Violences Judiciaires – Ian B, 8 mois ferme pour une main sur un bouclier

Jeudi 3 décembre 2020, Ian B, militant du collectif Désarmons-les, a été condamné à 8 mois de prison ferme par le Tribunal Judiciaire de Montpellier, pour des faits remontant au 28 septembre 2019 lors de l’acte 46 des Gilets Jaunes. Lors d’un procès qui s’est illustré par le mépris des magistrats à son égard – procureur comme juges – le tribunal l’a reconnu, notamment sur la base de la déposition et de la plainte d’un policier, coupable de violences et outrage envers personne dépositaire de l’autorité publique, participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations, et refus de prélèvement ADN. Nous publions aujourd’hui une vidéo sous deux angles, qui remet en cause la version policière ainsi que celle portée par le Parquet et par les juges. Retour sur les faits.

Ce jour là, Ian est sur Montpellier pour donner une conférence avec son collectif. Il rejoint l’acte 46 des Gilets jaunes en fin d’après midi, alors que le cortège s’est largement dispersé. Les manifestants, assez épars, se rendent devant le centre commercial Polygone, dans une ambiance plutôt guillerette. Les vigiles ferment les rideaux de fer, quelques tensions aboutissent à une altercation. Les vigiles envoient des coups d’extincteur vers la foule. Dans les secondes qui suivent, plusieurs interpellations se produisent, menées par la Compagnie départementale d’intervention (CDI34) qui déboule depuis le tunnel du Polygone, chargée par le Préfet de “sécuriser” les abords. La CDI34 est bien connue par les manifestants et reporters du Clapas pour sa violence sur le terrain.

Une observatrice de la Ligue des droits de l’Homme violentée

Alors que trois personnes dont une personne handicapée sont interpellées, une vingtaine de manifestants invectivent les policiers, qui forment une ligne pour les repousser et s’en prennent notamment, par une série de coups de bouclier, à une observatrice de la Ligue des droits de l’Homme. On entend Ian, parmi d’autres personnes, s’adresser aux policiers : “Vous savez même pas qui vous avez pris, vous avez chopé quelqu’un au hasard. Vous êtes des minables… vous chopez quelqu’un, vous attrapez comme ça, vous savez rien en fait… Vous arrivez, vous attrapez des gens.”

Les policiers avancent et font reculer les manifestants qui obtempèrent sans violence, mais ils s’en prennent particulièrement au binôme d’observateurs de la LDH, dont la jeune femme reçoit plusieurs coups brutaux de bouclier de la part du même policier. Ian lui crie : “Oh! Tu te calmes !” C’est alors que se produit ce qui est qualifié de violences par les policiers et le tribunal. La procédure émet que le policier a reçu plusieurs coups de pied et de poing de la part de Ian. Or, sur la vidéo on ne peut rien constater de cela sinon que le jeune homme a tenté de protéger l’observatrice de la Ligue des droits de l’Homme en arrêtant de la paume de la main le bouclier, dont le policier se servait pour asséner ses volées de coups. La scène se déroule très rapidement. Aucun autre geste de la part de Ian ne peut être observé sur les images.

Très rapidement après, au cours de la même séquence, Ian est violemment plaqué au sol par un policier après avoir été ciblé. Il subit une interpellation brutale, étranglé par sa chemise. Un policier écrase son bras avec sa botte, d’autres s’agenouillent sur lui, avant qu’il ne soit emmené et placé en garde à vue, à l’issue de laquelle il sera donc poursuivi. On retrouve sur lui une grenade CM3 déjà percutée, objet trouvé auparavant sur Plan Cabanes et qu’il comptait présenter lors de sa conférence le soir même. C’est ce déchet de grenade qui caractérisera la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations.

Au sortir de sa garde à vue, Ian se plaint au procureur des violences subies, qui n’enregistre aucune plainte. Le jeune homme est en revanche poursuivi pour participation à un groupement en vue de, violences et outrage envers personne dépositaire de l’autorité publique, accusé de plusieurs coups de pieds et de poings par le policier ayant porté les coups de bouclier (et porté plainte), ainsi que d’avoir crié “Vous êtes les putes à Macron”. Le dossier énonce que le jeune homme a tenté de résister à son arrestation. Nos images démontrent que rien de tout cela ne s’est produit.

La défense entravée lors d’un procès à charge

Après trois renvois (en raison de la grève des avocats et d’une journée surchargée au tribunal), le procès de Ian s’est finalement tenu ce jeudi 3 décembre 2020. Son avocat avait déposé plusieurs demandes de nullité et notamment sur la caractérisation insuffisante des faits de violence et d’outrage. Ces demandes n’ont pas été prises en compte par le Parquet qui s’en est excusé, alors qu’elles figuraient bien dans le dossier. Le jeune homme déclare contester les faits qui lui sont reprochés. C’est le début d’une farce judiciaire où juges, procureur et avocat de la partie civile vont redoubler d’imagination pour caricaturer Ian et réduire les faits à leur propre vision, à charge, selon le récit du jeune homme et ses soutiens.

Après avoir d’emblée reproché au prévenu les précédents renvois (dont il n’est en rien responsable), la présidente Gisèle Bresdin lit le PV d’interpellation, et énonce que les policiers décrivent le jeune homme quand il crie “putes à Macron” ainsi que les plusieurs coups de pied et de poing qui seraient donnés, dont on a constaté l’inexistance. Il aurait mis ses mains sur son ventre pour éviter son arrestation, ce qu’on ne constate pas plus sur nos images. Enfin, le policier victime des coups imaginaires, qui n’a pu déclarer aucune ITT, affirme ne pas avoir été blessé car il aurait pu les parer.

La présidente Bresdin fait ensuite la description de différentes captures d’écran de vidéosurveillance, en semblant monter dans les tours au fur et à mesure de la progression du visionnage. Les images semblent avoir été soigneusement choisies pour être à charge contre le jeune homme : on le voit bras en avant, semblant être en approche, puis en contact avec le bouclier du policier. Et surtout, la présidente s’agace très fortement de voir une capture montrant une expression “agressive” sur le visage de Ian, au moment où celui-ci crie “Tu te calmes !”, situé à deux mètres des policiers. “Votre visage est déformé ! Regardez là, et là, votre visage est déformé !” Ce qui constituerait pour elle la preuve que son intention était bien violente envers les policiers. Tout cela, à partir d’images extraites de leur contexte.

Seulement, la juge ne souhaite pas présenter les vidéosurveillances dans leur ensemble, pas plus que les images apportées par la défense, tirées de vidéos tournées par les observateurs de la Ligue des droits de l’Homme. On ne verra pas plus celles de l’interpellation de Ian, qui comme on l’a vu, a été particulièrement violente.

Lors de la garde à vue, le médecin constate sur Ian 4 ecchymoses, une abrasion du coude et de l’arrête du nez. Le jeune homme a porté plainte par la suite. L’observatrice de la Ligue des droits de l’Homme a également déposé plainte (certificat médical à l’appui, prouvant plusieurs hématomes) et fait un signalement à l’IGPN quant au comportement du policier concerné.

Lors du procès, le jeune homme conteste l’interprétation des images par la présidente Gisèle Bresdin, qui lui répond : “Parlez, mais que ça ne dure pas une demi-heure.” Il explique avoir fait un geste de protection vis à vis de l’observatrice de la Ligue des droits de l’Homme, et conteste toute violence. “Vous refaites votre procès ? Vous avancez volontairement !” La présidente coupe Ian à plusieurs reprises et lui intime qu’elle refuse de l’entendre si c’est pour dire des choses qui ne correspondent pas à “la” réalité… Ian insiste pour qu’il puisse finir son témoignage au nom du contradictoire. Alors que l’avocat de Ian tente d’intervenir sur l’absence de preuves concrètes, la présidente Bresdin l’interrompt et refuse de visionner les images proposées par la défense.

Le jeune homme doit donc décrire par lui-même les faits, et conteste par ailleurs les accusations d’outrage. La présidente Bresdin est plus soucieuse de revenir sur “le visage déformé” par la violence du jeune homme, et s’énerve à plusieurs reprises. L’interrogatoire mené par celle-ci semble à sens unique et teinté d’un profond mépris pour le témoignage de Ian.

Vient ensuite la caractérisation du délit de groupement en vue de commettre des violences. Pour les juges, le jeune homme est venu pour en découdre avec les forces de l’ordre, sa simple présence sur les lieux semble l’attester. Ils insistent sur le fait que le jeune homme aurait une attitude menaçante envers les policiers, avancerait vers eux dans le but d’être violent. Il se défend en disant avoir réagi à une injustice, et avoir reculé lorsque les forces de l’ordre ont ensuite avancé. “Toutes les photos montrent par votre attitude que vous êtes en train de vociférer. – Je n’étais pas en train de vociférer.

Lors de la présentation de la personnalité du jeune homme, à laquelle elle a failli oublier de procéder, la présidente Bresdin jubile : deux mentions sur son casier judiciaire, dont l’une pour outrage. Ian a déjà dénoncé avoir été poursuivi sur des bases mensongères de la part des policiers.

La partie civile en rajoute une couche très généralisatrice : la pression, la fatigue, le terrorisme, les méchants gilets jaunes, le malaise, etc. Des parallèles douteux sont faits avec l’affaire Merah ou le Bataclan. “Les policiers sont pris à partie, ils sont tabassés, lui se fait passer pour un justicier.” Et de demander 600€ de dommages et intérêts pour son client, évidemment absent lors de l’audience.

Le procureur Sabater Bono vient finalement poser ses réquisitions : manifester, pas de soucis, mais dans un cadre légal et sans violence. Il rejette la responsabilité du déroulement des faits sur le comportement du jeune homme, souhaitant ne pas en faire le “martyr” de la manifestation. “Vous les mettez dans une situation difficile car leur crainte est qu’il y ait des conséquences graves.” Des conséquences graves? Il demandera 5 mois de prison ferme.

L’avocat de Ian Me Codognès dans son plaidoyer tente bien de recontextualiser le comportement des policiers, qui ont fait un mur de boucliers, défensif sur le papier mais dont ils se servent pour repousser les manifestants brutalement, alors que ceux-ci obtempèrent, et en ciblant plus particulièrement les observateurs de la LDH. Il rappelle qu’il n’y a pas de caractérisation précise du moment de l’outrage, et que l’observatrice de la LDH a reçu des coups.

Les photos montrées pour caractériser les faits de violence ne montrent en fait que la main de Ian érafler le bouclier du policier. Il n’en fallait pas plus aux juges pour retenir les violences déclarées par le policier, qui n’a pourtant eu aucune ITT, pas plus que d’attestation d’un psychologue pour un préjudice moral. L’avocat reconnait des invectives de la part de son client, mais rejette la participation à un groupement sur la simple base de la présence d’une grenade déjà percutée et donc inoffensive dans la sacoche de Ian.

La présidente Bresdin clôt l’audience : “Regrettez vous votre comportement ?” Ian fait part de sa surprise en rappelant qu’il conteste des faits qu’il ne peut donc pas regretter.

“Prompte à le condamner pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique (pour le geste précité), outrage (pour des propos qu’il nie et dont l’existence n’a pas été démontrée) et participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations (pour une grenade ramassée afin d’illustrer ses conférences sur le maintien de l’ordre), la présidente de la formation de jugement a refusé de visionner et intégrer à la procédure la vidéo de notre observatrice, alors même que ce type d’élément a permis en décembre 2019 de faire relaxer en appel Sullivan. La juge a fait savoir ouvertement aux parties dès le début du procès que sa décision était prise et qu’elle refusait d’entendre toute autre version que celle des policiers. Elle a aussi accepté de verser des dommages-intérêts au policier alors même qu’il ne présentait pas de certificat médical.”

Communiqué de presse de la Ligue des droits de l’Homme

Quand les violences judiciaires répondent aux violences policières

Les juges du Tribunal Judiciaire de Montpellier ont donc prononcé une condamnation très lourde, au delà des réquisitions du procureur : 8 mois de prison ferme (sans mandat de dépôt), 300€ au titre des frais d’avocat et 300€ de dommages et intérêts, sur la foi d’un dossier visiblement mensonger sur de nombreux points. Le procès a pour Ian été marqué par le mépris de la juge Bresdin et de ses assesseurs, du procureur Sabater Bono, et de l’avocat de la partie civile Panis Guilhem, qui semblent avoir opéré en choeur pour le désigner comme une personnalité violente et dangereuse pour les forces de l’ordre, caricaturant son engagement militant. Son témoignage a sans cesse été remis en question, dévalorisé, n’a jamais été véritablement écouté. Et l’on a refusé à la défense les moyens de se défendre, notamment par l’image.

Pourtant, les vidéos que nous révélons aujourd’hui semblent aller bien plus dans le sens du témoignage du jeune homme que de celui des policiers. Et démontrent encore une fois, alors que le projet de Loi de Sécurité Globale a entamé sa navette parlementaire, l’importance des images tournées par des observateurs ou des citoyens dans le cadre de l’exercice de l’action publique par les forces de l’ordre. L’affaire Michel Zecler, les deux procès d’une observatrice de la LDH ou d’un manifestant, Sullivan, à Montpellier, tiré de prison en appel suite au visionnage de vidéos, démontrent que certains policiers excellent dans l’art des accusations douteuses, autant lorsqu’ils doivent couvrir leurs propres violences que lorsqu’ils veulent s’en prendre à des militants qui les documentent. On peut donc légitimement s’interroger sur les raisons qui ont amené la procédure à accuser un militant documentant l’armement de la police d’avoir donné coups de poing et de pied, quand les images montrent qu’il n’en a rien été.

Nous avons donc au cours de ce procès, encore une fois eu l’exemple d’une justice de classe qui se distingue par ce qu’on pourrait nommer des Violences Judiciaires, qui viennent comme une gifle aveugle compléter les Violences Policières touchant les mouvements sociaux, les gilets jaunes, comme les quartiers. Combien de personnes ont-elles subi ce type de procès à charge et ont fini en prison ? Combien ont été jugées à l’arrache de cette même manière, par des juges peu soucieux d’investiguer la réalité des dossiers ou de prendre en compte le contradictoire  ? Combien de policiers ont arrondi leurs fins de mois avec des dommages et intérêts sur des outrages ou violences imaginaires ou largement exagérés ?

Le sentiment d’impunité des policiers brutaux, qui aboutit à tant d’actes violents conduisant parfois à la mort des victimes, dépend en immense partie de l’institution judiciaire, lorsque l’intégralité des débats, censés être contradictoires, des décisions des juges, des réquisitoires des procureurs, se basent sur le mensonge et le déni. Ce que les images semblent aujourd’hui plus que jamais être le seul moyen de contourner.

Après quelques jours de réflexion, Ian laissé libre, vient d’interjeter appel.







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