Nouveau schéma du maintien de l’ordre : l’emballage cosmétique du tout répressif

L’infiltration plus systématique de casseurs au sein des cortèges a conduit les forces à adapter leur doctrine de gestion des manifestations. Le schéma national du maintien de l’ordre entérine ces évolutions et fixe un nouveau cadre d’exercice du maintien de l’ordre, afin de disposer, en France, d’un document accessible au public, et commun aux différentes forces.

C’est par ces mots que dans un édito Gérald Darmanin ouvre le Nouveau schéma national du maintien de l’ordre, chantier entamé par son prédecesseur Christophe Castaner, et qui vient proposer un exercice d’équilibriste entre préservation de la liberté de manifester et répression des “casseurs”. Dans un discours d’apaisement et de respect des libertés publiques, qui tranche très largement avec la réalité vécue par les manifestants sur certains terrains de manifestation, plusieurs axes ont été développés et déclinés en trois grandes parties. Décryptage.

Le nouveau schéma national du maintien de l’ordre est explicité par de nombreuses images illustrant la réalité des manifestations ! Ici, à gauche : des vrais manifestants, et à droite : des “casseurs”.

“Un cadre garantissant une liberté”

Dans cette partie, rien de nouveau. Le texte rappelle d’abord l’encadrement légal et les grands principes du maintien de l’ordre qui existent déjà. “Lorsque le maintien de l’ordre s’exerce lors d’un rassemblement de personnes, il a pour but principal de permettre l’exercice des libertés individuelles et collectives, tout en les régulant.” La notion de régulation doit sans doute expliciter ce qu’une grande partie des manifestants depuis la Loi Travail en 2016 conçoivent comme de la répression…

Un petit rappel du fait que toute manifestation est soumise à un simple régime de déclaration préalable avec un préavis de trois jours, permettant à l’autorité républicaine de préparer son encadrement. La loi du 10 avril 2019, aussi appelée “loi anti-casseurs”, au milieu de son arsenal sécuritaire et répressif avait réduit le nombre minimal d’organisateurs de trois à un, pour encourager la déclaration des manifestations, notamment dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes.

Autre rappel concernant la possibilité pour les autorités d’interdire toute manifestation déclarée ou non en cas de risques de troubles à l’ordre public, et la punition par une contravention de ses participants. L’organisation d’une manifestation non-déclarée ou interdite demeure répréhensible selon le code pénal (six mois d’emprisonnement et 7500€ d’amende).

“Protéger les manifestants dans le contexte nouveau des mouvements de contestation”

Un contexte qui n’a en fait rien de nouveau, puisque les forces de l’ordre sont depuis plus de quinze ans confrontées à la présence de “casseurs” ou de cortèges de tête dans les manifestations (lire notre article 20 ans de dérive sécuritaire : la ligne Sarkozy). C’est à ce moment là que la question de la répression policière en manifestation connaît une envolée, après avoir frappé durement les banlieues. Pour rappel le premier Guide du manifestant arrêté du Syndicat de la Magistrature date de 2005. Lors d’une manifestation contre le CPE la même année, la préfecture annonce avoir identifié 1500 “casseurs” et 300 “anarcho-autonomes” après que des scènes de chaos se soient produites à Paris.

La mission première des forces de l’ordre est de garantir le bon déroulement des manifestations et d’apaiser les éventuelles tensions. À cette fin, il est mis en place un dispositif de liaison et d’information lors des manifestations, afin que la communication avec les organisateurs et les manifestants constitue désormais une priorité dans la gestion de l’ordre public.

Visiblement les forces de l’ordre ont eu du mal à apprécier leur mission première dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, répondant quasi systématiquement aux tensions par l’usage de l’arsenal militaire mis à leur disposition, comme l’ont renseigné environ les trois quarts de nos reportages de terrain. Toutefois le texte apporte ici des nouveautés concrètes, s’inspirant notamment du maintien de l’ordre d’autres pays européens tels que l’Angleterre ou l’Allemagne. En effet, sous l’égide du Directeur du Service d’ordre (l’autorité de police en charge du dispositif de maintien de l’ordre), une équipe “Liaison et Information” sera présente dans les manifestations pour échanger de manière constante avec les organisateurs ou les manifestants : changement d’itinéraire, imminence d’un appel à la dispersion, présence de “fauteurs de troubles”…

Lorsque la situation se dégrade et dès lors qu’elle est rendue nécessaire, l’annonce de l’emploi de la force réalisée dans le cadre légal doit pouvoir être perçue et comprise par tous, manifestants pacifiques, observateurs, passants, riverains et manifestants violents.

Il va donc falloir passer un appel d’offre pour une commande massive de mégaphones dans la police nationale, constatant que très régulièrement, les sommations sont rendues complètement inaudibles par du matériel défectueux. Heureusement, le ministère de l’Intérieur a prévu la commande panneaux de signalisations et de haut-parleurs à très forte puissance. Nous recommandons à ce titre le modèle de sono utilisé par la CGT, très efficient !

Des précisions sur les axes permettant de quitter les lieux, sur les moyens employés pour disperser l’attroupement pourront ainsi être apportées

Des axes permettant de quitter les lieux ? On n’a pas souvent vu ça dans les nasses qui ont pu régulièrement “garantir la liberté de manifester” partout en France, et qui semblaient plus se rapprocher de dispositifs de garde à vue géante, voire de chambres à gaz lacrymogènes dans certains cas. Karnaval pourra-t-il donc se tenir l’an prochain à Montpellier sans que les participants ne soient ainsi retenus pendant quatre heures ? On notera cependant l’usage du verbe “pouvoir” qui laisse à l’appréciation de ceux qui le détiennent localement l’opportunité de préciser de telles informations.

Quoiqu’il en soit, pour toutes ces nouvelles formes de communication plus pacifiques et compréhensibles que l’habituel coup de tonfa ou de bouclier, les policiers et gendarmes du maintien de l’ordre recevront des modules de formation spécifiques.

CRS indiquant bienveillamment l’axe d’évacuation le plus proche à une manifestante

La question des journalistes

Le statut un peu à part des journalistes est également évoqué par le nouveau schéma. En effet, ce samedi encore, trois d’entre eux étaient interpellés et/ou placés en garde à vue à Paris, dont Gaspard Glanz qui s’est vu de plus effacer ses images. Rappelons que dans l’équipe de la Mule, plusieurs ont été blessés indirectement ou directement par l’action des forces de l’ordre (tir tendu de grenade lacrymogène, éclats de grenades de désencerclement, coups de tonfa ou de bouclier). C’est donc là une question qui nous intéresse plus particulièrement !

La nécessité de préserver l’intégrité physique des journalistes sur le terrain est réaffirmée. Eu égard à l’environnement dans lequel ils évoluent, les journalistes peuvent porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation.

Plus besoin de jurisprudence en la matière donc, les journalistes auront bien le droit de porter leurs équipements de protection afin de se tenir au plus près des actions. Toutefois reste à définir ce que l’Intérieur considère comme journaliste, puisqu’on lit quelques lignes plus loin : “Un officier référent peut être utilement désigné au sein des forces et un canal d’échange dédié mis en place, tout au long de la manifestation, avec les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités.” On se doutait bien qu’il y aurait un coup fourré à l’égard des journalistes indépendants qui pour une grande majorité ne disposent pas de la carte de presse et sont ceux qui réalisent en général le travail le plus immersif dans le cadre des manifestations, renseignant au plus près l’action de la force publique. Est-ce là à comprendre que les journalistes non-encartés ne pourront plus suivre les manifestations ?

Rappelons que le journalisme est une profession non réglementée, qui ne repose donc légalement pas sur la possession d’une carte de presse. Ce que nous craignons, c’est que l’appréciation de la qualité de journaliste soit donc laissée au Préfet ou aux forces de l’ordre, qui harcèlent régulièrement tous types de preneurs d’images ne disposant pas de la dite carte. La distinction ici des journalistes titulaires de la carte de presse du reste de leurs confrères et consoeurs risque donc d’empirer le traitement réservé à la plupart d’entre nous.

Il importe à cet égard de rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations.

Un rappel qui ne résiste pas à la réalité du terrain, puisque le travail des journalistes immersifs repose justement sur cette présence après sommation et permet de renseigner la manière dont les forces de l’ordre réalisent la dispersion. D’autre part, nombre de cortèges après les sommations ont cette fâcheuse tendance à se transformer en manifestations sauvages, poursuivies par les forces de l’ordre : les journalistes devraient-ils donc tout simplement cesser leur travail de documentation une fois les sommations données ? Notons que le qualificatif de membres d’associations vient directement viser les observateurs citoyens tels que ceux de la Ligue des droits de l’Homme… On a donc là une volonté de rappeler que la liberté d’observer n’existe plus dès lors qu’une manifestation est dispersée, ce qui pose un fort problème d’essence démocratique.

Renforcement de la présence des effectifs locaux

L’évolution des mouvements de contestation et leur dispersion géographique” (entendons par là : la montée inéluctable de la fronde sociale face à des gouvernants qui privilégient à ceux de la population leurs intérêts et ceux de la caste à laquelle ils appartiennent) nécessite un engagement plus assidu des compagnies d’interventions de la police nationale (CDI) “et plus récemment, des unités généralistes de la sécurité publique ou de la gendarmerie départementale.” Nous l’avions remarqué ! En effet, face à la multiplication des foyers de contestation partout sur le territoire, les effectifs du maintien de l’ordre bien que très nombreux se sont révélés insuffisants à “garantir l’ordre public” en France, c’est pourquoi les agents des BAC et CDI sont régulièrement employés sur les terrains de manifestations, tout comme leurs homologues policiers en tenue.

Ces policiers et gendarmes à partir de mars 2019 ont reçu des programmes de formation spécifiques, qui seront renforcés dans le cadre du nouveau schéma. Rappelons que les BAC (et autres unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre) ont été tenues pour responsables de la majorité des blessures par tirs de LBD lors des manifestations des Gilets jaunes, une unité qui avait plutôt ses habitudes face à la criminalité urbaine, et qui se comporte parfois très violemment dans le maintien de l’ordre.

Le maintien à distance reste la doctrine privilégiée

C’est la base du maintien de l’ordre à la française, éviter le contact entre les manifestants et les forces de l’ordre, qui aboutirait à de plus nombreuses blessures et scènes chaotiques. Pour garantir ce maintien à distance, les forces de l’ordre s’appuient aujourd’hui sur un arsenal répressif militaire, progressivement introduit depuis les années 2000 : LBD, grenades de désencerclement, gaz lacrymogènes. Or, il se trouve que c’est l’usage débridé de cet arsenal qui a provoqué l’immense majorité des blessures et notamment des plus graves, dans le cadre des mouvements sociaux comme des révoltes urbaines. Le mouvement des gilets jaunes a mis à mal cette doctrine, responsable de milliers de blessés dans les manifestations, la plupart des manifestants n’étant pas équipés pour être protégés de tels armements.

On n’a donc pas réellement de remise en question du maintien à distance, qui privilégie l’usage d’armement dans toute situation où des éléments contestataires “fauteurs de troubles” viendraient s’immiscer dans les manifestations, plutôt que de chercher d’autres moyens d’aborder la situation. En Allemagne, Suède, Danemark ou Angleterre, la doctrine du maintien de l’ordre repose sur une politique de “désescalade”, fondée sur la psychologie des foules, et visant à éviter la solidarisation de celles-ci avec les éléments radicaux.

La foule n’est ainsi pas considérée dans son ensemble, et les policiers procèdent à des interpellations individuelles, lesquelles sont accompagnées par la présence d’équipes spéciales (“Gestion de conflit”) qui viennent expliquer aux manifestants les opérations qui se déroulent et les guider afin de préserver leur intégrité en cas de danger physique imminent du à l’intervention. La plupart des situations de tension sont ainsi déminées. En France, on l’a vu, nombre de gilets jaunes ont considéré les contestataires du black bloc comme les ayant protégé des violences policières…

On continuera donc de gazer et de tirer sur la foule pour la disperser. Mais le nouveau schéma du maintien de l’ordre prévoit cependant une évolution des sommations, censément plus compréhensibles que le modèle précédent et qui se dérouleront toujours en trois temps :

  1. « Attention ! Attention ! Vous participez à un attroupement. Vous devez vous disperser et quitter les lieux. »
  2. « Première sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux. »
  3. « Dernière sommation : nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux. »

C’est en effet beaucoup plus clair ! On doit désormais quitter immédiatement les lieux plutôt que de se disperser.

Déontologie

Puisque ça ne fait jamais de mal, le texte émet un petit rappel pour les forces de maintien de l’ordre :

L’ensemble de ces forces est soumis à une exigence de professionnalisme et d’exemplarité, notamment s’agissant de la maîtrise de la force. Chaque fonctionnaire de police et militaire de la gendarmerie doit ainsi agir dans le respect total des règles de déontologie, et tout particulièrement celles du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale (articles R.434-1 et suivants du code de la sécurité intérieure). Le rôle de l’encadrement intermédiaire est primordial à cet égard.

Jusque là, l’encadrement intermédiaire a bien souvent eu du mal à faire respecter cette exigence de professionnalisme et d’exemplarité, en témoigne récemment la dernière manifestation des Gilets jaunes à Montpellier, où c’est l’un des gradés CRS qui a particulièrement mis de l’huile sur le feu, sa brigade au demeurant, se comportant de manière très agressive avec des manifestants majoritairement pacifiques.

Le ministère promet un renforcement des formations afin de garantir cette exigence d’exemplarité, et rappelle que l’action des forces de l’ordre doit être transparente. Les policiers cesseront-ils donc de cacher aux yeux des observateurs les scènes d’interpellations violentes avec leurs boucliers ?

Afin d’améliorer l’identification spécifique de chacune des unités, le marquage dans le dos sera généralisé.” On aurait pu croire là à une très bonne idée (dans certains pays le matricule des policiers est directement floqué en grande taille sur leur uniforme), or ce marquage concerne le type d’unité concerné et non l’identification individuelle : en d’autres termes, il y aura écrit “CRS” ou “Gendarmerie Mobile” au dos de l’uniforme des agents. Les manifestants auront donc l’immense satisfaction de savoir que c’est un CRS qui les vise avec son LBD et non un gendarme mobile. Au demeurant, les différentes unités du maintien de l’ordre sont déjà différenciées par leurs casques (bandes bleues pour les CDI ou la BAC, bandes jaunes pour les CRS, casques bleus pour la gendarmerie mobile), mais aussi des marquages déjà présents sur leurs uniformes.

Le comportement individuel des personnels engagés concourt également à la réussite des opérations et au renforcement de leur légitimité. Le respect des règles, et notamment le port du RIO y compris sur la tenue de maintien de l’ordre, y contribue. Il est en outre rappelé que le port de la cagoule pour les personnels de ces unités intervenant en maintien de l’ordre est proscrit.

Le port du RIO, qui n’est généralement pas respecté par les unités de maintien de l’ordre (le dernier acte des GJ à Montpellier là encore en témoigne), ne sert de toute façon souvent pas à grand chose sa taille étant ridiculement petite, et le matricule étant scratché et donc détachable de l’uniforme à tout moment. Bref, des mesurettes et rappels qui ne vont en rien renforcer la légitimité de l’action policière puisque les policiers continueront d’échapper individuellement aux sanctions lorsqu’ils commettent des violences illégales.

La taille du matricule (RIO) à la française assure à elle seule l’impunité organisée par l’IGPN. En comparaison, le modèle allemand…

“Agir contre les auteurs de violences qui oeuvrent pour que dégénèrent les manifestations”

L’imbrication entre manifestants paisibles et auteurs de violences oblige à développer des tactiques permettant de mettre un terme aux exactions tout en discriminant les manifestants selon leur comportement. Des évolutions ont été décidées lors de l’hiver 2018-2019, elles sont, dans ce schéma, entérinées.

C’est donc l’usage de la BAC et de la BRAV-M, expérimenté depuis les manifestations des Gilets jaunes, qui sont entérinées comme forces d’interpellations rapides dans le nouveau schéma. Cela pose évidemment problème en l’absence d’équipes de liaison permettant d’assurer la communication des opérations aux autres manifestants. On constate bien souvent que les interpellations ciblées sont génératrices de tension dans les manifestations, se produisant souvent au beau milieu des foules et suscitant panique et incompréhension.

Le schéma entérine aussi l’usage des moyens vidéos pour aider à ces interpellations, et notamment des images tournées par les drones. L’idée est de permettre une réaction la plus rapide possible afin d’empêcher les “fauteurs de trouble” d’agir tout le long de la manifestation. La mise en place, déjà permise, d’unités spéciales vouées aux interpellations, et notamment composées de policiers territoriaux locaux connaissant bien le terrain, est aussi entérinée.

Réponse judiciaire optimisée

Pour répondre à cette rapidité d’intervention accrue, l’aspect juridique des interventions se veut optimisé par plusieurs aspects, pour certains déjà existants : “des équipes judiciaires de constatation doivent être intégrées au sein des dispositifs afin de caractériser les infractions commises et d’identifier les auteurs“, “tout moyen de preuve doit pouvoir être apporté pour l’identification des auteurs (mise en œuvre de la police technique et scientifique, témoignages, outils techniques d’aide à l’enquête… mais également images exploitées sans délai dans le cadre de l’enquête)”, les magistrats peuvent être invités à être présents dans certains lieux de décision (ex : CIC, COP, PC de commandement, etc.)“.

La création temporaire de cellules dédiées à la poursuite des investigations judiciaires, en mixant les spécialités (agent de renseignement, procéduriers, agents de voie publique) permet d’accroître les chances d’identification des fauteurs de troubles.

La loi anti-casseurs d’avril 2019 est venue renforcer ces dispositifs en établissant les délits de participation à un attroupement en vue de commettre des violences ou dégradations, et de dissimulation du visage, et la possibilité pour les autorités judiciaires d’engager des procédures rapides pour ces délits : convocations par PV, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, et surtout comparution immédiate, mais aussi interdictions de manifester.

“Évolutions” sur l’armement

L’emploi de la force par les forces de sécurité intérieure doit être absolument nécessaire, strictement proportionné et gradué, avec des moyens adaptés. La violence à laquelle les forces doivent faire face nécessite de disposer de moyens adaptés, légaux et qui permettent une réponse proportionnelle et graduée. À cet égard, les armes de force intermédiaire sont nécessaires aux forces de l’ordre. Leur emploi est cadré par des directives. Il a été jugé utile de les faire évoluer, tout en confortant le rôle de ces armes à l’occasion des missions de maintien de l’ordre.

Maintien à distance oblige, les armes du maintien de l’ordre à la française sont donc préservées, même si elles subissent certaines évolutions. Notamment, l’abandon des grenades GLI-F4 annoncé en grande pompe par Castaner en janvier 2020 (le stock était presque fini) et remplacées par la GM2L, dont le neuro-chirurgien Laurent Thines a alerté très rapidement sur la dangerosité, pourtant présentées comme moins dangereuses. Les anciennes grenades GMD sont également retirées de l’usage et remplacées par un nouveau modèle présenté comme moins vulnérant, mais ici non précisé (la GENL ? Lire notre enquête).

D’autre part, tout agent porteur de LBD devra être accompagné d’un superviseur chargé de lui donner la consigne de tir en évaluant la situation d’ensemble et les mouvements des manifestants (jusqu’ici seules les unités traditionnelles du maintien de l’ordre étaient concernées, CRS et GM). Cette mesure touchera donc les agents de la BAC qui jusque là disposaient d’une relative latitude pour tirer à vue.

Est confirmée également le port d’une caméra-piéton pour tout porteur de LBD ou à défaut, son superviseur. Ce type de dispositif a été de nombreuses fois décrié puisque son déclenchement reste à la discrétion des agents. Exemple : dans le cas du procès de l’observatrice de la LDH Camille Halut à Montpellier, le commissaire divisionnaire ayant interpellé la jeune femme n’avait pas activé sa caméra-piéton, privant la justice d’images policières de l’action.

De nouvelles acquisitions de matériel sont par ailleurs annoncées : véhicules de commandement, blindés et lanceurs d’eau, matériel d’intervention (armes) et de protection, matériels radio, etc. L’engagement de moyens aériens tels que les hélicoptères et les drones sera également développé afin de perfectionner les moyens d’interpellation et d’identification des “fauteurs de trouble”.

Des images qui ne courent pas les rues en cette période…

Renforcer la propagande

Le gouvernement réfléchit à la mise en place d’une stratégie de communication à grande échelle autour des opérations d’ordre public, “en raison de leur complexité grandissante mais également de l’environnement médiatique dans lequel elles s’inscrivent“. La lutte contre les fake news sera donc une grande priorité. La première d’entre elles sortait pourtant de la bouche même du ministre Castaner : “Il n’y a pas de violences policières“.

La diffusion de photos des matériels dangereux saisis et d’images illustrant la réalité des violences contre les forces de l’ordre doit être encouragée.

On aura peut-être donc la chance à Montpellier de voir la préfecture diffuser les trois ou quatre jets de canettes ou de bouteilles qui légitiment le déploiement de l’action violente des forces de l’ordre. S’il est vrai que les forces de l’ordre ont subi des violences lors des premiers mois du mouvement des Gilets jaunes, lorsqu’un semblant de bloc était encore présent en tête de cortège, cela fait désormais un moment que ces actes se font rares à Montpellier et entraînent pourtant des réactions disproportionnées (dispersion de l’ensemble de la foule à l’aide de gaz abondants, usages de grenades de désencerclement en situation de non-encerclement, etc).

Un appui aux victimes, tiers aux affrontements, est mis en place auprès de chaque préfet. La responsabilité sans faute de l’État peut être engagée en cas de dégâts ou de dommages, dès lors que la victime n’a pas été impliquée dans les affrontements directs avec les forces de l’ordre, n’a pas commis de faute, ni concouru à la réalisation du préjudice subi (article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure). Afin de faciliter les démarches de ces victimes, un référent sera spécifiquement désigné dans chaque département.

Ici une mesure intéressante, mais dont l’appréciation par les pouvoirs publics et la justice reste à préciser. Si l’immense majorité des manifestants ne sont impliqués dans des affrontements directs avec les forces de l’ordre, beaucoup (entre 2000 et 3000 selon le collectif Désarmons-les! et le journaliste David Dufresne) ont cependant été blessés lors du mouvement des Gilets jaunes. Mais qu’entend-on par une notion aussi vaste que “commettre une faute” ?

Rester dans la manifestation après les sommations d’usage est-il considéré comme une faute ? En ne respectant pas les sommations, avons nous concouru à la réalisation du préjudice subi ? Des interprétations positives de ces questions là excluraient donc de la réparation la plupart des Gilets jaunes blessés partout en France, la dispersion étant parfois rendue impossible par l’usage des nasses ou difficile par le chaos qui peut être entraîné par une action policière disproportionnée.

Conclusions

Les textes régissant jusque là le maintien de l’ordre en France, qu’ils soient d’ordre directifs ou légaux, insistent toujours sur la notion de proportionnalité de la réponse. Or, la réalité des faits démontre que les forces de l’ordre, dans le cadre de certains mouvements ou de certaines cibles, ne respectent pas forcément cette notion. Qu’il s’agisse d’usage extrêmement abondant de gaz, de tirs de LBD ou de grenades de désencerclement, d’interpellations violentes ensuite transformées en rébellion avec violences par des plaintes des policiers, les exemples sont hebdomadaires et nombreux du peu de cas fait à la déontologie par un certain nombre d’agents du maintien de l’ordre.

Les manifestants ont très vite fait la différence entre les unités territoriales telles que la CDI ou la BAC, peu formées au maintien de l’ordre en manifestation et généralement beaucoup plus violentes que leurs pairs, et les unités traditionnelles du maintien de l’ordre comme les CRS. Les gendarmes mobiles sont souvent cités comme exemples en terme de respect de la déontologie, ce qui n’enlève en rien à la violence du maintien de l’ordre à la française quand ces unités l’assurent. Toutefois, on observe chez les gendarmes gradés beaucoup plus d’appréhension quant à l’usage de la violence, et de précaution dans la gestion des tensions avec les manifestants. L’absence d’évolution sur la question des sanctions spécifiques appliquées individuellement aux policiers qui ne respecteraient pas la déontologie résonne avec le déni de responsabilité des donneurs d’ordre et de la hiérarchie quant aux violences policières.

Le nouveau schéma du maintien de l’ordre vient finalement entériner toutes les expérimentations menées par la police dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, tout en emballant le paquetage d’un joli papier cadeau (une habitude chez LREM) autour de la communication et de la gestion des tensions, occultant le fait que celles-ci sont souvent le fruit de la base même de la doctrine française : le maintien à distance, qui fait de l’usage de l’armement le premier recours en cas de désobéissance aux sommations.

Tant que cette doctrine dans son essence ne sera pas remise en question, le nombre de blessés dans ce type de manifestation n’évoluera pas à la baisse et les comportements individuels ou collectifs violents – d’un côté comme de l’autre – ne seront pas endigués. Les mesures comme le remplacement d’une grenade par une autre, la meilleure perception des sommations ou identification des unités policières, sont avant tout d’ordre cosmétique et ne résoudront jamais les problématiques qui se posent dans les manifestations ou actions contestataires.

Alors que des milliers de personnes vont être jetées dans la précarité par la crise liée au Covid19, ce nouveau schéma du maintien de l’ordre vient présenter d’une manière faussement apaisée les conditions mêmes de la future répression des mouvements sociaux à naître. En subissant les injustices du maintien à distance, les Gilets jaunes, pour beaucoup primo-manifestants, ont développé à juste titre une attitude contestataire qui combinée à l’implacabilité stupide et absurde du maintien de l’ordre à la française a créé une situation sociale explosive. Il n’est pas à douter que toutes celles et ceux qui viendront prochainement exprimer pour la première fois dans les rues de nouvelles revendications seront également confortés par l’agression des gaz et des plots des grenades dans l’idée que le droit de manifester n’existe plus en France.

La question de l’assimilation des observateurs et journalistes au délit de participation à l’attroupement en raison de leur maintien sur les lieux après les dispersions pose également de très graves problèmes quant à la liberté d’observer, déjà régulièrement pourfendue par les forces de l’ordre sur le terrain. On se dirige droit vers une répression renforcée, qui se déroulera nécessairement loin des yeux des observateurs risquant interpellation et judiciarisation à leur tour. Le but, en creux : empêcher la manifestation populaire et contestataire de se dérouler dans l’espace public.







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