La Mule s’est procurée le texte suivant, traduit par l’un de nos contacts au Forum Civique Européen, et présenté intégralement dans le corporateeurope.org le 05.02.2021, que nous avons choisi de relayer. L’enquête est le fruit d’un partenariat entre des journalistes d’investigation du Corporate Europe Observatory (Observatoire des entreprises en Europe) et de la ZDF Magazin Royale. Elle s’intitule: “Lobbying Fortress Europe – The making of a border-industrial complex“.
Le 15 février, une procédure pénale était enclenchée contre FRONTEX pour demander l’arrêt des activités “criminelles” de l’agence en Grèce, plus précisément dans la mer Égée.
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La liste des participants lors des 16 réunions de lobbying de l’agence européenne de gestion des frontières Frontex entre 2017 et 2019 ressemble au “who’s who” de l’industrie de l’armement. Glock, Airbus, Heckler & Koch etc. Des catalogues d’armes de poing ont été distribués et les mérites des drones de surveillance expliqués dans des présentations PowerPoint colorées.
Il n’y avait pas d’observateurs extérieurs aux réunions. Et Frontex n’a pas rendu accessible au public le contenu de ces réunions. Un registre de transparence des lobbies, tel que demandé par les parlementaires européens il y a deux ans, n’a toujours pas encore été publié par Frontex. En réponse à une question du ZDF Magazin Royale, l’agence de l’UE a écrit à la fin du mois de janvier:
»Frontex ne rencontre pas les lobbyistes.«
Puisque Frontex, en tant qu’agence de l’UE, n’est pas à la hauteur de sa responsabilité, le ZDF Magazin Royale a repris cette tâche. Nous publions ici les FICHIERS FRONTEX. Le premier registre de transparence des lobbies de l’armement de l’agence de gestion des frontières Frontex.
Vous pouvez activer les sous-titres de la vidéo en français.
Qu’avons-nous fait?
Avec les chercheuses Luisa Izuzquiza, Margarida Silva et Myriam Douo et l’ONG “Ask the State”, ZDF Magazin Royale a analysé 142 documents issus de 16 réunions industrielles organisées par Frontex entre 2017 et 2019. Il s’agissait notamment de programmes, de listes de participants, de présentations PowerPoint et de catalogues promotionnels.
Comment avons-nous obtenu les documents?
Nous avons obtenu ces documents par le biais de demandes en vertu de la loi sur la liberté d’information de l’Union Européenne.
Qu’y a-t-il de spécial et de nouveau?
Jusqu’à présent, l’agence Frontex n’a publié que partiellement les invitations aux réunions sur son site web. Elle n’a pas publié qui a été invité et qu’est-ce qui y a été présenté.
Que dit Frontex et qu’est-ce qui est vrai?
En réponse à une question d’un député européen en 2018, Frontex a déclaré qu’elle ne rencontre que les lobbyistes qui sont enregistrés dans le registre de transparence de l’UE et l’agence publie un aperçu annuel des réunions sur son site web. En 2017, il n’y aurait pas eu de telles réunions.
Ce n’est pas vrai. Rien qu’en 2017, Frontex a tenu quatre réunions avec des représentants de groupes de pression. 58 % des participants n’étaient pas inscrits dans le registre de transparence de l’UE. Lors des réunions de 2018 et 2019, 72 % (91 sur 125) des lobbyistes n’étaient pas enregistrés.
À la demande de ZDF Magazin Royale, Frontex écrit:
»Frontex ne rencontre pas les lobbyistes. Elle invite les représentants des entreprises à participer aux journées industrielles de l’agence, qui sont conçues pour aider les agents des gardes-frontières à s’informer sur les nouvelles technologies et les innovations liées au contrôle des frontières.«
C’est également faux : l’évaluation des présentations et des catalogues montre que les entreprises ont tenté d’influencer la politique de l’agence. Dans certains cas, leurs propositions ont déjà été mises en œuvre.
Qui était présent aux réunions de lobbying de Frontex?
Les réunions ont été suivies par 138 représentants d’institutions privées : 108 représentants d’entreprises, 10 groupes de réflexion, 15 universités, une organisation non gouvernementale. Pas une seule organisation de défense des droits de l’homme n’était présente à ces réunions.
Outre les représentants des autorités frontalières de l’UE, Frontex a également invité des organisations internationales telles qu’Interpol, Europol et l’OSCE à ces réunions, ainsi que des représentants d’États connus pour leur politique brutale de protection des frontières : le gouvernement australien, le département de la sécurité intérieure des États-Unis, le ministère angolais de l’intérieur, des représentants de la direction générale de la résidence et des affaires étrangères des Émirats Arabes Unis et l’agence des gardes-frontières du Belarus.
Quels produits ont été présentés?
Lors de ces réunions, dont certaines étaient thématiques, différents équipements ont été présentés qui seront utilisés pour défendre les frontières extérieures de l’UE. Il s’agit d’armes de poing, de munitions et d’équipements de surveillance tels que des capteurs, des drones, des caméras et des serveurs pour le stockage de données biométriques. Les produits ont été présentés dans des présentations PowerPoint.
Pourquoi c’est problématique quand Frontex rencontre des entreprises d’armement?
Dans le cadre du nouveau mandat, approuvé par le Parlement européen au printemps 2019, Frontex disposera de sa propre “réserve permanente” de 10’000 agents d’ici 2027 et sera autorisée à équiper ceux-ci d’armes légères lorsqu’ils seront déployés à la frontière.
Le problème : à ce jour, il n’existe aucune réglementation légale qui autorise les fonctionnaires d’une agence de l’UE à porter des armes à feu.
- « Alexandrie. Le renseignement maritime en tant que service ».
Quels sont les autres problèmes?
Un des sujets les plus demandés lors des réunions : la collecte, l’utilisation et le stockage de données biométriques (telles que les empreintes digitales, l’iris, les visages, le rythme cardiaque), qui devraient à terme rendre obsolète l’identification au moyen de passeports. L’utilisation des technologies de reconnaissance faciale est très controversée au sein de l’UE et n’a jusqu’à présent pas été suffisamment réglementée par la loi. En conséquence le Parlement Européen s’est prononcé en faveur d’un moratoire légal sur leur déploiement.
- « L’application de la biométrie à nos frontières »
Que signifient ces documents pour les personnes en fuite?
Les personnes qui tentent de franchir la frontière extérieure de l’UE sont présentées dans les documents qui sont disponibles presque exclusivement comme des menaces ou considérées comme des objets à “gérer”. Cette situation est fatale étant donné l’absence des organisations des droits de l’homme aux réunions de Frontex et le fait que l’agence est accusée pour des refoulements violents aux frontières (pushbacks) qui ne sont toujours pas éclaircis.
Pourquoi Frontex est-il si intéressant pour les lobbyistes?
Frontex est l’agence qui connaît la croissance la plus rapide dans l’Union européenne. En 2005, année de sa création, l’agence disposait d’un budget de 6 millions d’euros, mais en 2020, ce chiffre était passé à 460 millions d’euros. Pour les années 2021 à 2027, Frontex dispose d’un total de 11 milliards d’euros.
En outre, depuis 2019, Frontex a un nouveau mandat qui permet la possession et l’acquisition d’avions, de drones et d’armes à feu, bien qu’il n’y ait pas de base juridique pour ces dernières.
Cela en vaut-il la peine pour les entreprises?
Il existe un chevauchement important entre des entreprises qui font pression directement sur Frontex et celles qui profitent des contrats de l’UE pour assurer la protection des frontières extérieures de l’UE.
Où puis-je obtenir plus d’informations sur ce sujet?
Les chercheurs Luisa Izuzquiza, Margarida Silva et Myriam Douo ont rédigé un rapport détaillé sur ces documents et l’ont publié au Corporate Europe Observatory. Cliquez ici pour le rapport: klick.
Traduction : Hannes Lammler – lammler@forumcivique.org
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