Le cri de révolte de la communauté trans à Montpellier

Ielles étaient plus de deux cent à avoir répondu à l’appel au rassemblement en mémoire de Doona, étudiante trans de 19 ans, qui s’est donnée la mort la semaine dernière. Après que des polémiques aient éclaté dans l’espace médiatique autour de la responsabilité du CROUS de Montpellier, mais aussi du service des urgences psychiatriques de l’hôpital Lapeyronie, dans la suite d’événements ayant conduit à cet acte tragique, l’heure était à la colère et à l’expression des situations dramatiques que peuvent connaître les personnes trans, entre rejet familial et sociétal, conduisant parfois à la précarité, trop souvent à une forme de malêtre et d’isolement.

Lors de ses prises en charge à l’hôpital, [Doona] a subi une maltraitance médicale importante, due à la transphobie portée par le personnel soignant, qui l’a poussée à s’enfuir avant d’avoir reçu les soins adaptés. Nous tenons à rappeler que la transphobie institutionnelle, pousse de nombreuses trans à ne plus consulter, que ce soit médecins généralistes ou urgences. […] C’est le cas de Doona, qui après ses passages à l’hôpital, n’a plus voulu retourner aux urgences, alors que sa santé mentale se dégradait de plus en plus.

“Suite à ces hospitalisations fréquentes, le CROUS lui a explicitement dit que si elle retentait de se suicider, ils lui retireraient son logement et enlèveraient ses bourses. Le jour même, elle mettait fin à ses jours. Encore une fois, l’État, le CROUS, précarisent ces étudiantes, mettant en danger leur santé mentale, parfois jusqu’au suicide. Nous demandons la justice pour Doona, comme nous l’avons déjà exigé pour notre camarade lyonnais qui s’était immolé par le feu devant le CROUS, en raison de son extrême précarité et de l’inaction du CROUS.”

La communauté demande à ce que le CROUS Montpellier “reconnaisse ses fautes et prenne des mesures concrètes en urgence : la formation des personnels CROUS et hospitaliers aux questions LGBTQIA+ relatives à la santé mentale, l’interdiction pour le CROUS d’exclure les étudiant·es avec la transformation des droits d’occupation en baux de droit commun, la création de cellules psychologiques non-mixtes LGBTQIA+ afin de rendre compte à l’administration des universités de la transphobie et de ce qui doit être fait pour y remédier, la création d’une commission contre les discriminations ainsi qu’un fonds d’aide aux personnes trans, de manière générale des moyens à la hauteur des besoins pour que les étudiant·es vivent et étudient dans des conditions dignes“.

Le directeur du CROUS Montpellier Pierre Richter avait rejeté ces accusations, estimant que “l’ensemble des équipes du Crous a montré un dévouement et un professionnalisme exemplaires dans l’accompagnement de Doona“. “Le service social, avec la médecine préventive de l’université, ont reçu Doona et ont mis en place un accompagnement psychologique renforcé pour lui permettre de surmonter ses difficultés, et de passer le cap de la transformation qu’elle avait choisie, le moins mal possible” avait ajouté M. Richter, s’emmêlant légèrement les pinceaux puisqu’on parle dans ce cas de transition et non de transformation, pointant le manque de formation et de connaissance de la société quant aux problématiques des personnes trans.

Les participant·es, après une première prise de parole devant le CROUS, se sont ensuite rendu·es jusque devant l’hôpital Lapeyronie, où les témoignages se sont enchaînés, avant de prendre le chemin de la cité universitaire Vert-Bois.

Au delà des responsabilités institutionnelles, qui envisagent de graves carences dans la formation et la prise en compte par les divers personnels concernés des problématiques liées aux LGBTQIA+, c’est le portrait d’une société discriminante, brutale et aveugle qui a été dressé par les témoignages livrés lors de nombreuses prises de parole, et à travers celles-ci, de parcours de vie souvent très durs révélant le courage de ces personnes violemment exclues par la norme.

Si la mémoire de Doona était saluée, c’était aussi l’occasion pour la communauté de faire corps et de se souder dans l’adversité, de passer des messages de solidarité et d’espoir, d’entraide et de courage. Nous avons choisi de les retransmettre – quand nous l’avons pu – dans leur intégralité, afin de respecter l’intégrité de ces témoignages, parfois très douloureux mais toujours emplis de cette volonté digne de briser la glace et de laisser la parole se libérer.

“Quand on est trans, on est obligé d’apprendre à vivre avec la mort, que ce soit la notre ou celle de nos proches.”

 

“En une semaine à Montpellier, deux de mes soeurs ont fait une tentative de suicide, sans compter Doona, à cause de la précarité.”

“Tu as mis fin à tes souffrances, à toute cette transphobie que tu subissais…”

 

“Nous les personnes trans, tout ce que nous voulons c’est vivre en paix. Vivre, ce n’est pas un crime, la transphobie c’en est un.”

“C’est pas le personnel médical qui manque, c’est le respect de nos identités, il est absent !”

 

Toute personne a droit à des soins sans discrimination, je l’ai appris il y a une semaine en cours. […] Qu’est ce que c’est la réalité ? C’est ce que vous venez d’entendre, c’est ce que presque toutes et tous on a vécu ici. C’est systématique, c’est permanent, ça arrive tout le temps tous les jours. Parce qu’on en a rien à foutre de nous dans cette société.”

On a pris tellement de coups sur le dos, que maintenant on a toutes des poings en acier.”

 

“État transphobe, et corrompu !”

“48h après avoir fait mon coming out trans, six à huit personnes m’ont drogué de force, pour faire ce qu’on appelle un viol collectif et punitif.” [témoignage interrompu par un usager du tramway insultant et transphobe]

 

“Il faut combattre, combattre. Parce qu’on fait des petites avancées à chaque génération, et là il reste encore les plus importantes.”

“Ce n’est pas normal qu’on doive se rassembler pour combattre pour nos droits, pour quelque chose auquel on a droit mais qui n’est pas encore en place.”

 

“Même si on vient pas d’un milieu précaire de base, on se fait abandonner par nos familles.”

“C’est la première fois que je dis devant autant de monde que je suis non binaire et que je suis fier.”

 

Il y a un an et demi, quand j’étais à l’internat de mon lycée, que mes parents étaient d’anciens militants de la Manif pour tous, je savais pas s’ils allaient me buter ou quoi. Je suis partie de chez mes parents, mais j’ai décalé mon départ d’un jour parce que je n’ai jamais été autant au bord de la tentative de suicide. Et c’est aussi pour ça que l’histoire de Doona fait écho. Je n’ai pas vécu que la transphobie. Le validisme et la psychophobie continuent, je vis [cela] depuis la primaire. Cela fait depuis la quatrième que je n’ai pas eu une année scolaire complète, parce qu’on refuse mes aménagements, parce qu’on me harcèle prof comme élèves, proviseurs… Il faut oublier que Doona en plus d’être une meuf trans, était aussi neuroatypique. […] La convergence des luttes entre les personnes neuroatypiques et trans doit se faire car beaucoup de nos adelphes trans sont neuroatypiques et j’espère qu’elles ne seront pas laissées au bord du chemin.

“Harry Potter est devenu Helen Potter.”

 

“Mais t’es un mec pourquoi tu portes une robe faut pas t’habiller comme ça !
– Ah non c’est bon ! C’est un écossais !”







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