Aux jardins ouvriers d’Aubervilliers, l’écologie rencontre la lutte des classes

Un oeil sur les grands projets écocides en région parisienne : Menacé·es par la construction d’une piscine d’entraînement pour les Jeux Olympiques de 2024, des jardinier.es luttent contre la gentrification et le bétonnage du quartier du Fort d’Aubervilliers.

En sortant du métro, à Fort d’Aubervilliers, on se retrouve entouré par le béton. Les voitures roulent vite sur l’ancienne route nationale, aujourd’hui Avenue Jean Jaurès, qui marque le passage de la commune d’Aubervilliers à celle de Pantin. Derrière nous, la cité de la Maladrerie avec ses architectures audacieuses et labyrinthiques ; devant, l’autre cité historique des Courtilières. Personne ne pourrait imaginer à première vue qu’en traversant la rue et le parking du métro, on peut retrouver 2.2 hectares de jardins ouvriers, connus comme « Jardins des Vertus ». Ces espaces verts, dont tout habitant de la ville peut obtenir une parcelle à cultiver en faisant demande à l’association constituée en 1935, confinent avec le fort d’Aubervilliers et sa ceinture de bois et avec d’autres jardins ouvriers, dits « de Pantin ». En réalité, tout l’espace du fort est partie de la ville d’Aubervilliers, dont il constitue l’un des principaux espaces verts et le principal rempart contre les vagues de chaleur.

Malheureusement, ce sont des endroits peu connus par les Albertvillarien·nes, car les jardins sont des lieux privés où l’on ne peut accéder que sur invitation d’un·e jardinier·e. Ce samedi, comme chaque semaine, nous avons la chance de pouvoir y entrer grâce aux visites organisées par le collectif de défense des jardins. Nous traversons le parking avoisinant ceux-ci, déjà fermé et où tous les arbres ont été coupés, et nous nous approchons de la porte d’entrée. Maria nous accueille souriante et commence tout de suite le tour, en nous montrant des cartes du projet qui menace de disparition un hectare entier de jardins.

La société Grand Paris Aménagement (GPA), avec la mairie d’Aubervilliers, veut construire en vue des Jeux olympiques de 2024, une piscine d’entraînement avec solarium et sauna annexe. Le bassin de la piscine reposerait sur le parking, alors que le solarium impacterait lui une bonne partie des parcelles de jardins. Le projet entrerait dans le cadre, plus large, de l’aménagement du fort d’Aubervilliers, comprenant la construction d’un nouvel « éco-quartier » qui prévoit 1800 nouveaux logements et 37000 m² de bureaux, sans compter les commerces et l’hôtellerie. Noyau central et principale attraction du nouveau quartier : le centre aquatique, et la gare du métro ligne 15, qui devra permettre des déplacements plus rapides vers la capitale et dont la livraison est prévue en 2030.

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Inutile de dire que l’éco-quartier se présente comme un projet « vert », où les milieux naturels vont être « préservés et intensifiés » et dont « l’ambition est d’ouvrir les jardins au public régulièrement ». Pour le moment, la seule chose qui est certaine est que 10000 m² de jardins vont disparaître. En continuant notre promenade avec Maria, nous comprenons quelle importance peut avoir cet espace, non seulement pour les personnes qui le cultivent, mais aussi pour la collectivité. Les connaissances et savoir-faire des jardinier·es sont vitaux dans cette époque de ravages climatiques et environnementaux. Maria semble connaître par cœur toutes les plantes et les espèces qui habitent les jardins, et le tableau qu’elle nous dessine est d’une complexité et d’une fragilité extrême. Pour beaucoup de jardinier·es, cet endroit constitue un espace où pouvoir expérimenter, apprendre des techniques, mais surtout entrer en contact avec la nature, apprendre les rythmes qui lui sont propres.

Hussein, jardinier depuis une dizaine d’années, a construit lui-même sa cabane et il en est très fier : « Ils vont la détruire et ils ne vont même pas m’indemniser », nous dit-il pendant qu’il nous montre tout ce qu’il cultive, « eux, ils ne parlent que de détruire. Ils disent que je pourrai avoir une autre parcelle dans les jardins d’à côté, mais c’est pas pareil. Et puis j’ai cinq arbres à déplacer, comment on peut le faire ? ». Il est évident que GPA n’a pas tenu compte, dans ses propositions de compensation, que la biodiversité n’est pas quelque chose de remplaçable, comme nous dit Anne, habitante d’Aubervilliers et membre du collectif de défense des jardins : « Une jardinière a une belle expression : ‘ils ne comprennent pas qu’ils ne pourront pas déplacer mes lombrics avec moi’ ». Les jardins sont aussi une source de liens sociaux et d’amitié, et plusieurs jardinier·es nous témoignent s’être tiré·es d’une forte dépression grâce à la possibilité d’aller cultiver leur parcelle.

Bientôt, les parcelles qui leur ont fourni un précieux soutien alimentaire et économique, et qui ont été source de socialité, seront définitivement perdues : les jardinier·es dont les terrains entrent dans l’aire du chantier sont sommé·es de les quitter avant le 29 avril prochain.

Les jardinier·es ne sont pas forcément opposé·es à la construction d’une piscine, comme le souligne Hussein : « Je ne suis pas contre la piscine en soi, c’est le solarium qui va détruire nos parcelles. » La nécessité d’un endroit où pouvoir apprendre à nager est reconnue, mais la mégalomanie du projet est mal comprise. Selon Anne, le fait de construire la piscine ne devrait pas être automatiquement lié au projet du solarium : « Nous ne comprenons pas pourquoi ce solarium est nécessaire. Même en assumant un point de vue strictement économique, il pourrait être construit sur le toit de la piscine. Quand nous avons proposé ça, ils nous ont répondu que le projet était déjà en retard et que le changer aurait impliqué de devoir payer des amendes ». L’objet de la discorde, le solarium, serait pourtant la seule chose garantissant la rentabilité économique du complexe aquatique. Le projet de construction se base sur une convention de délégation de service public, et selon les mots de la maire Karine Franclet, sans un solarium on ne pourrait pas trouver un délégataire. Au contraire, le projet a été confié à la société Spie-Batignolles, pour un coût de construction de 33,6 M d’euros. Le coût du fonctionnement, à la charge de la mairie, n’est pas encore fixé, mais le chiffre prévu actuellement est de 1,7 M d’euros par an, soit plus que pour l’ancienne piscine communale.

Spie-Batignolles a déjà démarré le chantier d’une autre piscine labellisée Jeux Olympiques à Aulnay-sous-Bois, dont le ticket d’entrée serait de 16 euros, selon le Parisien. Les jardinier·es contestent un prix surélevé pour une ville si pauvre, et soulignent que le complexe aquatique ne sera pas, selon eux, pour les habitant·es d’Aubervilliers, mais pour ceux et celles qui déménageront dans le nouvel « éco-quartier ». Effectivement, le chantier de la piscine semble entrer à plein titre dans une dynamique de gentrification, alors que la piscine elle-même n’était pas demandée par l’organisation des JO. La ville d’Aubervilliers avait déjà essayé de faire construire la piscine des Jeux sur son territoire, mais avait échoué lorsque le Groupement d’Intérêt Public qui gérait la candidature avait choisi Saint-Denis et la zone du Stade de France pour ce projet. Maintenant, celui-ci revient sous la forme d’une « piscine d’entraînement », mais pour le collectif de défense des jardins, ce n’est qu’un cheval de Troie : « Les jardins ne sont pas rentables » dit Anne. « Le solarium est une porte d’entrée qui permettra ensuite aux promoteurs de grignoter tout le reste ».

Face au risque de voir disparaître sept hectares de lieux verts, le collectif essaie de multiplier ses initiatives : « Nous avons mené un recours gracieux à Plaine Commune qui n’a pas donné de réponse, donc on va présenter un contentieux, même si on a peu de chances que ça aboutisse » affirme encore Anne. À côté de cela, les initiatives comme les visites des jardins ont comme objectif d’étendre la mobilisation populaire. Une manifestation est prévue le 17 avril : ce sera l’une des dernières occasions pour essayer de stopper la bétonisation des Jardins des Vertus.







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