Le collectif Luttopia, gestionnaire du squat des anciennes archives départementales, a rencontré ce jour le directeur de cabinet de la Préfecture M. Smith, en présence de représentants de la municipalité, de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) et de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), pour évoquer l’avenir du bâtiment, sous le coup d’une décision judiciaire d’expulsion.
Un changement de discours de la Préfecture ?
Lors de cette rencontre, il semblerait que la Préfecture ait relativement changé de discours quant à l’expulsion du squat des archives, que le Préfet Jacques Witkowski avait annoncé en février dernier. Une certaine prise de conscience de la situation catastrophique du logement et de l’accompagnement social dans le département a visiblement permis d’envisager une solution commune à l’avenir du Luttopia 003, en vue de reloger ses occupant·es de manière réellement pérenne.
La Préfecture a ainsi proposé la mise en coordination du collectif Luttopia avec la DDCS et le CCAS en ce qui concerne l’accompagnement social des personnes concernées. Le collectif est aussi amené à travailler avec l’Agence Intercalaire et la Fondation Abbé Pierre sur la réquisition préfectorale d’un bâtiment ou plusieurs bâtiments vides, pour une mise à disposition sur le long terme d’au moins 90 places d’hébergement. Services préfectoraux, communaux et départementaux se coordonneraient ainsi avec le collectif Luttopia pour éviter une sortie sèche du bâtiment des archives et reloger ses occupant·es dans les meilleures conditions possibles.
La situation catastrophique du logement à Montpellier
Comme nous l’avons renseigné à plusieurs reprises, un certain nombre de squats à Montpellier assument dans les faits les devoirs de l’État de palier les sévères carences en logement et en accompagnement social dans la région. Rappelons que rien que sur le département, 44000 demandes de logement social sont en attente, 22000 sur la ville de Montpellier, pour un délai de traitement de 36 mois. A Montpellier, malgré l’augmentation de 83% des places d’hébergement d’urgence en trois ans, selon les propres évaluations de la Préfecture au moins 1500 personnes sont à la rue, en dehors de tout accompagnement, y compris des squats. Ceux-ci, avant les vagues d’expulsion de cet été, assumaient l’hébergement d’au moins 1000 personnes.
“Aujourd’hui, on observe un changement dans la population qui se retrouve à la rue. Il y a un énorme afflux de personnes touchées par la crise économique et le confinement, on est dans un profil d’une classe moyenne basse” qui se paupérise, nous explique Jo, cofondateur du collectif Luttopia. Avec un parcours du combattant à assumer dans un labyrinthe administratif qui leur est bien souvent inconnu.
Lors du confinement, la présence du collectif Luttopia au sein de la plateforme de redistribution de nourriture a participé d’une mise en lien inédite entre les autorités publiques et un certain nombre d’organismes, de collectifs squats et d’associations. Celle-ci avait par ailleurs permis la réquisition de nouveaux lieux d’hébergement face à l’urgence du confinement, dont l’un situé sur les rives du Lez et dont la gestion a été confiée à l’association Gammes, a vu son fonctionnement renouvelé après le déconfinement.
La prise en main citoyenne de l’accompagnement social aura abouti à une certaine confiance de la part de la Préfecture dans l’action du collectif Luttopia, et à la distinction entre l’occupation illégale d’un lieu, et le travail social effectué, aujourd’hui reconnu. Il est à noter que le collectif prend en charge à lui seul plus de dossiers de retour au droit commun que l’ensemble des centres sociaux montpelliérains.
Une approche pragmatique du mouvement squat
Il apparait aujourd’hui que la mécanique immobilière effrénée des grandes villes condamne le mouvement squat à des occupations toujours plus courtes et précaires, mettant en danger la stabilité et les conditions de vie des occupant·es pris·es en charge. Les expulsions, qui mettent parfois des familles vulnérables au contact de la violence policière, se multiplient et visent particulièrement le délai de 48h les rendant unilatéralement possibles lorsqu’un squat s’ouvre. En parallèle, le système de l’accès au logement est comparable à un serpent qui se mord la queue : les délais d’accès au logement social dans les grandes villes surpassent la validité des dossiers DALO (12 mois), ce qui aboutit à une impossibilité administrative d’accéder à un logement dans ce cadre sans passer par des voies détournées.
“Il est aujourd’hui nécessaire de former la population à ses droits et de faire comprendre que nous avons les capacités d’obliger l’État à réquisitionner” pour Jo. En effet, la loi Élan adoptée en janvier 2018 oblige les services de l’État à mettre en oeuvre des mesures concrètes, dont la réquisition de bâtiments, lorsque des carences sont constatées, qu’elles soient de l’ordre social, du logement, ou de la culture par exemple. Les premiers décrets d’application de cette loi sont venus dès juin 2018 grâce au courage politique du maire de Montreuil Patrice Bessac en lien avec l’association Bara.
Aujourd’hui, la Préfecture ne peut donc plus échapper à son devoir légal. Toutefois, il semblerait que structurellement, l’État soit incapable d’appliquer correctement la loi, et soit donc obligé de se reposer sur le travail social effectué par des citoyen·nes. Une prise de conscience qui semble aujourd’hui s’être produite dans les services héraultais, face à l’échec des mécaniques administratives classiques, et qui pourrait donc aboutir à la mise en place d’un lieu pérenne, où les associations humanitaires, les collectifs, et les organismes d’accompagnement social pourraient effectuer un vrai travail social, dans les meilleures conditions possibles et avec plus de latitude. La Préfecture s’est en effet dite “ouverte à l’expérimentation“.
Le collectif Luttopia a choisi d’adopter une stratégie pragmatique, en militant pour l’application de la Loi par l’État tout en proposant sa contribution à sa mise en place. Une posture qui a donc été accueillie favorablement par les services préfectoraux, et qui lui permet de préserver les conditions d’hébergement et la stabilité des personnes concernées.
La parole des pouvoirs publics à l’épreuve
Un nouveau rendez-vous a été pris en fin du mois de septembre pour évoquer plus concrètement ce qui va être mis en place. La récente expulsion du CSA Bonnard, et du squat Bouisson-Bertrand (lire notre article), qui était pourtant en lien avec les services préfectoraux, ont scandalisé les milieux associatifs sociaux et humanitaires de Montpellier. Les images de dizaines de migrant·es dans leurs sacs de couchage devant la SPADA, sans aucune proposition de relogement pérenne qu’une poignée de nuits à l’hôtel, ont marqué les esprits. L’inaction préfectorale quant à ces personnes s’est clairement inscrite a contrario de la Loi.
La présence de représentants municipaux lors de cette réunion est aussi représentative de la position du maire Michael Delafosse. Contrairement à son prédécesseur Philippe Saurel qui avait systématiquement refusé tout dialogue avec les squats, le nouveau maire semble avoir compris que la situation du logement à Montpellier était concrètement catastrophique, et que s’inscrire dans les volontés d’expulsion et de stigmatisation du mouvement squat serait contre-productif, à plus forte raison lorsqu’on se prétend socialiste. En témoigne la position de la mairie lors de l’ouverture du squat Saint-Vincent-de-Paul dans l’un de ses bâtiments désaffectés, qui montre bien la volonté politique de ne pas se faire allumer en début de mandat. Reste à voir si ce positionnement se maintiendra au fil de celui-ci et aboutira sur un engagement social actif et concret.
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