Grand Paris : contre la bétonisation massive, la lutte pour le triangle de Gonesse est relancée

Le 17 janvier dernier, un appel à une journée de lutte est lancé par le Collectif pour les Terres de Gonesse (CPTG). L’occasion de rassembler, non seulement les soutiens de la lutte à Gonesse, mais aussi les autres collectifs luttant contre les projets inutiles et imposés en Île-de-France.

L’autoroute passe juste à côté de la ZAD de Gonesse, sur le terrain dit « Patte d’oie ». Quelques barnums sont montés depuis la matinée pour accueillir les arrivant.es. Ces terres aujourd’hui cultivées sont menacées par l’urbanisation, et les voitures qui foncent le long de la route avoisinante sont un rappel constant de ce risque. Malgré la journée froide et la boue jusqu’aux chevilles, les participant.es au rassemblement de lutte sont nombreux.ses. Tout au long de la matinée les gens affluent sur la ZAD, atteignant environ quatre cent personnes dans l’après-midi.

Les interventions des collectifs s’enchaînent et on parle des projets du Grand Paris : métros, jardins urbains, jeux olympiques. La lutte qui a lieu à Gonesse, qui dure depuis plus de dix ans maintenant, semble être un bon catalyseur pour tous.tes les militant.es écologistes d’Île-de-France. Elle réunit aussi bien le collectif « Saccage 2024 » contre les J.O de Paris programmés, des défenseur.e.s des jardins ouvriers du Nord-est parisien et des activistes opposé.e.s à la bétonisation du carrefour Pleyel à Saint-Denis, ou à la construction de la ligne 18 du métro sur le plateau de Saclay. Ce jour-là, à Gonesse, des militant.es pour l’environnement et des médias de tous poils, et même quelques élu.es, se sont réchauffé.e.s autour d’une soupe et d’un brasero.

Le moment plus important de la journée est la lecture publique et la signature du « serment de Gonesse », qui engage ses signataires à la protection du triangle agricole, avec une déclaration symbolique de copropriété du lieu par les membres du serment. Ce qui a rendu nécessaire ce nouvel engagement à protéger Gonesse, ce sont les travaux de construction de la gare de la ligne 17 du métro, projetée dans le cadre du Grand Paris. La construction de la gare a été confirmée et les chantiers devraient démarrer en février 2021. Pour Boris, un activiste du CPTG, cette gare est un cheval de Troie pour l’urbanisation du triangle. Même si le projet Europacity n’est plus d’actualité, difficile d’imaginer cette gare sans qu’un autre projet urbain ne se cache derrière car, située loin des zones habitées, elle serait à l’heure actuelle complètement inutile. En effet, un acte juridique de la cour d’appel de Versailles a rétabli le 18 décembre dernier le Plan Local d’Urbanisme (PLU) pour le triangle de Gonesse et, par la suite, le premier ministre Jean Castex a annoncé le maintien des travaux pour la gare. Malgré la victoire obtenue avec l’abandon du projet EuropaCity, la lutte doit donc continuer.

Le triangle de Gonesse est un territoire d’environ 700 hectares situé dans la commune de Gonesse, entre l’aéroport Charles de Gaulle au Nord et celui du Bourget au Sud. Ces terres dédiées à l’agriculture étaient menacées d’urbanisation depuis l’annonce de la création d’un nouveau quartier administratif et commercial en 2008, dans le cadre du Grand Paris. À l’origine, le projet était axé autour d’un grand centre commercial et parc de loisir, EuropaCity, qui devait occuper environ 80 hectares des terres agricoles du triangle. Les financeurs étaient le groupe Auchan et Wanda, conglomérat d’investissement chinois. Les citoyen.nes de Gonesse se sont organisé.e.s pour s’opposer à ce projet et finalement, en 2019, après des concertations, des batailles légales et des changements de plan, Macron annonce vouloir renoncer à EuropaCity. Une victoire pour le CPTG, mais pas la fin de la guerre, comme le démontre l’annonce du jugement de la cour de Versailles et l’intention de construire la gare de la ligne 17 du métro.

Ce sont deux visions opposées du développement qui se font face dans le triangle de Gonesse : les élus locaux et les soutiens du Grand Paris estiment qu’une urbanisation de cette zone apporterait des nouveaux emplois et relancerait économiquement le territoire. Cette conception est surtout basée sur une idée d’urbanisation qui privilège les services et les loisirs, un modèle inspiré par le tourisme de masse, qui s’est montré riche en contradictions et en ravages sociaux et économiques, par exemple à Venise. D’ailleurs, il y a de forts doutes sur le fait qu’EuropaCity eut le même « succès » que la cité des Doges.

C’est ce que le penseur états-unien Murray Bookchin appelle une « urbanisation sans villes », dans laquelle, notamment, la croissance physique de la ville ne s’accompagne pas d’une participation plus forte des citoyen.nes à la vie politique locale mais où, au contraire, les habitant.es sont dévoyé.es de leurs droits de décision sur tout aménagement urbain. C’est ainsi que les villes grandissent à démesure sans donner de vrais bénéfices à qui les habite.

Une activiste du CPTG qui veut rester anonyme exemplifie cela en parlant des désirs des gouvernants : « On est vraiment sur une logique politique de concurrence des capitales internationales. On a pu entendre dans les discours, “c’est hyper important d’être plus gros que New York”. Enfin, une fois qu’on ne pourra plus bouffer en Île de France, on aura l’air malin à être plus gros que New York ».

C’est donc tout le modèle de développement qui est remis en question, et non pas seulement tel ou tel programme. Pour les terres de Gonesse, les activistes écologistes opposent à l’urbanisation le projet Carma, qui propose la transformation de la filière agro-alimentaire d’Île-de-France, à travers des circuits courts d’agriculture biologique et des produits accessibles à toutes les bourses.

Robert Spizzichino , premier président du projet, résume ainsi Carma : « Nous avons tout ce qu’il faut ici, grâce à ces terres de Gonesse, pour créer un grand pôle de l’alimentation du futur, qui non seulement soit un pôle avec un changement de production, mais pour le changement de l’ensemble du système ». En somme, la lutte de Gonesse touche à énormément de sujets en partant d’une simple considération de durabilité : la création d’emplois, la disponibilité d’une nourriture de qualité, l’autonomie alimentaire, le mode de travail..

Une lutte qui demande énormément d’énergie, et qui exige d’être prêt.es à agir « légalement, sur le plan médiatique, et aussi physiquement si nécessaire » nous dit l’activiste du CPTG citée plus haut. Par contre, la conviction d’être du bon côté de la barricade et le soutien des gens qu’on rencontre lui donne de la force : « ça demande énormément d’énergie, mais ça en donne aussi beaucoup. Je dirais qu’on en tire même dix fois plus que ce qu’on y met ».

De quoi faire peur aux indécrottables bétonneurs.







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