménagement, “parfois en slip“. Vient ensuite le temps des expropriations, alors qu’un collectif de 135 personnes avait racheté des terres en indivision au coeur du projet, une stratégie qui n’aura tenu qu’un temps. Puis les astreintes de 500€ par heure de présence sur les lieux, qui prennent la forme d’une zone à défendre après un appel lancé lors de la Fête du vent en 2018. Puis de nouvelles arrestations, gardes à vue, un nouveau procès, pour violences et dégradations (5 à 8 mois avec sursis). Les militant·es n’ont pu que constater le déploiement croissant des moyens de répression à leur égard, pour les affaiblir, les intimider, semer la division.

Et mis en pratique à travers les audiences l’évolution de leur posture de défense vers une opposition collective contre la triade Police/Justice/Industrie. L’idée est de développer la légitimité de leur action à travers le devoir de révolte présent à l’article 35 de la Déclaration des droits de l’Homme, la prise de conscience citoyenne face à “l’état de nécessité”, une posture appuyée lors du dernier procès des inculpé·es par les chercheurs Matthieu Rigouste et Christophe Bonneuil, appelés comme grands témoins. Au passage, on dénonce le mercenariat des forces de l’ordre pour les intérêts de l’industrie, alors que le recours administratif sur l’enquête d’utilité publique du projet est toujours en cours, même si non-suspensif. Si le tribunal condamne les opposant·es, il déboute également RTE (filiale d’EDF gérant le développement des infrastructures) de sa demande de dommages et intérêts pour de prétendues dégradations de la clôture du chantier (près de 25000€ étaient demandés).

Des pratiques criminelles à l’échelle du globe

Lors de la dernière Fête du vent qui s’était tenue sur les lieux de l’Amassada était présente une camarade mexicaine avec qui les opposant·es ont pu tisser des liens. Ceux-ci ont abouti à un voyage sur l’isthme de Tehuantepec au Sud du Mexique, par deux militants de l’Amassada, en mars 2020. Cette étroite bande terrestre qui sépare les océans Atlantique et Pacifique est connue pour l’abondance du vent qui y souffle, et en fait une zone très prisée pour les énergies renouvelables. C’est ainsi l’endroit où il y a déjà le plus d’éoliennes au monde.

EDF dispose de trois parcs éoliens sur place, parmi d’innombrables multinationales qui ont envahi le terrain. Le dernier acquis fait près de 4000 hectares, pur produit d’un immense accaparement de terres sur les populations indigènes. Le projet, entamé en 2017, a été stoppé net par la dévastation d’un séisme l’année suivante. Il a été relancé récemment. Sur place, les opposants expliquent aux militants de l’Amassada comment la consulta (équivalent de l’enquête publique) lancée en mars s’est déroulée “à la mexicaine” : au coeur d’immenses pressions.

Beaucoup d’opposant·es y ont participé, attachés à la préservation des terres indigènes dont la communalité est garantie par la constitution mexicaine. La question de leur transformation en propriété privée qui appartiendrait à des étrangers soulève les élans populaires indigènes. EDF et RTE, avec leurs 2000 éoliennes très concentrées, se présentent comme le socle du déploiement de la transition énergétique au Mexique. L’envers du décor : une emprise énorme du projet sur les formes de vie communautaires indigènes, présentes sur le territoire depuis bien avant la colonisation européenne. Pour imposer leurs vues, les entreprises françaises s’appuient alors sur un système de corruption, de violences liées à l’emploi des cartels, selon les témoignages de nombreux opposants, que l’Amassada publiera bientôt dans leur intégralité.

L’isthme de Tehuantepec concentre d’immenses intérêts géographiques et économiques. Il agrège un énorme développement industriel, qui devrait encore s’accroître avec le projet de couloir interocéanique visant à concurrencer le canal du Panama, accompagné du développement d’autoroutes, voies ferrées, gazoducs et d’industries tout autour. La somme de ces intérêts liés au monde financier est capable de déployer une violence inouïe pour parvenir à ses fins. Deux semaines avant le séjour des militants de l’Amassada au Mexique, un jeune ingénieur a été assassiné, pour une question d’accès à un contrat lié à un parc éolien. Sur place, les maires et élus trouvent eux aussi un intérêt financier direct en montant des entreprises de BTP qui seront employées sur les projets d’infrastructures. Tout le monde y goûte.

Lutter contre le colonialisme de l’ordre électrique

Le nouveau projet d’EDF sur 4000 hectares ne compte pour l’heure que cent éoliennes. Comme en Aveyron, il s’agit d’implanter doucement le projet tout en transformant au maximum de terres communales en propriétés privées en vue de s’inclure dans le couloir interocéanique. L’État français, au travers d’EDF, continue donc de coloniser au nom du développement durable. Ce type de grands projets vient détruire le tissu social mexicain et diviser les communautés, en terrorisant la population par la force ou en en corrompant les assemblées. Des assassinats viennent parfois toucher par dizaines les membres de communautés indigènes, selon les témoignages sur place. Rien que ces deux dernières années, plus de trente militant·es de mouvements écologistes ou indigénistes ont été assassinés au Mexique.

Fort de ces constatations, l’Amassada met le doigt sur un problème largement plus vaste que celui de l’éolien en axant sa lutte sur l’ensemble de l’arnaque de la transition énergétique. Produire toujours plus d’électricité tout en faisant varier le mix énergétique s’inscrit dans un projet sociétal toujours plus capitaliste. Alors comment lutter contre “l’enfer vert” qui nous est promis ?

Eolienne artisanale sur l’ancien site de l’Amassada

L’heure est à la création d’un réseau protéiforme, dans lequel chaque pratique peut venir enrichir la lutte. Pour contrer EDF, se faire d’abord le relais de l’information nationale et internationale sur les grands projets menés par le géant de l’énergie, et notamment à l’étranger où sa main de fer se passe parfois du gant de velours. Dans un deuxième temps, accentuer et élargir la mobilisation contre EDF à travers des rassemblements et actions ciblées sur le maximum de ses ambitions écocides, enquêter collectivement sur ces projets. Mais aussi, expérimenter des pistes pour l’autonomie énergétique par le biais de l’organisation de chantiers (éoliennes artisanales par exemple), et apprendre ainsi à se passer de ces grands projets industriels mortifères. Développer l’éducation populaire pour contrer le greenwashing dont ne peuvent plus se passer les grands groupes.

Le collectif appelle tous groupes et militant·es se sentant concernés par la problématique énergétique à se joindre à cette “lutte contre l’ordre électrique”, dont les contours doivent être définis ensemble pour aboutir à un discours clair, une sorte de charte, de feuille de route commune, permettant d’agir à l’échelle nationale comme internationale.

L’Amassada appelle à prendre contact et à proposer des pistes afin de participer à l’élaboration de ce nouveau réseau : lachose@riseup.net

Retrouvez notre série sur les Rencontres Intergalactiques à Notre-Dames-des-Landes et le festival Zadenvies :
1. Notre-Dame-des-Landes : la Terre est une zone à défendre
2. Les cantines populaires, atout indispensable au sein des luttes
3. Écologie sociale et municipalisme libertaire, face à l’effondrement qui vient
4. Le Rojava, expérience autonome au coeur des enjeux internationaux
5. De St-Victor à Tehuantepec, l’Amassada étend sa lutte “contre EDF et son monde”







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