C’est la légitimité même d’une loi qui donne de nouveaux pouvoirs à la police qu’il faut questionner. Une perquisition fondée sur le soupçon, fût-elle réalisée avec l’onction de la justice, reste attentatoire aux libertés.
Raphaël Kempf
En ces temps de confinement et de privation de libertés, une cinquantaine de militants ont organisé une conférence de presse devant la préfecture de l’Hérault, ce lundi 16 novembre. Le collectif “Danger Loi Sécurité Globale”*, nouvellement créé, entendait sensibiliser la population (et les journalistes présents) et faire entendre sa voix contre le projet de Loi Sécurité Globale, déposée par les députés En Marche Jean-Michel Fauvergue (ex-patron du Raid) et Alice Thourot, et qui commencera à être débattue ce mardi 17 novembre à l’Assemblée nationale.
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Cette loi “nous pose de grandes difficultés au regard des libertés publiques“, indique Sophie Mazas, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme 34. Trois articles font particulièrement débat.
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L’article 21, concernant les caméras portables qui devraient équiper « toutes les patrouilles de police et de gendarmerie dès juillet 2021 », permettra de franchir une étape supplémentaire dans la reconnaissance faciale, mise en lien avec les plus de huit millions de visages déjà enregistrés dans le cadre du Traitement des Antécédents Judiciaire (fichier TAJ). Une nouvelle illustration d’une “urgence sanitaire qui laisse place à une urgence sécuritaire”, que regrette Maryse Péchevis, du Syndicat des Avocats de France : “Il y a une sorte d’amalgame qui permet de tout faire passer au nom de la peur tout ce qui va ruiner petit à petit nos libertés […]. N’importe quel manifestant pourra se retrouver fiché […] et c’est en lien avec les gardes à vue préventives que l’on a pu voir se développer“.
Nouvel outil qui permettra un fichage à grande échelle : la surveillance par drones, permise par l’article 22, bien qu’interdite par le Conseil d’État. “La police n’a produit aucun argument démontrant qu’une telle surveillance protègerait la population, indique encore Maryse Péchevis. Au contraire, nous avons pu constater en manifestation que les drones sont avant tout utilisés pour diriger des stratégies violentes contraires à la liberté de manifester : nassage, gaz et grenades lacrymogènes notamment. Comme pour les caméras mobiles, la reconnaissance faciale par drones permettra aussi d’identifier des militantes et militants politiques“. Autant de “troubleurs” d’ordre public qui pourront donc être empêchés de manifester de manière préventive.
Et les journalistes pourront bientôt être considérés comme tels. L’article 24 interdira en effet sous conditions la diffusion d’images du visage ou de tout autre élément d’identification de fonctionnaires de police ou militaires de gendarmerie. Une atteinte à la liberté de la presse dénoncée par Sophie Mazas, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme 34 : “Concrètement, c’est la diffusion d’images en direct qui sera empêchée, car il n’est pas possible de retransmettre une intervention policière tout en masquant immédiatement toute possibilité d’identification des forces de l’ordre“, indique Sophie Mazas. Les futurs George Floyd ou Cédric Chouviat pourront crever en silence.
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En elle-même, la loi n’interdit pas de filmer. Mais son interprétation sera très subjective. Filmer sera interdit dès lors qu’il y a une “intention de nuire au policier”. Or, la vidéo d’un policier qui commettrait une bavure peut nuire à l’agent. “Les images de violence commises par les forces de l’ordre ne pourront plus être diffusées, ce qui risque de les conduire à un sentiment d’impunité“, s’inquiète Maryse Péchevis. D’autre part, les arrestations préventives de journalistes, d’observateurs et citoyens sur le fondement juridique de cette loi, pourront amener à de très nombreuses situations abusives. Ce sera en effet au parquet de déterminer si des poursuites peuvent être engagées, mais la loi laissera toute latitude aux policiers de mener ces interpellations pour écarter les preneurs d’images des terrains de manifestation où la violence d’État se déploie.
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Pour éviter cela, les principaux syndicats de journalistes, avec la Ligue des Droits de l’Homme et de nombreuses autres organisations professionnelles et collectifs, appellent à une mobilisation nationale. A Paris, celle-ci se tiendra ce mardi 17 novembre derrière l’Assemblée nationale, et samedi 21 au Trocadéro.
* Le collectif “Danger Loi Sécurité Globale” est constitué notamment de la LDH34, DAL, Le Mur Jaune, le Syndicat des avocats de France, Solidaires34, ANV COP 21, la CNT, La Carmagnole, BIB, la Cimade, RESF, Gilets Jaunes Près d’Arènes, Taramada, Stop Armes Mutilantes, CDKM, Action Libertés, Haction, le NPA, la ZAD du LIEN.
Rédaction : Matt
Reportage : Jude, R. Parreira, Alix D.
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