La mairie de Montpellier mise en cause dans l’expulsion du bidonville du Zénith 2

Hier, nous publiions un article revenant sur l’expulsion sans préavis du bidonville du Zénith 2 à Montpellier, menée d’une main de fer, une semaine après celle du site du Mas Rouge, par le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh. Malgré les alertes des associations et des soutiens des habitant·es, la mairie, propriétaire du terrain, si elle a assuré dans un communiqué ne pas avoir demandé d’expulsion, n’a pas agi non plus pour empêcher cette dernière. Son aval était pourtant nécessaire pour une telle intervention, prévue en pleine rentrée scolaire et en dépit de l’action sociale menée depuis plusieurs années dans le bidonville. L’intervention brutale a fortement déstabilisé l’existence de plus d’une centaine de personnes, dont de nombreux enfants, pour une partie déplacés en hébergement d’urgence.

Lire notre article – Bidonvilles à Montpellier : la politique de la terre brûlée du préfet Moutouh

Sur place, lors de l’expulsion, les militant·es s’interrogeaient donc sur l’immobilité coupable de la municipalité. Tout en se heurtant aux dénégations de l’huissier venu exécuter son mandat d’expulsion, lequel arguait qu’un simple communiqué de presse n’avait aucun fondement juridique et n’engageait pas la mairie. Circonspection…

“Nous savons que la mairie a sollicité l’expulsion”

Les associations et organisations s’étant réunies en collectif pour dénoncer l’expulsion, mettent aujourd’hui directement en cause le maire Michaël Delafosse dans le déroulé des événements, et dénoncent la responsabilité de la ville. Dans une lettre ouverte à la mairie de Montpellier, elles annoncent la couleur : “Nous savons que la mairie a sollicité l’expulsion.”

Non, un simple communiqué ne peut pas engager la mairie : c’est bien ce que nous a dit l’huissier avant d’expulser.” Puis, faisant référence à l’audience demandée en urgence devant le juge judiciaire pour tenter, ce mercredi 8 septembre, de faire annuler l’expulsion : “Oui, la Ville de Montpellier a dit au juge que “l’expulsion s’imposait” et a demandé au juge de ne pas accorder de délai d’expulsion. Oui, la Ville était en lien avec l’huissier et a travaillé en coordination avec ce dernier qui, tel qu’il l’a affirmé, [avait] bien un mandat initial confirmé.” La mairie, partie prenante en tant que propriétaire des terrains, a ainsi du se prononcer sur une position concrète, totalement antagoniste de celle qu’elle a tenté de véhiculer par les médias.

Lors de l’expulsion du bidonville du Zénith 2, ce mercredi 8 septembre

Selon une source proche du dossier, lors de cette audience, si pour la mairie “l’expulsion s’imposait“, elle l’a justifiée par des “raisons sanitaires“. Or, un tel motif devrait en principe donner lieu à la prise d’un arrêté de péril, lequel peut donner lieu à une contestation devant le Tribunal administratif. On nous alerte ainsi sur un possible contournement de l’État de droit par la mairie. Celle-ci aurait par ailleurs été représentée lors de la réunion de coordination des services de l’État en vue de préparer l’expulsion.

Sur les lieux de l’expulsion, nous avons constaté la présence de nombreux employés d’une société dénommée “Ciel Vert”, sise à Mauguio, chargée du nettoyage du site et de l’enlèvement de meubles appartenant aux habitant·es. L’un des employés nous a confié que la société travaillerait pour la mairie.

Par la voix de la Ligue des droits de l’Homme, le collectif contre les expulsions annonce solliciter un rendez-vous avec le maire dans les plus brefs délais.

* LDH Montpellier, DAL, Cimade Montpellier, RESF 34, ATTAC Montpellier, Carmagnole, ATD Quart Monde, CGT 34, Solidaires 34, Solidaires étudiants,  UCL, PG 34, Ensemble 34 !, LFI Montpellier, NPA 34

Hugues Moutouh : “On n’est pas à Rio ici !”

Au lendemain de l’expulsion du Zénith 2, le nouveau préfet Hugues Moutouh se paie une petite opération de com’ dans la Gazette. Deux pages d’entretien autour de la question des bidonvilles ; deux encarts pour résumer la parole des opposant·es à l’expulsion et la communication toute en langue de bois de la ville, et quelques lignes évoquant les soupçons d’illégalité de l’expulsion. Le préfet justifie ses expulsions par les conditions sanitaires des bidonvilles, les risques d’incendies ou encore l’illégalité des occupations. On sent vite transparaître un certain discours : “On a des bidonvilles qui sont établis en totale illégalité. Moi, ça me gêne. Il y a un moment où on ne peut pas tout faire et on ne peut pas encourager les ressortissants étrangers à vivre dans l’illégalité. On n’est pas à Rio, ici !” Mais alors où sont donc les bidonvilles établis en toute légalité ?

Le préfet évoque pêle-mêle les 23 591 demandes de logements sociaux en attente sur la métropole (3164 attributions l’an dernier…) et les hébergements d’urgence proposés “à chaque personne vivant en situation illégale dans ce campement […], aux frais du contribuable.” Plus loin, au journaliste qui souligne le caractère temporaire de ces hébergements : “C’est temporaire, mais ça peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois. Et c’est payé par nos impôts. Il faut le dire quand même !” Il fallait bien insister, parce que ce pognon de dingue… on connaît l’histoire. Qui doit aussi parler à M. Delafosse puisqu’on apprend dans cet interview que le terrain est depuis l’expulsion gardienné… aux frais de la Métropole !

Bienvenue à “l’école du crime” et “de la marginalité”

Les bidonvilles sont assez souvent le reflet de flux migratoires extrêmement précarisés et marginalisés… Les conditions sanitaires, d’accès aux soins ou à l’eau y sont évidemment mauvaises. Cependant le préfet s’attache à y tresser une vision presque endogène de la criminalité ou de la délinquance : “Le bidonville est une école du crime, une école de la marginalité.” Et seule l’expulsion pourrait interrompre ce cycle. Le préfet juge ainsi que “le travail qui est fait par les associations est sans doute très important. Mais ça fait sept ans que ça dure. Donc, pour moi, il n’a pas suffisamment porté ses fruits. Et je ne vais pas laisser ces gens vivre encore pendant vingt ans dans un bidonville.” Les concerné·es apprécieront. Et pourtant, un peu plus loin : “Je pense qu’on ne peut pas demander à l’État ce qu’il n’est pas en mesure d’offrir. Est-ce que vous trouveriez normal que je débloque un budget de cinq millions d’euros pour construire une sorte de village vacances sur le territoire de la Métropole pour ces populations ?” Que du bonheur.

Lire aussi – Crise du logement : quand l’État démissionne, l’explosion de la précarité

Le préfet renouvelle pour terminer sa promesse : “La politique qui est la mienne sera celle d’une résorption progressive des bidonvilles. Je ne vais pas en faire un par semaine pendant deux ans, ce sera progressif. Mais l’objectif est réellement le démantèlement des bidonvilles.” Pour cela, il promet un “travail plus structurel. Je l’ai proposé aux associations qui pourtant me critiquent beaucoup. On me reproche de ne pas faire ce qui a été fait jusqu’à présent : c’est-à-dire finalement pas grand chose.” Pourtant, la Métropole votait en décembre dernier une subvention de 40000€ pour la lutte contre l’insalubrité du bidonville du Zénith 2. Les contribuables, elles et eux aussi, apprécieront.

Le sujet s’immisce dans l’arène politique

C’est en effet le mouvement Nous Sommes qui a, dans un communiqué relayé par le Mouvement, rappelé cette dernière information. “La question de la responsabilité du Maire de notre ville se pose crûment. Comment expliquer le silence assourdissant d’un Maire pourtant habituellement prompt à réagir sur tous les faits divers et alors que 250 habitants de la ville dont il a la responsabilité se retrouvent à la rue ? Y aurait-il à ses yeux des Montpelliérains de seconde voire de troisième zone qui ne mériteraient pas son soutien ? Au-delà de ce silence et des tentatives d’enfumage du service communication de la Ville, il y a des actes qui ne trompent pas.

MAJ : Dans Midi Libre, le député LREM de l’Hérault Nicolas Démoulin dénonce l’interventionnisme du préfet, pourtant nommé récemment par le gouvernement de Macron. “On vient d’annihiler le travail du gouvernement et des associations” s’enhardit même le parlementaire.

Silence radio du côté de la mairie PS et de ses allié·es écolos. Toujours dans le Mouvement, le PCF allié de la majorité enfonce des portes ouvertes : “En France dans la 5ème puissance économique mondiale en 2021, des populations vivent encore dans des bidonvilles et subissent une extrême précarité.” Pourtant, le reste du communiqué s’acharne à défendre le bilan de la Ville, “en lien avec le milieu associatif qui réalise des actions formidables avec les populations qui vivent en bidonvilles. Il nous a semblé nécessaire, à l’occasion de la contractualisation du plan pauvreté d’améliorer l’hygiène et la sécurité sur ces lieux pour qu’on rende à ses habitants un minimum de dignité.”

Les cocos font sans doute là référence aux actions portées à différentes échelles, qui allaient notamment aboutir sur le bidonville du Zénith 2, à la mise en place d’un accès sécurisé à l’électricité, de douches et de sanitaires… Le tout est bien d’éluder la responsabilité de la Ville dans l’expulsion, et surtout, de charger le préfet Hugues Moutouh : “La violence physique et symbolique des expulsions du 31 Août au camp du Mas Rouge et du 8 Septembre au camp du Zénith 2 est inacceptable. Lors de sa prise de fonction, il a déclaré vouloir « nettoyer la ville », il commence en criminalisant la pauvreté.”

Ça promet…

 







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