Ce n’est pas parce que nous vivons en démocratie que nous avons le droit d’être raciste, homophobe, islamophobe, misogyne, etc. Au contraire, nous avons le devoir de défendre l’égalité, la fraternité et la liberté universelle.
Crise(s) et liberté d’expression.
La démocratie semble être comme une vague dans l’océan, soudaine et impermanente. Elle s’impose, puis voit émerger, sous ses ailes, les temps de dictatures, de fascismes, de régimes totalitaires. Submergés dans les crises de l’actualité, nous avons oublié notre passé, les guerres en Europe, les crimes contre l’humanité, des millions de morts, la famine, la peur, la haine. Nous sommes davantage, une société en crise d’identité, de valeurs.
La crise économique, démocratique et politique, se mélange et nous embrasse dans une formule dévastatrice pour la collectivité et la planète. La palpable agonie du capitalisme donne place à la pérennisation du néolibéralisme, qui conditionne les États démocratiques à ses désirs. Les partis politiques s’agenouillent face aux exigences de ceux et celles qui détiennent le capital, et dans cette fatale décadence, ce sont les populations les plus démunies qui paient la facture.
Partout dans le monde, les voix dissidentes se lèvent. Le gap entre les riches et pauvres s’approfondit et la crise creuse les inégalités. Au cours des dix dernières années, plus de 50 pays ont connu des révolutions sociales qui ont bousculé les pouvoirs établis. Désespérées, sans issues, les populations s’emparent de leurs droits réels, sautent dans les rues, prennent leur liberté de manifester et d’expression dans l’espace public.
Dans cette scène de théâtre social, les uns tentent de mettre en responsabilité les pouvoirs publics, les gouvernements, le modèle économique, la vision capitaliste, la ségrégation… D’autres cherchent un bouc émissaire : l’Union européenne, les migrants, les Arabes, l’Islam, le féminisme…
Récemment, suite aux mots de la chanteuse Camélia Jordana, le ministre de l’Intérieur, se hisse d’abord sur Twitter, puis sur le piédestal médiatique, pour défendre les forces de l’ordre et condamner les propos “haineux” de la jeune femme, qui a eu le courage d’exprimer publiquement de vrais problèmes de société : la discrimination systémique, le racisme institutionnel, et les violences policières.
“Je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau, c’est un fait”, “Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie”.
« La liberté du débat public ne permet pas de dire tout et n’importe quoi ».
Christophe Castaner résume ainsi sa vision de la liberté d’expression démocratique. Nous pouvons tout dire, mais tout ce qui met en danger l’ordre établi, les institutions de État, le gouvernement, c’est de la haine. Le 13 mai, au Parlement, sur la Loi AVIA, Marine le Pen accuse LREM de jouer avec la liberté d’expression sur les réseaux sociaux et de « sous-traiter la censure au privé ». Bien vu, mais on peut à raison se demander si la leader du RN s’insurge pour défendre la liberté d’expression démocratique (qui s’appuie sur le respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme et la constitution française) ou pour s’assurer que la propagande haineuse d’extrême droite puisse continuer à proliférer sur les réseaux sociaux, comme nous allons le présenter dans cet article.
Le “quatrième pouvoir” en crise.
En théorie, les médias, la presse professionnelle, l’appelé « quatrième pouvoir » apparait comme l’élan d’une vraie conscience sociale et politique. Il est, le contre-pouvoir bâti sur l’intérêt général, le respect des principes de l’État de droit et de l’observance à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais la réalité est une toute autre histoire. Les massmedia détenus par des grands groupes économiques, jouissent d’une très faible indépendance. Leurs journalistes, exercent leur travail avec des filtres politiques imposés par leurs rédactions, victimes elles aussi des conflits d’intérêts, du lobbying, ou de pressions idéologiques ou financières de la part des magnats qui en sont propriétaires.
Plongés ou coincés, on ne sait plus. Les média de masse, qui devraient assurer le bon fonctionnement de la démocratie, se construisent de plus en plus sur une logique d’accès à l’information partielle, unitaire, rentable, déshumanisée. De plus, avec le développement des réseaux sociaux, mais aussi l’utilisation massive des smartphones, les massmedia courent après l’information, qui la plupart du temps circule déjà sur les réseaux sociaux depuis des heures.
“Les media ne méritent plus la confiance qui leur était accordée par le passé”
Citation de Marine le Pen, face à Hugo Travers, qui justifie ainsi sa fakenews sur l’immigration.
Cette disgrâce des médias de masse, impulse des journalistes, des photographes, des vidéastes, ou de simples citoyen.ne.s à créer des centaines voire des milliers de médias libres/indépendants, blogs, forums, qui injectent dans les réseaux sociaux (comme une économie parallèle) les informations que les minorités, les groupes contestataires, les syndicats, les associations/ONG, ne pourraient jamais imaginer voir dans l’espace médiatique.
Dans ce monde médiatique en création, au-delà des « médias de gauche », anticapitalistes, anti-libéraux, antiracistes, féministes, etc, (répertoriés ici par l’Âge de faire) et des grands médias “bien à droite” tels que RT, CNEWS, TVLIBERTES, SPUTNIK, LE POINT, LE FIGARO, LA CROIX, VALEURS ACTUELLES, etc, nous voyons qu’Internet devient une porte d’entrée pour que des lignes politiques plus obscurantistes puissent se lâcher et déchainer leur haine sur les réseaux sociaux.
Nous pouvons constater parmi les raisons qui amènent l’extrême droite à coloniser les réseaux sociaux : le manque de confiance dans les médias de masse, la censure sociale (honte d’exprimer des idées fascistes en public), et la répression juridique (difficulté à tenir des lieux ouverts au public, comme les «bastion social» démantelés par la justice en 2019). Face à ces obstacles, l’extrême droite ne perd pas le train technologique, et rapidement a su s’investir dans les blogs, les médias indépendants, etc. De la même manière, elle a développé des associations, un institut de justice, des revues ou un Club de presse, et même un observatoire du journalisme.
Concernant l’Institut pour la justice, qui publie un entretien avec Aurore Mancini, vice-présidente de l’association L.E.A (Président Laurent de Béchade), une plateforme raciste contre le racisme anti-blanc. Le média SLATE, était relaxé en 2015, par la 14e Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Nanterre dans le cadre d’une plainte pour diffamation déposée par l’Institut pour la justice (IPJ) contre un article de 2011 : Ce qui se cache derrière l’Institut pour la justice – Contrairement à ce que son nom laisse penser, l’IPJ est en fait une association oscillant entre collectif de victimes et lobby institutionnel.
Liberation, avec Linkfluence, en 2017, a fait une étude pour connaitre l’impact des médias sur le flux de Facebook. L’étude agrège les partages, commentaires, «j’aime» et réactions en tout genre. Pour la fachosphère, et les infos issues de grands journaux comme Le Point et Valeurs actuelles, Linkfluence a pu recenser environ 650 000 interactions pour chacun. Mais le plus impressionnant note Libération: “Les deux hebdos de droite, fondés il y a plus ou moins cinquante ans, sont à la peine face à leurs nouveaux concurrents exaltés, souvent radicalisés, et forts de militants prosélytes : TV Libertés, FdeSouche et Actu 17 font deux à trois fois mieux qu’eux.”
Ce sont deux médias qui glorifient régulièrement le travail de la police dans les quartiers ou défendent une vision sécuritaire de la société, comme Actu17. Dans le cas de Français de Souche, la question identitaire est plus importante, la haine est contre les Arabes, les musulmans ou les migrants.
Fabriquer la haine sur réseaux sociaux.
Pour rendre nos lecteurs et lectrices à l’aise, mais aussi conscients de l’utilisation multiple du substantif “haine”, Il est important d’appréhender la différence entre : instrumentaliser la haine ou la violence, pour discréditer le discours ou les actions de ceux que nous considérons comme nos adversaires politiques, comme dans le cas de Camélia Jordana, qui dénonce les violences policières, un problème de société, et qui selon le ministre de l’intérieur tient des propos haineux. Et utiliser la haine, pour isoler, stigmatiser une minorité raciale spécifique, un groupe ethnique ou culturel.
Capture d’écran du site d’extrême droite ADOXA.
Pour illustrer, en 2010, sur les 13,8 millions d’Africains vivant hors du continent, 19 % auraient choisi de vivre en France (2,62 millions, excluant ceux et celles qui possèdent la nationalité française). En 2015, la diaspora portugaise en France représentait 2 650 000 individus (avec ceux et celles qui possèdent la nationalité Française) répartis sur plusieurs générations. Il y a donc plus de personnes issues de l’immigration portugaise qui vivent en France que d’émigrés actuels issus de tous les pays d’Afrique. Cependant, personne ne semble plus verser aujourd’hui de haine envers les portugais. Pourquoi ?
Il est important de comprendre que la propagande haineuse d’extrême droite sur Internet, ne vise pas seulement à s’engager dans une guerre politique contre la gauche voire l’extrême gauche, mais elle s’attaque également à la couleur de la peau, en renforçant le racisme systémique. A la liberté religieuse, en stigmatisant l’Islam. A la liberté de l’orientation sexuelle, en discriminant l’homosexualité, en stigmatisant le féminisme, etc. C’est la vision politique “d’un vieux monde” où la chasse aux sorcières continue, construit sur la suprématie blanche, éminemment raciste, catholique, néocolonialiste et impérialiste.
Capture d’écran d’un extrait de l’article mentionné dans le tweet.
Paradoxalement, l’extrême droite se dit défendre l’émancipation des femmes, mais est antiféministe. Milite contre la surveillance de masse, mais défend le surarmement de la police ou la militarisation des frontières. Se dit défendre les intérêts des plus défavorisés, mais stigmatise les quartiers populaires (où beaucoup de “Français de souche” habitent). Est du côté des travailleurs, et cependant rejette l’action des grands syndicats français. Au niveau international, elle défend une sortie de l’Europe, mais tisse des liens avec la Russie. En rapport aux ventes d’armes au reste du monde, pas de question, une fierté pour la France. Sur l’accaparement de ressources (pour le nucléaire, pétrolier, métallurgique, etc.) en Afrique, pas un mot.
Pour l’extrême droite, l’idée de souveraineté nationale se mélange avec la fierté de l’impérialisme français dans le monde. Le media d’extrême droite Dreuz.info, dans l’article “Du temps de la France, l’Algérie c’était le paradis ! “, manipule les mots d’Hocine Aït Ahmed, révolutionnaire et anticolonialiste algérien, pour ses propres fins idéologiques…
L’extrême droite et la liberté d’expression.
Dans de nombreux pays, nous avons vu à quel point les partis politiques d’extrême droite s’acharnent contre de nouvelles lois anti-racistes ou anti-homophobes. Ces partis, comme le UDC/SVP en Suisse ou VOX en Espagne, dénoncent des lois liberticides qui « sous le couvert de la tolérance, [bannissent] certaines opinions du discours démocratique ».
Pour l’extrême droite, la liberté d’expression apparaît démunie, vidée, de sa propre essence et de ses propres principes, pour devenir une matière souple, malléable aux intérêts de tous et de chacun. Un outil purement intellectuel, capable de déchaîner tant de bien que de mal.
Au-delà d’une profonde crise d’identité, l’extrême droite a vraiment un problème de mémoire (voir L’extrême droite et le piège de l’oubli). Comment pourrions-nous oublier que ce fut à travers des luttes populaires, que le peuple Français opprimé, a arraché “de force” de la main des tyrans, ce que nous appelons aujourd’hui la liberté d’expression, la liberté de la presse, etc.
Bastille, 1789. Artist : Granger Collection
Dans cette crise majeure, qui touche tous les individus et toutes les classes de la société, ce serait un acte de conscience de la part de nos représentants politiques, d’embrasser la solidarité internationale, la responsabilité écologique, la fraternité entre les peuples, et de mener le désarmement progressif de tous les pays au monde.
Entre temps, pour le malheur de tous-ceux et celles qui défendent les droits de l’homme, le constat est accablant. L’extrémisme politique en Europe grimpe, l’extrême droite, qui colonise déjà une grande partie des gouvernements d’Europe, profite de l’insécurité des populations pour prêcher le protectionnisme et le repli identitaire, et pour y achever son programme politique totalitariste voire fasciste.
Une vision, mais aussi une stratégie politique offensive, qui fait primer la haine entre humains, propagée (à fond) dans les médias d’extrême droite en France, et qui selon ceux-ci, permettra au pays de garder ses “anciennes valeurs”, de s’émanciper d’un monde globalisé à la merci des marchés, des lois européennes, de la culture arabe, des Chinois, etc.
Au contraire de la propagande de gauche, souvent accusée d’ouvrir l’Europe aux migrants, l’extrême droite colonise les réseaux sociaux avec une violence raciste insupportable, mais aussi préoccupante et nuisible pour le journalisme, car elle porte de nombreuses imprécisions, du confusionnisme, des fakenews, paradoxes ou demi-vérités.
Regardons cet exemple : Damien Rieu, militant d’extrême droite chez les Identitaires, a posté un tweet d’Amaury Bucco, journaliste chez Valeurs Actuelles, qui aborde le thème des funérailles: “Habituellement environ 80% des corps musulmans sont rapatriés dans leur pays d’origine et enterrés selon les rites islamiques. La fermeture des frontières rend cette démarche impossible (en raison de la crise du COVID-19 N.D.L.R). D’où la demande de carrés musulmans dans les cimetières français “. Damien Rieu, fait une très mauvaise interprétation des informations fournies: “Donc 80% des musulmans ne se sentent pas Français?” Puis le site d’extrême droite Nouvelles de France, qui relaie les infos de Twitter, retouche le titre et supprime “Donc” et “?”. Le titre de l’actualité apparait ainsi : “80% des musulmans ne se sentent pas français”. Une affirmation incorrecte, un FAKENEWS.
L’image qui accompagne l’article, pour ne rien clarifier, n’a rien à voir avec la France. C’est une photo prise sur le site Harissa, une fondation pro-juive américaine, qui illustre l’article: “L’Occident du Déviant, Occident des Arabes et des Islamistes, par Jacques Tarnero”.
Le vrai problème des médias d’extrême droite repose sur le fait que la source de l’information, la réalité des faits exposés, restent souvent intouchables. Car en général elles sont reprises de l’AFP ou d’autres médias de masse. Nonobstant, les mécanismes de distorsion et de manipulation de l’information, se font tellement subtils (changement de titre, changement du sens ou ordre du texte, intertitres, etc.) qu’ils ciblent surtout l’instinct émotionnel : l’insécurité, de la perte d’identité, le racisme, la xénophobie, etc. Le résultat désiré de ce genre de sites est de forger, en douceur, le consentement, l’acceptation de la violence raciste, islamophobe, misogyne, etc.
Le site FdeSouche, est un exemple clair d’un journal numérique, qui à travers les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook, manipule l’information pour accroître la peur irrationnelle, l’homophobie, le racisme, etc.
À titre d’exemple : Sébastien de Lyon, auteur chez Fdesouche, dans un délire littéraire, prend comme référence de base pour son article : Meurtre de Jean Dussine : une militante pro-migrants prétend qu’ « il n’y a jamais eu de violences » de la part des migrants… « Jamais » vraiment ?“. L’article de FranceBleu donne en fait la parole aux associations qui dénoncent exactement la récupération (de ce type de tragédies) pour stigmatiser les migrants.
Des propos “inacceptables et odieux” ont circulé sur les réseaux sociaux après le meurtre ce mardi 12 mai matin de Jean Dussine, président de l’association cherbourgeoise d’aide aux migrants Itinérance, selon le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.
Pour terminer ce petit exposé d’une liste non exhaustive, nous vous laissons des captures d’écran de quelques médias d’extrême droite en France. Leur but est de diffuser “subtilement” des notions racistes, homophobes, anti-féministes, islamophobes, etc. Nous avons trouvé aussi des sites qui partagent des idées et des théorie de l’« european white supremacy » ou du nationalisme européen, pro-Israël, anti-musulman, fervents de la théorie du grand remplacement, etc.
Vu l’enjeu stratégique de ces média dans les champs politique et social, nous (citoyen.nes, journalistes, chercheurs, militant.e.s, etc.) avons tout intérêt à réfléchir aux conditions qui leur permettent d’envahir l’espace médiatique, et aux conséquences sur l’opinion publique.
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