Ce n’était donc qu’une mise en bouche. Le 14 juillet dernier, deux jours après l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron, et l’annonce d’un Pass sanitaire obligatoire pour accéder aux restaurants, aux cinémas, aux musées, au stade, etc. 1500 personnes s’étaient réunies à Montpellier (et environ 17000 à l’échelle nationale selon les autorités..), dans une joyeuse ambiance comme la ville n’en avait plus vécu depuis quelques mois. Un succès pourtant relatif, au vu de l’affluence et de l’impact médiatique de la mobilisation, loin d’un défilé du 14-Juillet parfait pour asseoir l’autorité du président. Ce samedi 17 juillet, le mouvement a réellement démarré. La préfecture de l’Hérault – qui verra un nouveau préfet, Hugues Moutouh, arriver ce lundi 19 juillet – a compté environ 5500 manifestants à Montpellier. L’Intérieur en a dénombré 114 000 en France, dans 136 rassemblements.
Pourtant, ici aussi, un sentiment étrange nous parcourait en quittant la manif’ et relativisait ce succès populaire. Comme une impression de fracture entre citoyens de plus en plus radicalisés. Que le ton monte plus fort et plus vite qu’avant, et que le temps est plein de certitudes. Sans même parler des réseaux sociaux, avez-vous déjà réussi à convaincre quelqu’un d’avis différent ces derniers temps ?
On a vu et entendu de tout dans cette manifestation. Encore des étoiles jaunes, sur des stickers et des badges, des références au IIIe Reich, à la guillotine et à Louis XVI… Mais les médias auraient tort, comme ils semblent le faire, de réduire ce peuple mécontent à une troupe d’antivax, voire de complotistes. L’opposition au pass sanitaire touche une partie bien plus large de la population.
Au départ de la Comédie, vers 14h30, le cortège monte la rue de la Loge pour se poster une première fois devant la préfecture, rencontrant un dispositif policier plus massif que le 14 juillet, mais très pacifique. Les slogans mettent toutes les sensibilités d’accord : « Nous ne sommes pas des cobayes », « Du pass sanitaire, on n’en veut pas ! », « Résistance ! ». Les revendications sont claires. Il s’agit de refuser la « dictature sanitaire », de garder le choix de se faire vacciner ou non, de disposer de son corps, et de ne pas être discriminés ou privés de droits pour son choix. Il s’agit aussi de répondre à la nouvelle séance d’infantilisation jupitérienne. Il est surtout question de « liberté ».
Céline travaille au CHU de Nîmes. Sa direction lui a donné jusqu’au 15 septembre pour se faire vacciner. Elle ne le souhaite pas – « on n’a aucun recul » – mais n’exclut pas un coup de seringue (ou deux, ou trois, ça varie). N’empêche que la contrainte et le chantage à l’emploi la choquent. « Il y a 1,7 million de personnes qui ont pris rendez-vous chez le médecin » les vingt-quatre heures suivant l’allocution d’Emmanuel Macron. « Tu te rends compte ? ». On ne se vaccine pas par conviction, mais pour garder ses droits. En regardant plus largement que notre bout de territoire, force est de contaster l’ironie de devoir forcer des gens à se vacciner, alors que d’autres le réclament. L’Afrique n’a pas encore pu vacciner 2% de sa population et l’Europe tarde à lui envoyer les doses promises.
Les forces de l’ordre bloquant l’accès à la place du marché aux fleurs (entrée principale de la pref), la foule a ensuite remonté la rue Foch pour passer sous l’Arc de Triomphe. Après la descente du boulevard du Jeu de paume, la remontée de la grand’rue Jean-Moulin. Notons un petit arrêt d’une partie du cortège devant la plaque apposée sur le bâtiment qui a abrité Jean Moulin un temps, l’occasion de reprendre en chœur les appels à la « Résistance ! ». De retour sur la Comédie, le cortège descend vers la gare Saint-Roch.
C’est le temps fort de la manifestation, le moment où la foule est la plus nombreuse. Des policiers de la CDI34 bloquent l’entrée de la gare. Les portes sont condamnées, empêchant les voyageurs d’en sortir, ou d’y entrer. Ceux qui voulaient prendre les 15h18 pour Paris et 15h35 pour Marseille s’agacent. « Toujours les manifs ! Qu’ils restent chez eux s’ils ne veulent pas se faire vacciner ! ». Un agent de sécurité leur indique de passer par l’entrée du haut. Mais les portes sont également bloquées. Le soleil tape et un voyageur chargé peste contre un agent de sécurité de l’autre côté de la vitre, qui reste sourd à ses toc-toc. « Il tourne la tête quand on tape. On est traités comme du bétail, c’est scandaleux ! ». Un jeune agent de sécurité finit par ouvrir une petite porte au fond. Les voyageurs ont enfin pu se ruer dans la gare, en croisant ceux qui voulaient sortir dans un mouvement « pas très Covid » comme on dit. Un manifestant a bien essayé de s’introduire dans la gare via l’escalator extérieur, mais il s’est vu refoulé par un vigile à l’insulte facile. En bas, ça ne force pas. Les policiers restent calmes, et ne réagissent pas à l’appel d’une manifestante : « On demande aux forces de l’ordre de nous rejoindre ! ». Une Marseillaise est entonnée devant la gare, avant la prise de parole du médecin controversé Denis Agret, qui finira par remercier un à un les policiers présents. « La police avec nous ! La police avec nous ! », scande la foule.
De re-retour sur la Comédie, postés au niveau de l’arrêt de tram, on a cru halluciner, mais non. Ce sont bien deux témoins de Jéhovah maquillés, en plein prêche à l’adresse du cortège, avec micro et ampli : « Le problème, c’est pas le Covid ! Le problème, c’est ta masturbation, c’est tes pêchés, c’est les relations sexuelles hors mariage ! Appelle le Seigneur, il te répondra ! Appelle Jésus-Christ ». « Tu rigoles ? » s’étouffe une manifestante, avant de poursuivre sa route, voyant vite qu’ils ne faisaient pas partie du cortège. J’essaie d’imaginer ce que cela aurait donné, un Allah Akbar au micro…
Le cortège perd en nombre à l’esplanade Charles-de Gaulle, ainsi que dans les ruelles de l’Ecusson. La tentative de rejoindre la préfecture côté marché aux fleurs, comme mercredi dernier, se heurte cette fois aux CRS, qui bloquent facilement les passages étroits. Place Candolle, une manifestante s’en prend aux gens assis en terrasse : « Ce n’est pas en restant ici que vous allez changer quelque chose ». La foule redescend alors sur le boulevard Louis-Blanc, et remonte vers l’arc de Triomphe en passant par Albert-1er. Ils n’étaient plus que quelques centaines de personnes pour un dernier passage devant la préfecture, où une deuxième Marseillaise fait un flop et se termine par des applaudissements aux CRS, et à nouveau des remerciements. Etrange, vraiment.
Photographies : Clara Maillé et Photocratie
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