Ce mardi 26 janvier a vu des milliers de personnes, étudiant·es ou issues du milieu de l’enseignement, défiler partout en France pour exprimer leur ras-le-bol face à une gestion du secteur jugée catastrophique, en contexte de crise sanitaire, par le gouvernement Castex. Instits, enseignants-chercheurs, mais aussi assistant·es d’éducation ou infirmières et assistantes sociales scolaires, se sont mis en grève, les syndicats annonçant un taux de participation allant de 30 à 40%. À Montpellier, ce sont environ 1500 personnes qui ont battu le pavé depuis la place de la Comédie et se sont lancées dans un tour de l’Écusson, pour finir par bruyamment se masser devant les portes du rectorat.
L’Éducation nationale hantée par le protocole fantôme
“Protocole fantôme“. Les personnels de l’Éducation nationale étaient nombreux derrière les couleurs syndicales, pour manifester leur indignation face à la gestion du protocole sanitaire dans les établissements primaires et secondaires. Pour Romain Larive, délégué Snesup-FSU, “c’est du grand n’importe quoi, les directives ne sont pas les mêmes partout, et on a des injonctions qui changent toutes les deux semaines. Les enseignant·es et personnels se retrouvent à devoir mettre en place des mesures sans aucun moyen supplémentaire, au mépris de la santé des salarié·es, des conditions d’étude et en terme de service public de l’éducation.”
“L’Éducation nationale, poursuit l’enseignant-chercheur à la faculté de pharmacie, ça fait plus de dix ans que c’est la petite roue du carrosse en termes de budget. Et ça se paye plus particulièrement en ces temps de pandémie, en contexte d’une gestion particulièrement calamiteuse, avec de grosses difficultés traversées par les élèves et les personnels.” La crise sanitaire qui se poursuit depuis maintenant un an n’a pas amené de vision d’ampleur pour maintenir à flots l’éducation publique : pas d’embauches massives ou de revalorisation salariale, et des conditions de travail unanimement dénoncées par les manifestant·es. Aussi, les revendications des assistant·es d’éducation s’inscrivaient-elles particulièrement dans le propos : en grève depuis le 19 janvier, c’est sur ces dernier·es et leurs statuts plus que précaires, que vient en partie se reposer l’impossible mise en place du “protocole fantôme”.
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Les universités, grandes sacrifiées de la crise
“Étudiants fantômes“. Ce sont les mots inscrits en blanc sur une immense banderole noire portée par des étudiant·es, venu·es en nombre pour manifester le malaise qu’ils et elles ressentent dans cette période si particulière. Ce qui ne les a pas empêché·es de mener le cortège dans une humeur revendicative et festive, aux côtés du Scum ou de Solidaire·s Étudiant·es, alternant force slogans à l’encontre des Vidal, Blanquer, Castex ou autre Macron, clappings et chants anticapitalistes ou antifascistes, qui se sont propagés plus en arrière dans la foule. Ni de poursuivre un peu plus loin la manifestation jusque sur les marches des Trois-Grâces, rapidement escaladées et couvertes de pancartes et de banderoles.
Le président Macron ne s’y trompait pas, dans un élan de commisération légèrement hypocrite : difficile d’avoir la vingtaine en ce début de troisième millénaire. C’est l’impression nette que dégagent les paroles ou regards inquiets parmi les étudiant·es. Lucile, Clara et Maëlys sont en licence info-com à Paul-Valéry. Elles regrettent que les universités aient été les grandes sacrifiées de l’enseignement public : “On n’a pas le choix entre présentiel ou distanciel, tous nos cours sont à distance, c’est très compliqué.” Pour Églantine, qui a la chance quant à elle de suivre quelques TD : “Ce n’est pas assez du tout. Tout le monde est en train de décrocher, on n’a pas de cadre, on est chez nous et on doit suivre des cours de 4h en visio qui buguent, c’est pas les meilleures conditions.”
Maëlys constate amèrement que l’imposition, depuis le mois de novembre, du déroulement des cours en distanciel, découle d’une absence de moyens financiers, matériels et humains, d’embauche de plus de personnels enseignants ou techniques, ou de mise à disposition de nouvelles salles. Mais le constat se fait encore plus amer lorsqu’il s’agit de juger des conditions de mise en place du distanciel, qui aura entraîné un véritable chaos technique pour nombre d’étudiant·es : “J’ai eu un prof qui a juste donné quelques nouvelles pour les partiels qui approchaient, on n’avait aucun cours de lui disponible en ligne. On a envie d’étudier mais on ne peut pas le faire.” Cours manquants ou résidant en des polycopiés pdf parfois abscons ou incomplets, profs ou administrations indisponibles, conférences en visio qui saturent ou sont inaccessibles : encore une fois, c’est l’absence d’une vision d’ensemble cohérente qui semble laisser les facs en proie à la loi de la jungle numérique.
Pour le Syndicat de combat universitaire de Montpellier, les étudiant·es devraient pouvoir avoir le choix entre présentiel et distanciel : “Les enseignants doivent enfin adapter leur pédagogie, mettre leurs supports de cours en ligne, et cesser de multiplier la charge de travail imposée aux étudiant·es. Beaucoup ne peuvent pas revenir, d’autres préfèrent le distanciel, et la santé de chacun doit être préservée. Pour les étudiants souhaitant assister à des cours en présentiel, des mesures sanitaires doivent être prises, pour l’application effective de la distanciation sociale : jauges réduites et adaptées aux espaces de cours et de passage, et installation d’aération dans les salles.”
Pour Romain Larive, “il n’y a pas de solution idéale, à appliquer bêtement sur tous les types d’enseignements. Mais pour pouvoir s’adapter à cette situation particulière, il faut des moyens quels que soient les choix retenus : distanciel et présentiel mêlés ou tout le monde en présentiel. On revendique la réouverture des universités qui ont été fermées unilatéralement depuis novembre, ce qui est dramatique pour les étudiant·es. On est dans une situation ubuesque où en plus de cela, lorsque le président dit une chose, le premier ministre en dit une autre, la ministre encore une autre, et de notre côté, rien ne vient, aucun moyen humain ou financier pour s’adapter au distanciel comme au présentiel. On doit se démerder avec rien, c’est un mépris total pour tous les personnels de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, et pour les étudiant·es.”
La détresse étudiante
“Pour moi comme pour beaucoup, témoigne Lune, étudiante en L3 de langues, c’est une boule qui enfle depuis la fermeture des facs en mars, je dis mars car elles n’ont pas vraiment été rouvertes : la rentrée de septembre n’en était pas une. Il y a beaucoup d’angoisse, beaucoup d’étudiant·es très isolé·es socialement. Les journées de 8h à 19h sur Zoom [ndlr: une application de visioconférence utilisée pour suivre certains cours en distanciel], c’est juste pas possible. Les enseignants aussi n’en peuvent plus. On est fatigués, on a envie de revenir à la fac, retrouver nos camarades, nos enseignants. Ce n’est pas juste l’envie de vie sociale, de boire des coups ou retrouver ses amis, mais celle aussi d’apprendre, d’enseigner, d’être avec l’autre. On a envie de revenir à la fac pour continuer à apprendre et retrouver un peu de sens.”
Son amie Justine, en deuxième année de la même licence, abonde : “On ne se sent pas considérés du tout, on a l’impression qu’on est juste inexistants en fait. Pour les collèges et les lycées, il n’y a pas de souci car il faut bien qu’on garde les élèves, c’est bien pratique. Par contre, nous, on nous demande d’attendre et on nous fait des promesses qui n’aboutissent sur rien. Moi, j’ai jamais connu une année de fac normale, et ça commence à être très lourd. On en a marre de ce mépris en fait.”
Ce que comprend très bien Romain Larive : “Dans le supérieur, on constate des situations dramatiques, d’étudiant·es en détresse réelle. Imaginons que les lycéen·nes qui l’année dernière ont eu trois à quatre mois de cours en moins, se retrouvent aujourd’hui à la fac en première année dans ces conditions là. Le gouvernement n’en a rien à faire et les délaisse complètement.” Pire, les étudiant·es ont dès le mois de septembre été stigmatisé·es par certains membres du gouvernement ou de la majorité, comme des vecteurs particuliers de l’épidémie en raison d’une prétendue vie sociale irresponsable alors qu’une reprise insuffisamment préparée et anticipée avait abouti sur des amphis sur-bondés : pour Lune, “on est sans cesse infantilisés. Les étudiants sont aussi des adultes, il n’y a pas que les post-bac, et je n’ai pas l’impression qu’on nous prenne pour des adultes.”
Mais si la situation prête déjà largement à déplorer, elle n’est rendue que plus dramatique par la vague de précarisation qui touche de nombreux·ses étudiant·es, privé·es des petits boulots habituels ou saisonniers, alors que plus de leur moitié en dépendaient pour survivre. Ainsi de l’une des étudiantes de la fac de lettres que nous interrogeons et qui nous confirme, qu’après avoir perdu son job dans un restaurant obligé de fermer, elle doit songer aujourd’hui à travailler chez McDonalds : “je ne pourrais pas continuer comme ça sinon.” Son amie dénonce : “il n’y a rien eu pour les étudiant·es, les boursier·es ont eu droit à 100 euros au mois de décembre, c’est tout.” Les demandes d’exonération des frais d’inscription à l’université Paul-Valéry ont augmenté de 227% cette année selon le Scum.
Gilles, exerçant au CNRS, syndiqué CGT Recherche Publique, est venu avec quelques amis “surtout pour soutenir les étudiants” : “Il y en a plein qui abandonnent les études car ils sont désespérés, et ce n’est pas acceptable. Il y a une grosse indifférence de la part du gouvernement pour leurs situations qui se dégradent, on le voit au niveau des restos du coeur par exemple, tu as beaucoup plus d’étudiants qui ont besoin d’aide.” Le gouvernement a annoncé mettre en place les repas journaliers du Crous à 1€, alors que les files des maraudes et des associations d’entraide s’allongent. Mais cela sera-t-il suffisant, alors que l’isolement tend à accroître la précarité et à peser lourdement sur le mental ?
Pour le Scum, qui distribue actuellement 250 colis alimentaires par semaine aux étudiant·es, “une goutte d’eau dans un océan de détresse“, “il est temps d’augmenter les aides sociales et qu’un complément de revenu soit versé aux étudiant·es qui ont perdu leur emploi. L’urgence est là. La charge pédagogique nous asphyxie, la précarité nous affame, l’isolement nous tue.”
Gestion de crise et démantèlement de l’enseignement supérieur
Lune constate “beaucoup de témoignages d’étudiant·es en situation de précarité, voire de misère totale. Et notamment les étudiant·es étranger·es qui sont resté·es en France car ils n’avaient pas le choix, qui vivent en situation de misère sociale et isolé·es complètement.” Pour nos amis cégétistes du CNRS, la précarisation du statut étudiant s’inscrit pleinement dans celle de l’enseignement supérieur et de la recherche, particulièrement symbolisée par la Loi de programmation de la recherche passée en catimini le 24 décembre, consacrant une vision néolibérale de l’université placée sous le joug de la compétitivité et de la concurrence.
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Pour Gilles, c’est “une loi élitiste, qui va donner des moyens aux très gros et beaucoup de chercheurs en auront autant en moins. C’est aussi le renforcement de la précarité sur les contrats de mission de recherche, un système de CDD à vie, avec des répercussions aussi sur les primes à la recherche. Tout est lié, l’absence actuelle de mesures avec les réformes qu’ils font passer et qui sont assassines à plusieurs niveaux. On essaie de fusionner la recherche avec les facs, qui seront moins diversifiées et plus inégalitaires.”
Force est de constater que le secteur public, et à plus forte raison celui de l’enseignement, vit sous l’impulsion du gouvernement Macron des tentatives très violentes de démantèlement, et l’on peut effectivement y voir dans le pis-aller de la gestion de crise sanitaire, au mieux le mépris de la doxa néolibérale pour l’État social, au pire une volonté de participer pleinement à son délitement. Dans le plan de relance du gouvernement, la somme allouée sans contreparties au secteur privé, et notamment à de grandes entreprises déjà arrosées d’argent public et qui continuent de licencier au beau milieu de la crise après avoir gavé leurs actionnaires, apparaît comme un ultime camouflet. Reste à voir si le printemps social qui s’annonce, avec aujourd’hui ce message fort de l’unité du milieu de l’enseignement, saura s’imprimer de manière efficace dans le rapport de forces avec le gouvernement et le faire reculer sur ses velléités réformatrices.
Photographies : Clara Maillé
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