Police : le R.I.O. et la stratégie de la fuite

Photo: Policiers de la BAC de Montpellier.

LDH MTP (dialogue obs. LDH et police BAC)19.10.2019

Le R.I.O.

Le référentiel des identités et de l’organisation (R.I.O) est l’une des petites dispositions de la loi française visant à protéger les libertés et les abus de pouvoir de la part de la police. L’obligation de porter le R.I.O n’a jamais été vraiment respectée par les forces de l’ordre, depuis 2014 et sa mise en place.

A travers cette question, nous pourrions avoir tendance à distinguer “le travail quotidien de la police” des événements “extraordinaires” tels que des manifestations. Cependant, des rapports d’ONG, associations, collectifs, etc, montrent que l’abus de pouvoir par la police existe, et que ceci s’avère difficile à reconnaitre et intérioriser dans l’espace public, en particulier pour des Français.es issues des classes moyennes et hautes, qui échappent encore à la paupérisation de la société.

En 2010, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), dans son rapport sur la France, mettait en avant le fait que “certains points demeurent préoccupants”, principalement sur la question du “profilage racial en matière de contrôle d’identité”. Le 16 novembre 2011, quelques députés font une proposition de loi relative aux contrôles d’identité et à la lutte contre les contrôles au faciès. Dans l’exposé de leurs motifs, les députés présentent que « les personnes perçues comme “Noires” couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que celles perçues comme “Blanches” d’être contrôlées par la police. Les personnes perçues comme “Arabes” couraient, quant à elles, entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les supposés “Blancs”. » La proposition de loi visait alors les “conséquences d’une « ethnicisation » croissante” dans les contrôles de police subis par des citoyens français d’origine étrangère.

Un constat “alarmant” confirmé aussi par Amnesty International, mais dans un cas cette fois relatif aux migrants, qui a pu documenter de “multiples violations des droits” par les autorités françaises : “Contrôles au faciès réguliers dans les trains en provenance de Vintimille. Refoulements de 157 personnes en Italie, sans qu’elles aient la possibilité de demander l’asile ou que leur situation individuelle soit étudiée. Privation de liberté, dans des conditions indignes et sans que les personnes n’aient accès à leurs droits. Les forces de police n’ont pas pris en compte la minorité de 11 jeunes personnes, qui ont été refoulées illégalement vers l’Italie et ont ensuite été raccompagnées par les forces de police italienne en France”.

Face à de tels rapports, le Défenseur des Droits de l’époque, Dominique Baudis, après huit mois de travaux, a rendu public le son «rapport relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d’identité». Le défenseur des droits formule quelques propositions qui dérangent avant tout les syndicats de police: Le retour du matricule (RIO), abandonné depuis 1984, et développer une nouvelle doctrine d’emploi d’encadrement des «palpations de sécurité».”

Les syndicats agonisent.

L’autre côté de ce théâtre forgé est que les syndicats de police “alliés dans une harmonie spectaculaire” ont rejeté le “récépissé”. Un choix bien calculé, car le récépissé aurait révélé en “chiffres” la réalité sur le terrain.

En 2013, une fois abandonnée l’idée de remise d’un récépissé en cas de contrôle, Manuel Valls embrasse la proposition du défenseur des Droits, Dominique Baudis et annonce que «les forces de l’ordre devront porter leur numéro de matricule sur l’uniforme dès cet automne.» Après l’annonce du ministre de l’Intérieur, les syndicats de policiers passent plusieurs mois à grogner, et communiquer sur le fait que cette immatriculation” stigmatise la police, et que les policiers n’orientent certainement pas leurs contrôles en fonction de la couleur de peau, etc…

« Les agents qui exercent leurs missions en tenue d’uniforme doivent être porteurs, au cours de l’exécution de celles-ci, de leur numéro d’identification individuel. Toutefois, en raison de la nature de leurs missions, sont exemptés de cette obligation de port :

– les personnels chargés de la sécurité des sites de la direction centrale du renseignement intérieur ;

– les personnels chargés de la sécurité des bâtiments des représentations diplomatiques françaises à l’étranger ;

– les personnels appelés à revêtir leur tenue d’honneur lors de cérémonies ou commémorations. »

Disposition légale, dont la création et la mise en vigueur en 2014 par le ministère Valls, ont donné aux syndicats policiers des “attaques de démangeaisons“, préoccupés par une institution police qui serait dès lors stigmatisée“, signe de défiancequi “pourrait aussi être utilisé comme un facteur de déstabilisation des policiers notamment dans les quartiers sensibles”.

Le gros problème est la facilité avec laquelle ces fissures fournies par les mesures antiterroristes se répandent dans l’espace public, dans le maintien de l’ordre, dans la répression politique, etc.

Ces mêmes syndicats, qui pour la plupart, se sont clairement tournés vers des idées frisant avec l’extrême-droite pour défendre “le statut de la police”, sont capables d’imaginer les pires des scénarios politiques et d’instrumentaliser le terrorisme pour cacher et protéger à tout prix l’identité des policiers qui commettent des fautes graves. Souvenons-nous, après le décès de Jean-Baptiste Salvaing et de Jessica Schneider, SGP-FO réclamait le «port d’arme en tout temps, en tout lieu».

Lorsque certains s’approchent d’un État policier, d’autres exposent les véritables conséquences de la violence policière. Le collectif Cases Rebelles, à l’occasion d’une commémoration en juin 2016, celle de la mort de Lamine Dieng tué par la police le 17 juin 2007, publie un livre : 100 portraits contre l’État policier. “Il s’agissait pour nous d’associer dans un même espace-temps 100 victimes de la police, de la gendarmerie, de la prison, 100 victimes selon nous de la violence d’État.”

 

Ces violences, majoritairement vécues dans les banlieues, se transposent aujourd’hui aux manifestations. Les reporters sur le terrain, comme parfois de simples manifestants, ont enregistré, diffusé, parfois en direct d’innombrables cas de violences policières, qui en l’absence de R.I.O. sur les images souvent nombreuses, finiront classées sans suite, car en civil et cagoulés, les agents impliqués étaient bien sûr non identifiables par l’IGPN. C’est dire la curieuse incapacité de cet organe qui appartient pourtant à la police, quand on la compare à l’exécution d’enquêtes fourmillant d’imagination et d’images d’identification qui ont permis la judiciarisation de milliers de Gilets jaunes, avant mais surtout depuis la loi “anti-casseurs”. L’a prioriqu’il n’y a pas d’intention coupable de la part des policiers” ou qu’ils sont nécessairement là pour notre sécurité, au regard de la situation actuelle en France, relève de la plaisanterie de mauvais gout. Il y a de trop nombreux exemples de cette facilité de l’IGPN à protéger les siens. L’un des derniers cas, c’est l’affaire de Lilian à Strasbourg :

 La plainte contre X pour blessures involontaires, que ses parents avaient déposé dès le 14 janvier a été classée sans suite car l’auteur du tir de LBD n’est pas identifiable selon L’IGPN. Seulement, la police des polices, celle qui a remis son rapport au juge d’instruction devant apporter des réponses à la famille, n’est pas connue pour sa « transparence », n’en déplaise au ministre de l’intérieur, Christophe Castaner.

 

Le R.I.O. et la stratégie de la fuite.

Lorsque nous entrons en contact avec des juristes, des avocats et demandons si “les policiers peuvent refuser de donner leur RIO?”. Ils nous répondent unanimement que : les agents doivent porter «leur numéro d’identification individuel», (art 3. arrêté du 24 décembre 2013). Par ailleurs, les “personnels qui exercent leurs missions en tenue civile et qui, au cours des opérations de police, revêtent un effet d’identification dont ils sont dotés, et notamment ceux qui doivent être porteurs de façon visible de l’un des moyens matériels d’identification « police », tel le brassard police, sont également soumis, à cette occasion, au port de leur numéro d’identification individuel” (art 4).

Pour lutter contre les contrôles abusifs, en lieu et place d’un ticket ou récépissé qui aurait laissé une trace écrite de chaque contrôle, un choix politique de moindre mal a été fait par Valls : ce matricule scratché sur l’uniforme, qui ne contribue en rien à immortaliser l’action policière, permet de plus aux agents de ne simplement pas le porter. Stratégie fallacieuse bien négociée par les syndicats de police, qui présente le potentiel d’être facilement contournée par les agents en service, et non-punissable bien que régie par la loi. Plusieurs médias pour faire face à des inquiétudes et questionnements des Francais.es sur le R.I.O., publient des articles qui bien souvent révèlent la malhonnêteté, le confusionnisme qui peut régner chez certains au sein de la police, et qui réaffirment que le port du R.I.O est obligatoire.

Le Checknews du Libé du 15 mars 2019, sur les absences répétées du matricule en terrain de manifestation notamment, expose en toute clarté que: “au moment de l’entrée en vigueur de ces mesures, en janvier 2014, le ministre de l’intérieur Manuel Valls déclare qu’il «ne tolèrer[a] aucun manquement» concernant le port du matricule. Celui-ci doit permettre, selon le futur Premier ministre d’adresser «des messages de confiance à la population». Des manquements, pourtant, il y en a eu. «Matricules des policiers : y a rien à voir», écrivait ainsi Libé en 2016, notant que lors des manifestations contre la Loi travail, «l’absence de matricule visible a été constatée à de nombreuses reprises.» Un rapport du Défenseur des droits de décembre 2017 consacré au «maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie» ne dit pas autre chose : «L’identification des forces de l’ordre est souvent difficile dans les opérations de maintien de l’ordre. Les différentes unités et, surtout, les fonctionnaires sont souvent difficiles à identifier, en particulier les agents intervenant en civil. En effet, ces derniers ne sont pas toujours porteurs des brassards “Police”, ce qui créé des confusions y compris au sein des forces de l’ordre elles-mêmes. De même, le port du numéro d’identification RIO est loin d’être systématique dans les opérations de maintien de l’ordre.»

La dernière fakenews confusionniste dans les rangs de la police date du 5 décembre. Lorsque, deux journalistes se faisant fouiller, un des policiers a affirmé qu’il n’avait pas besoin de porter le R.I.O, car il faisait « du maintien de l’ordre ». Même le 20Minutes expose le manque de formation des policiers dans cet article : “Le numéro d’identification RIO des policiers, facultatif en mission de « maintien de l’ordre » ? C’est faux. La loi est claire sur le port du RIO. Ce « numéro d’identification individuel » doit être porté par « les agents qui exercent leurs missions en tenue d’uniforme » pendant l’exécution de ces missions. C’est la même chose pour les agents en civil.”

La magie du R.I.O une fois qu’il n’est pas porté, c’est l’invisibilité.

Encore une fois de plus l’État et nos représentants “se lavent les mains” et remettent la responsabilité aux citoyen.ne.s victimes de violences policières d’aller porter plainte chez l’agresseur “sans aucun moyen d’identification” du policier.e concerné.e. Tâche difficile qui au-delà des “refus de plainte déjà documentés”, nécessite beaucoup de courage et de détachement de l’expérience vécue.

A travers le R.I.O, on décèle une sorte de subterfuge politique, servant pour un pouvoir qui s’apprête à réprimer durement les manifestations de la Loi travail, à garantir et perpétuer l’impunité des violences policières. Car généralement les victimes ne se plaignent pas, en particulier les femmes qui sont souvent mal accueillies au commissariat. Cela révèle également la promiscuité qui existe entre le gouvernement, la police et les IGPN-IGGN.

 







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