Le rédacteur en chef de Reporterre, Hervé Kempf, était à la Carmagnole mercredi 14 octobre pour présenter son dernier ouvrage, Que crève le capitalisme.
Un peu plus de dix ans après la crise des subprimes et la parution de Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, l’urgence climatique monte d’un cran. Le ton d’Hervé Kempf aussi. Le rédacteur en chef et fondateur du site Reporterre, le quotidien de l’écologie, sort cette année Que crève le capitalisme, toujours aux éditions du Seuil.
Il est venu le présenter ce mercredi 14 octobre à la Carmagnole, devant une cinquantaine de personnes. Pourtant, « il y avait le discours du banquier de Rothschild ce soir », rigole-t-il. « Merci du sacrifice ». Il valait mieux en profiter : le Président allait nous annoncer qu’on ne pourrait plus vivre ce genre de soirée pendant au moins un mois.
Questionné par Boris Chenaud (La Carmagnole) et Marc-Axel (Greenpeace), Hervé Kempf explique avoir été interpellé par une phrase du critique littéraire Fredric Jameson : « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Or, le capitalisme prenant une grande part dans le réchauffement climatique ; il est temps de le faire crever. « Ce sera lui ou nous », justifie le sous-titre.
Sur six chapitres (le livre, 110 pages, peut se lire d’une traite), Hervé Kempf détaille le portrait d’un monstre qui ne cesse d’évoluer et de se décliner sous plusieurs formes. « Dans la foulée de la crise du capitalisme au cours des années 1970, […] le néolibéralisme a pris le pouvoir », écrit-il, sous l’impulsion de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. A partir de là, « there is no alternative », selon l’expression de la Dame de fer. Mondialisation, privatisation, délocalisation, défiscalisation… avec des Etats parties prenantes qui ne régulent plus rien, eux-mêmes étouffés par la course au toujours plus. Aux Trente Glorieuses succède ce que Kempf appelle « les Quarante Désastreuses ».
Apartheid technologique et capitalisme policier
Toutefois, il situe le capitalisme comme « un phénomène historique, qui a un début et donc une fin ». Mais « l’ennemi » mute. Après la crise de 2008, « le capitalisme a changé d’idéologie ». L’heure est désormais aux Gafam, au « deep learning », au traçage, au commerce de données, à la publicité. Une nouvelle religion apparaît : « La technologie va répondre à tout ». Même au réchauffement climatique, selon ses plus fidèles.
« Le transhumanisme est un vrai projet, ils y croient beaucoup », prévient Kempf, qui reprend la citation de l’historien Yuval Noah Harari : « Il y aura une petite élite privilégiée d’humains augmentés […]. Ceux qui prennent le train du progrès acquerront des capacités divines de création et de destruction ; qui reste à la traîne sera voué à l’extinction ». Et le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, qui savoure le coronavirus : « La crise nous offre l’opportunité d’une transformation plus volontaire encore ». De quoi renforcer le fossé entre « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ».
« Toute technologie numérique présentée comme devant simplifier la vie quotidienne est en fait un moyen supplémentaire de contrôle », écrit Hervé Kempf, qui cite également la glaçante Thatcher, pour qui « l’économie est une méthode ; le but est de changer le cœur et l’âme ». Visionnaire.
Et pour défendre ce que Kempf appelle un « apartheid planétaire », l’Etat peut compter sur « le capitalisme policier ». Un sujet bien connu de sa rédaction puisqu’un journaliste de Reporterre a passé dix heures en garde à vue après avoir couvert une manifestation d’Extinction Rébellion à Orly ; et bien connu de son fils Raphaël, avocat de plusieurs Gilets jaunes, et lui-même auteur l’an dernier d’Ennemis d’Etat : Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes (éd. La Fabrique). Kempf estime que « les attentats du 11 septembre 2001 (puis en France ceux de 2015 et la pandémie de 2020) ont permis de faire accepter une évolution du droit faisant régresser les libertés publiques ».
Et ce, avec la couverture des médias mainstream, aux mains des industriels qu’on ne présente plus. Il n’y a qu’à voir le traitement infligé aux Gilets jaunes, traités de « racailles cagoulées » qui « se battent sans réfléchir » ; ainsi qu’aux écolos tantôt « ayatollahs », tantôt « khmers verts », dans tous les cas « fanatiques ».
Le constat d’Hervé Kempf est implacable. La solution ? Celles qu’il esquisse sont, de son propre aveu, un peu utopiques. L’heure n’est pas à la Révolution, la victoire par les urnes semble irréalisable, et l’autonomie ne sera tolérée que si elle reste marginale. Mais comme « ils n’entendent rien », et que « en tant qu’écolos, on ne touche pas à l’intégrité physique des gens […] dans la gamme d’actions, il ne reste que le sabotage ». Alors, à l’image du général de Gaulle (toutes proportions gardées), Hervé Kempf voit des signes d’espoir lorsqu’il apprend le fauchage de champs OGM, d’antennes 5G, la pose d’autocollants sur des caméras de surveillance, ou le dégonflage de véhicules SUV…
Surtout, ce partisan du Revenu Maximum Admissible (« pas de milliardaire ») appelle au réveil collectif : « Le capitalisme est individualiste, soyons collectifs. Il cultive la compétition, choisissons la coopération. Il est obsédé par le marché, pratiquons le don. Il est cupide, bâtissons une économie sans appropriation. Il est égoïste, vivons l’entraide. Il gaspille, soyons sobres. Il accumule, partageons. Il isole et enferme, retrouvons-nous et faisons la fête. Il contrôle et mesure le corps, chantons et dansons. Il ne jure que par la performance, goûtons le travail bien fait. Il est pressé, prenons notre temps. »
Message d’espoir au cœur d’une société oppressante ; question durable à l’époque de l’immédiat ; nécessité collective face aux intérêts individuels… Hervé Kempf, qui estime que « la question écolo doit être la question politique prioritaire du XXIe siècle », connaît l’obstacle. « Dès que le mouvement prendra de l’ampleur, ne doutons pas qu’il sera accusé de terrorisme ».
Infos en + :
– Que crève le capitalisme, éditions Seuil, 14,50 €.
– Réunion de Greenpeace le 28/10 à 18h30 à la Carmagnole, ouverte à tous (qui a dû être annulée entre temps).
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