ZAD du LIEN : les opposant·es dénoncent la répression, le Département ressort le pinceau vert

Au lendemain de leur expulsion et de la destruction de la Maison de l’Écologie et des Résistances, bâtisse située sur le tracé du chantier routier du LIEN et réquisitionnée par des citoyen·nes et des militant·es des groupes Extinction Rebellion, Greenpeace, ANV COP21 et SOS Oulala, ces dernier·es ont tenu ce vendredi 23 octobre une conférence de presse devant les portes de la Préfecture. Trois avaient été placé·es en garde à vue pour “entrave” à un chantier de travaux publics avant d’être relâché·es. Il ne leur a pas été notifié s’ielles seraient poursuivi·es.

Des doutes sur les fondements légaux de l’expulsion

Me Sophie Mazas, conseil du collectif, a dénoncé les “interpellations violentes, fondées sur une incrimination pénale disproportionnée et abusive” entrant en contradiction avec le droit au logement : “Expulser quelqu’un de l’endroit où il vit, ça nécessite dans un État de droit, la présence d’un juge.” Elle rappelle qu’une expulsion menée sans jugement peut entraîner une condamnation à 2 ans de prison et plusieurs milliers d’euros d’amende. Il semblerait que le parquet ait agi sur la base d’irrégularités dans l’ouverture d’un contrat d’électricité par le collectif occupant la MÉR, pour court-circuiter le droit au logement et entraîner une expulsion de facto, les services du Département étant présents pour faire raser la maison dans la foulée.

Me Mazas dénonce une “violation de toutes les garanties de l’État de droit“, avec l’expulsion d’une occupation sous forme de revendication politique, mais aussi l’intrusion dans la semaine précédente des services départementaux venus fracasser portes et fenêtres de la maison occupée. Avec l’intervention des forces de l’ordre, et donc de l’État – l’expulsion a été menée par le Préfet de l’Hérault Jacques Witkowski – l’avocate s’alarme du non respect de la séparation des pouvoirs et de l’État de droit en France.

Une intervention disproportionnée

Cathy, membre du collectif et présente lors de l’expulsion, donne des détails sur le déroulement de celle-ci, soulignant la disproportion du dispositif policier, en décalage avec le lieu, “une maison, un lieu de partage, de rencontres, un lieu de création, où plein de choses étaient produites.” Elle insiste sur la détermination du collectif et sur la non-violence revendiquée par le lieu et les associations le soutenant. “Face à cette non-violence, quelle a été la réponse apportée ? Des hommes armés qui au petit matin, défoncent les portes, défoncent les barres de bois. […] Je me suis rendue dans le salon et quelques instants plus tard j’étais au sol, face à terre et menottée.

Cathy rapporte qu’une personne dormant dans son camion à proximité de la maison a ainsi été réveillée par les tambourinements des forces de l’ordre, qui n’ont pas attendu qu’il ait le temps de s’habiller pour défoncer la portière au pied de biche. “La suite, ça a été : tous alignés à l’extérieur sous la pluie, tout le monde menotté […] avec une quantité de forces de l’ordre face à 10 militants non-violents, qui était complètement disproportionnée.” Une personne a alors été placée en garde à vue, tandis que toutes les autres étaient invitées à suivre les gendarmes en audition libre dans la foulée, dispatchées dans plusieurs brigades autour de Montpellier. A la suite de ces auditions, deux personnes ont été placées en garde à vue et y ont passé la nuit.

Les mots d’un militant très choqué par l’expulsion ont été lus : “Le matin du 22 octobre vers 6 heures, des forces commando, équipées de béliers et de fusils mitrailleurs, ont encerclé la MÉR et lancé un assaut violent, sans sommations, en défonçant les portes, contre dix militant·es écologistes non-violent·es, encore endormi·es en sous-vêtements dans leurs sacs de couchage. La veille au soir était bon enfant, composée de dîners aux chandelles, de jeux de société, de rires et de débats pour refaire le monde. L’après midi nous préparions un petit jardinet pour planter des fleurs, il y avait un atelier menuiserie pour créer des meubles de récup’ à partir de palettes. En nous couchant, nous étions remplis d’espoir à l’idée que quelque chose de nouveau était en train de se créer. Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvé·es par terre, sous la pluie, à peine le temps d’enfiler un t-shirt, certains encore torse nu, menotté·es dans le dos, assis, aligné·es face à une trentaine de gendarmes surentrainés et surarmés. Même des gendarmes sur place étaient outrés par l’intervention.

Lutter contre un projet écocide et un modèle dépassé

Chloé du collectif SOS Oulala et Yves de Extinction Rebellion, sont revenus sur le fond de cette lutte : le projet du LIEN. La jeune femme rappelle que des recours sont toujours devant le Conseil d’État alors que les travaux de déboisement ont démarré, et que le LIEN est une catastrophe pour la biodiversité locale. Yves, qui fait partie des gardés à vue, l’explique par la destruction de plus d’une centaine d’espèces protégées dont certaines comme la Loutre ou l’Engoulevent d’Europe n’ont pas été prises en compte par l’étude d’impact du projet, mais surtout d’une zone extrêmement riche en faune et en flore, sur 8 kilomètres de long.

Une infrastructure qui va amener des milliers de véhicules sur la route et une augmentation des émissions carbone, accélérer le développement périurbain de Montpellier et l’urbanisation progressive de la zone, ce qui entraînera alors… du trafic supplémentaire. “Une partie de ces territoires sont des terres agricoles de haute qualité qui par exemple pourraient faire l’objet d’une agriculture locale, résiliente et écologique. Il y a un besoin très fort pour l’agglomération. Ce projet est particulièrement néfaste et inutile, alors qu’on pourrait faire autre chose des 85 millions d’euros du Département.

Le collectif de la MÉR a ensuite remis auprès de la Préfecture un nouvel exemplaire de la lettre que le collectif SOS Oulala avait adressée au Préfet pour le mettre en demeure d’interrompre le chantier du LIEN en raison de la non prise en compte de plusieurs espèces protégées dans l’enquête d’utilité publique du projet, lettre envoyée le 22 septembre et restée morte depuis.

Des groupes et collectifs en soutien

Alternatiba, représenté par Christian, apporte son soutien au mouvement ayant monté la ZAD du LIEN, “conscient des destructions que ça représente et que ce genre de projet va à l’encontre de ce que demande la société ou beaucoup d’autres groupes ou collectifs.” Alternatiba met en avant que l’idée serait plutôt de diminuer l’usage de la voiture, augmenter les espaces verts et conserver les poches de biodiversité dans le pourtour des villes.

Matthieu, représentant ANV Cop21, rappelle quant à lui que le collectif lutte contre l’inaction des politiques face à l’urgence climatique. “L’action qu’on mène à la MÉR contre cette bétonisation qui va amener toujours plus de voitures, c’est exactement ce pour quoi on se bat depuis 2015 et la Cop21” pour faire réagir les politiques.

Renaud, représentant Greenpeace, estime que le “LIEN ou le COM, comme l’extension de l’aéroport de Montpellier, sont des projets dépassés, qui ne répondent plus aux enjeux environnementaux et sociaux de notre époque. Ils ont été imaginés à l’époque où l’objectif des villes était de s’étendre le plus possible, sans savoir vraiment pourquoi, sans savoir vraiment jusqu’où.” Greenpeace veut croire à “d’autres modes de société, plus respectueuse de l’environnement, de notre santé, plus solidaire et plus épanouissante pour chacun d’entre nous.”

L’Union communiste libertaire est venue en soutien du collectif de la MÉR, et pour dénoncer la disproportion de l’opération d’expulsion menée par la Préfecture. “Depuis deux ans, on assiste à une criminalisation et une grosse répression sur tous les mouvements qui ne sont pas dans les balises et dans ce que l’État est prêt à contrôler. On assiste à un moment où il n’y a de possibilités de ne pas être d’accord que si on reste dans un certain cadre. Et on pense que là, c’est certainement aussi ce qui a été criminalisé et réprimé avec autant de force. Parce que des gens qui s’organisent à la base, en développant d’autres façons d’organisation c’est aussi tout ça à notre sens qui les inquiète.” “Leur monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant avec une fuite en avant dans le capitalisme, le productivisme etc, et c’est ça aussi que nous devons combattre.

La députée Muriel Ressiguier a émis un communiqué dans lequel elle soutient l’opposition au LIEN, et s’interroge : “De quoi avait donc peur le Conseil Départemental pour organiser ainsi la destruction de ce lieu juste après avoir procédé à l’expulsion ? Pourquoi utiliser la force plutôt que le dialogue ? Drôle de conception de la démocratie.” La députée met en cause le gouvernement et le conseil départemental, appelant celui-ci à s’expliquer. “Je condamne fermement de tels agissements et assure de mon soutien les militants qui ont su impulser et faire vivre ce projet. L’aventure ne s’arrêtera certainement pas là, les enjeux sont trop grands.

Avant l’expulsion, les mouvements Nous Sommes, Ensemble !, NPA, UCL, ainsi que Clothilde Ollier, avaient apporté leur soutien à la ZAD du LIEN. Le Département, la métropole ainsi qu’EELV Montpellier, n’ont pas répondu à nos sollicitations.

Le Département sort du silence

En dépit de sa promesse de nous transmettre ses éléments de réponse, le Département est finalement sorti du silence en publiant un communiqué de presse que nous n’avons pas reçu, dans lequel il défend le projet du LIEN, conçu pour désengorger le trafic au Nord de Montpellier. L’institution vante une “meilleure facilité d’accès des Héraultais vers la métropole de Montpellier“, “des traversées de communes apaisées“, “des temps de parcours améliorés“, “la sécurité des déplacements routiers renforcée“, “des aménagements cyclables complémentaires“. Une vision bien ancrée dans le modèle de développement suivi par la ville de Montpellier comme beaucoup d’autres, jamais remis en question par nos élu·es, et qui devrait sans cesse s’étendre sur le territoire alentour.

La construction du LIEN va tout simplement repousser à plus loin la zone d’influence urbaine montpelliéraine et donc l’urbanisation de territoires entiers pour répondre à la flambée de l’immobilier dans la ville. On voit depuis des années dans de nombreuses communes de l’agglomération se construire des lotissements identiques, aux maisons blanches et carrées flanquées de petits jardinets, quelques plus gros immeubles qui crient leur modernisme au beau milieu des pinèdes. Tous ces nouveaux foyers de population vont induire une augmentation du trafic urbain et donc un retour progressif de la saturation des axes routiers. La ville est simplement en train de grandir, toujours plus.

Lire aussi – Bétonisation : Montpellier, le L.I.E.N ou l’arbre qui rase la forêt

Le Département présente dans une deuxième partie consacrée à l’écologie, “des engagements forts en matière de préservation de l’environnement autour du LIEN” comme la “protection des zones sensibles vis-à-vis de la faune et de la flore, la “mise en place de mesures particulières pour la préservation des captages d’eau et la protection des ressources en eau“, des “protections sonores“, “la limitation de la vitesse à 90km/h sur le LIEN pour limiter la pollution“. A quoi bon protéger des zones sensibles si celles-ci se retrouvent au beau milieu du bruit et de la fureur ? Tous ces arguments correspondent à des mesures pour certaines obligatoires conçues pour que les projets infrastructurels aient le moins d’impact possible sur l’environnement qu’ils traversent.

Mais lorsque l’impact est extrême, elle n’en changent pas la nature disproportionnée. Il n’existe pas de route verte ou “durable”, une route est une route, entraînant pollution de l’air, de la terre, des eaux et de l’environnement sonore, destruction de la biodiversité, disparition de certaines espèces endémiques, pollutions par les usagers, risques d’incendies, etc. Certaines dispositions prises pour limiter la casse, comme la re-création des habitats des espèces protégées par exemple, supposent un déménagement spontané de celles-ci vers leur nouveau lieu d’habitat pouvant être situé à des kilomètres de là… D’autre part, ces dispositions s’appliquent à la 2×2 voies du LIEN mais n’évaluent en rien ni n’envisagent l’impact futur de l’urbanisation qui peut découler d’un tel axe routier périphérique, elles ne s’inscrivent pas dans une vision globale et à long terme du territoire, qu’elles viennent par ailleurs occulter en contribuant à l’aspect médiatique d’une route verte.

Pointer du doigt les opposant·es au LIEN

Le Département socialiste prend ensuite le parti de culpabiliser le mouvement contre le LIEN, qui est aussi vieux que le projet, en sous-entendant que l’opposition au LIEN aurait coûté cher au contribuable, mettant dans le même sac à 6,16M d’euros les frais liés aux procédures et concertations publiques et ceux dus au juridique, aux recours et “aux manoeuvres d’obstruction“. Avant de dénoncer l’utilisation de FakeNews par les opposant·es au LIEN, là encore en mettant un peu tout le monde dans le même panier et dans la stratégie de réduire les arguments des opposants à des contre-vérités.

“Le LIEN serait un projet autoroutier” par exemple, ce qui n’est évidemment pas le cas. On peut en revanche mettre en avant que la route servira de voie de connexion entre l’A9 et l’A75 par l’A750, laissant donc craindre un trafic “autoroutier”. “Le LIEN irait de paire avec le Décathlon Oxylane et la réouverture d’une carrière Lafarge”. D’un point de vue institutionnel, évidemment non, pour autant le Décathlon Oxylane se place à grande proximité du tracé du LIEN, profitant de l’infrastructure qui va drainer un fort trafic, et la réouverture de la carrière Lafarge quant à elle va amener son flux de camions sur l’axe routier. Ce type de projets ou de ZAC risque de se multiplier en relation avec la route : le Décathlon-Oxylane, projet de longue date, en donne un exemple criant avant même que les travaux de construction du LIEN n’aient commencé.

Globalement le Département réduit sensiblement à leur expression la plus faible les arguments avancés par les opposant·es au projet, mais à chaque FakeNews avancée par l’institution qui a ainsi une réponse à toutes les questions qu’elle choisit elle-même de représenter, des arguments peuvent être opposés et dans un certain bon sens. Un petit tour sur le site du collectif SOS Oulala permet de constater que bien évidemment les opposant·es au LIEN n’ont pas cette interprétation caricaturale du projet et au contraire, beaucoup de choses à répondre au greenwashing du Département. Exposées également dans notre reportage ci-dessous :

Les problématiques soulevées par la ZAD du LIEN vont au-delà du projet routier en lui-même et viennent questionner le modèle de développement de la ville dans son ensemble, alors que l’urgence climatique promet nos territoires à des bouleversements nouveaux. A Montpellier, l’expansion sans fin de la ville et l’accroissement de sa population s’imposent comme des évidences alors que les taux de chômages et de pauvreté font la course aux alentours des 20%.

Evacuation de la Zad Mér : … by Xavier Trn

 







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