Trois ans après, Marseille pleure Zineb dans une colère sourde

Trois ans. Trois ans que Marseille pleure Zineb. Zineb Redouane, c’est cette grand-mère algérienne de 80 ans, la première et unique victime mortelle de la répression violente abattue sur le mouvement des Gilets jaunes, morte dans le sillage des effondrements de la rue d’Aubagne, qui avaient mobilisé des milliers de personnes dans la rue ce même jour. Victime pure du maintien de l’ordre, car Zineb ne faisait que fermer les volets de son appartement, rue des Feuillants, le 1er décembre 2018, lorsqu’elle a été visée par le tir d’un lanceur de grenades, tandis que le cortège fluo passait sous ses fenêtres. Depuis, une enquête préliminaire qui patine, beaucoup de questions, et le ferme dessein d’habitant·es de Marseille comme d’ailleurs, d’obtenir la vérité et la justice sur cette affaire.

Ce samedi 4 décembre 2021 à Marseille, plusieurs milliers de personnes se sont réunies pour honorer la mémoire de Zineb Redouane et manifester bruyamment leur colère. Cette marche d’hommage s’inscrivait dans un programme d’un mois, du 1311 au 1312, consacré à la thématique des violences d’État. Elle se tenait au lendemain d’une rencontre autour des notions de vérité et de contre-enquête, organisée par le collectif Désarmons-les en présence de nombre de familles de victimes.

Ces dernières se sont évidemment jointes à la manifestation partie à 16 heures du Vieux-Port : Houda, Farid, Issam, Malika… La soeur, le frère, le père, la mère, la tante, la nièce… de Zineb, Mohamed, Wissam, Souheil, Mohamed… Tant d’autres dont la présence est invoquée par les voix en choeur de la foule, leurs noms qui résonnent comme des coups dans une litanie glaçante. Des larmes aussi, beaucoup de larmes. Quand le cortège s’arrête sous les volets de Zineb. Quand une mère réclame justice pour son fils adolescent. “Ils ont tué mon bébé !” Quand la soeur de Mohamed Gabsi, dont les yeux mouillés se perdent parfois dans les froides brumes marseillaises, promène son regard noir sur les sirènes bleues qui tournoient au loin. Le coeur serré, mais épaulé, enlacé, choyé, par l’amour furieux qui unanime, anime toutes et tous.

La colère qui sourde face aux visages gris, impassibles, impénétrables, des bleus qui, obéissant au préfet, interdisent Noailles aux manifestant·es. Bien sûr qu’ils tuent. Comment pourrait-il en être autrement ? La police tue, elle fait bien d’autres choses, mais elle tue. Les milliers de personnes présentes en constituent l’irréfutable preuve, et l’ovation sacrée qu’elles exclament fait bouillir l’air glacial de décembre. Le cortège impose son rythme cardiaque, fait renaître les morts. Les pétards explosent, les fumigènes craquent. Les majeurs levés et les sifflements stridents fendent le ciel grisâtre.

Le fluo et le noir quasi général se répondent dans la nuit tombante. Évidemment que ça pètera. Tout le monde le sent. Plusieurs centaines hardies emmènent la foule qui traverse vaillamment la Plaine. Un peu plus bas, un feu d’artifice éclate dans le ciel flamboyant, alors que les halos bleus s’approchent dans un silence lointain.

Deux mondes finissent par se faire face. La foule est impressionnante derrière ses banderoles, la tension vibrante. Une dizaine de projectiles viennent saluer les nombreux CRS, une poubelle en feu se précipite sur leurs lignes. Ils restent de marbre, devant leurs imposants fourgons. L’OPJ avec son mégaphone déclame ses sommations.

Longues sommations, inhabituelles. La dernière, répétée en vain, comme s’il fallait absolument reporter l’affrontement. Mais le peuple insiste. Alors on envoie le gaz, puis on charge. La foule se repousse, se disperse, se retrouve. Par grappes de centaines, on se fond dans la nuit. On spotte des baqueux, ça hue, ça menace. On retourne sur la Canebière, on se rassemble aux Réformés. Je rejoins les quelques familles de victimes que j’aperçois près d’un café. On discute brièvement, on s’étreint, on se dit au revoir.

Quand la colère s’apaisera-t-elle ? Est-ce seulement possible ? Combien, comme Houda Gabsi, la soeur de Mohamed, comme Malika, la mère d’un autre Mohamed, oscilleront sans fin de la rage au chagrin, avant de retrouver un semblant de paix ? Est-ce seulement possible ? Combien, comme Farid El-Yamni, n’attendent plus rien de la justice, et ne luttent plus que pour qu’accouche la vérité dans le réel ? Pour qu’elle éclate aux yeux du monde, pour qu’aucune oreille n’y échappe. Pour que plus personne n’accepte que le massacre se fasse en son nom. Pour que les choses fassent à nouveau sens. Est-ce seulement possible ?







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