Didier Super s’insurge contre la société

Après un bon repas non loin du port de Sète, la Mule rencontrait l’inénarrable Didier Super, et eut la chance d’obtenir un entretien à mi-chemin entre l’artiste et la personne. Olivier Haudegond, de son vrai nom, opère depuis près de vingt ans sur la scène underground, et a sous son nom de scène, réussi à créer un personnage unique, entre causticité, cynisme et révolte. Il livre pour la Mule ses sentiments sur l’actualité récente entre politique, capital, religions, gilets jaunes, fin du monde etc.

Olivier Haudegond est originaire du Nord. Il officie d’abord dans un groupe de punk à Douai, Zeu Discomobile, qui ne restera pas vraiment dans les annales. C’est en 2002 qu’il se lance en solo sous le nom Didier Super. Artiste de rue avant tout, il interprète des chansons aux textes mordants et cyniques, dont l’assimilation est impossible pour toute personne un peu juste en second degré. Avec l’explosion d’Internet, il trouve un terrain de jeu idéal pour émerger, et commence à se faire un nom sur le territoire, notamment en mettant en ligne gratuitement ses chansons et des vidéos, rapidement une première démo. Il fait partie de cette nouvelle génération de la chanson humoristique française, à laquelle on peut raccrocher les Wampas ou encore feu Jean-Luc Le Ténia.

C’est avec un faux documentaire que Didier Super se fait connaître, Misère Joyeuse, qui propose une traversée de l’Inde post-tsunami, avec un regard dont l’ironie et le cynisme sont tellement piquants qu’on hésite parfois entre le rire et les larmes. On peut déjà voir ce qui fera la marque de fabrique de Didier Super, la confusion entre le mensonge et la vérité, la subjectivité et la réalité, prompte à faire bondir de leurs sièges ceux des spectateurs qui ne connaissent pas le bonhomme.

C’est en 2004 que Didier Super signe son premier album chez V2 Music (qui avait notamment produit Marcel et son Orchestre). Celui-ci s’intitule : Vaut mieux en rire que s’en foutre, une formule à la Desproges, qui résume parfaitement le contenu du disque. Cet album catalyse et grave dans le marbre le personnage de Didier Super, une espèce de gros con à la franchouillarde, anti-social, à moitié raciste, haineux, ou plaintif. Didier Super concentre tout ce qui se fait de pire chez les Français.

Synthétiseur pourri, boîte à rythme bas de gamme, chant complètement faux et éraillé… On retrouvera dans ce premier album des chansons qui sont devenues des classiques de l’artiste : Petit caniche, peluche pour vieux, dans laquelle il dénonce en quelques sortes la dégénérescence de la vieillesse ; Arrête de ta la péter, qui serait plutôt une ode anti-beaufs ; ou encore l’inoubliable Y’en a des biens, tube qui se propose de mettre tout le monde d’accord, entre arabes, lesbiennes, handicapés, juifs, romanos, noirs, etc… Rappelons à nos lecteurs à quel degré il convient d’entendre ces paroles, qui viennent se placer sur la langue du “français moyen”.

Grâce à son premier album, Didier Super accède à une certaine notoriété et enchaîne les concerts où il interprète des chansons provocatrices, souvent sous la forme d’un spectacle plus que d’une simple prestation musicale. Aussi s’étonne-t-on que Télérama, avec une certaine naïveté, ait à l’époque tenu à décerner à l’album le titre de “plus mauvais disque du monde et de tous les temps“… Didier Super n’a jamais quitté cet esprit de l’art de rue, qui conditionne son art et notamment sa production phonographique particulière.

Après plusieurs années de tournées, son label est en 2007 racheté par Universal, qui le presse de sortir un deuxième album. C’est non sans se foutre royalement de ce dernier que Didier Super propose Vaut mieux en rire que s’en foutre 2, ou Version pour les vieux, qui consiste en une réorchestration façon musique savante des chansons du premier album.

A partir de 2008, il lance sa tournée de Concerts sans musique, qu’il présente au Théâtre du Temple puis au Point Virgule, à Paris. A la base, il présente celle-ci comme ayant été conçue pour repousser les hordes de lycéens et “fans à la con” qui ne viennent le voir que pour entendre Petit caniche. C’est un succès qui lui permet de recoller complètement à l’esprit du théâtre de rue et de la prestation comique. Didier Super, c’est aussi un art du “bide” inégalable, qui peut autant faire rire que mettre mal à l’aise.

Alors qu’il continue sa production de vidéos diffusées sur internet, Didier Super sort en 2008 un nouvel album “Ben quoi ?” Toujours dans le même style musical en carton pâte qui fait sa marque de fabrique, bien que l’on relève un peu plus de soin dans la conception des instrumentales, l’artiste décline là de nouvelles chansons aux thèmes toujours plus provocateurs : Comme un enfant au Brésil (“Les enfants, ça sert à rien, faut les brûler, comme au Brésil!”) ; A bas les gens qui bossent ; Putain d’Chinois, etc. Didier Super enchaîne avec en 2009 la sortie de “La merde des autres“, album de reprises enregistré avec son ancien groupe Zeu Discomobile, où on peut l’entendre réinterpréter de grands classiques de la chanson française : Femmes je vous aime, Les démons de minuit, Belle-Île en mer, etc.

Parallèlement, Didier Super poursuit son activité théâtrale, et produit son nouveau spectacle dès 2010 : Et si Didier Super était la réincarnation du Christ ? pastiche de comédie musicale autour de son personnage, où il officie avec une équipe de cinq personnes. On est pas loin du style de Broadway… !

Il va jouer ce spectacle dans toute la France, avant d’en concevoir un nouveau en 2013, Ta vie sera plus moche que la mienne. Depuis 2019 : Didier Super est bien plus marrant que tous ces comiques de merde. Globalement, la vie de Didier Super est plus celle d’un acteur, d’un artiste de rue, que celle d’un musicien, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ses prestations, originales et revigorantes. Son dernier album Vacances à vos frais est paru en 2016.

L’apport de Didier Super à la scène française, plutôt moribonde depuis que le grand capital s’est saisi du secteur musical dans une furie de rachats de labels et de fusions, est frais, unique et indispensable. Car personne aussi bien que lui n’a su se saisir de la provocation dans l’espace public, tout en gardant très fermement ancrée sa tête sur les épaules. Car si Didier Super a par exemple fait quelques passages télé, ce fut toujours dans cet esprit d’ironie et de provocation, et il n’en a jamais tiré une volonté de notoriété grandissante. Il s’en est servi tout juste comme il le fallait pour rameuter quelques intrigués dans ses spectacles, mais jamais pour se rendre célèbre. Il est un point d’accroche idéal entre humour, musique et engagement politique dénonciateur. Pour les inconditionnels de l’humour noir, il apparaît presque comme légendaire.

* petite coquille dans un sous-titre de notre vidéo, Etienne Chouard s’écrit avec un D et non un T 😉 Toutes nos excuses pour cette petite erreur d’inattention.







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