En sus des violences policières, fréquemment documentées dans le cadre des manifestations des Gilets jaunes à Montpellier, il est des pratiques qui laissent à penser que le cadre déontologique de la police est au mieux mal connu, au pire méprisé par de nombreux agents.
Ce week-end, alors qu’une petite trentaine de Gilets jaunes à peine s’était réunie sur la place de la Comédie, de nombreux policiers ont été déployés pour leur faire la chasse à travers l’Écusson. C’est en marge de cette manifestation que nous avons pu documenter de nouveaux cas de non-respect de la police des règles déontologiques et légales qui sont les siennes.
La hiérarchie enjoint les CRS à dissimuler leur visage
Après avoir procédé au contrôle d’identité de plusieurs observateurs citoyens, qui filmaient avec leurs téléphones portables ou des caméras le dispositif des forces de l’ordre, nous avons pu entendre un curieux message radio, informant les CRS de la présence “de personnes qui filment les visages des collègues […] connues pour filmer, et après exploiter les visages…” et enjoignant ceux-ci à dissimuler leurs visages grâce à leurs cagoules et lunettes de soleil.
Est-ce là une référence au travail d’observation de la Ligue des droits de l’Homme notamment, dont les nombreux rapports ont alerté sur la répétition des violences policières à Montpellier ? Quoiqu’il en soit, il n’est pas interdit aux policiers du maintien de l’ordre d’avoir le visage cagoulé, mais cette pratique, ici encouragée par la hiérarchie, pose question, alors que le débat sur le floutage des policiers sur internet a récemment été relancé par le syndicat policier Alliance. Il semblerait bien que les policiers aient déjà pris l’habitude de se prémunir de la captation de leur image, et que celle-ci ait pu permettre à l’IGPN de classer un certain nombre de plaintes pour violences policières.
Scène assez cocasse, après l’appel radio, tous les agents présents enfilent un masque chirurgical, masque qu’ils ne portaient pas en procédant précédemment au contrôle d’identité… Mais que craint donc la police ? Que justifie cette peur de l’image ?
Obstructions à la presse et aux observateurs
La Mule a ensuite été abusivement contrôlée par des policiers, en réaction au fait qu’elle filmait un contrôle d’identité. Ces derniers lui ont finalement notifié une verbalisation pour “participation à une manifestation interdite” et ont refusé de prendre en compte la carte de presse qui leur a été proposée. Autour, la plupart des agents ne respectent pas leur obligation légale de porter leur numéro d’identification RIO de manière visible. L’un des agents tente de s’en expliquer en disant que son RIO est sous son gilet pare-balles… donc complètement inutile.
Un petit rappel de la circulaire qui encadre le droit à l’image pour les policiers :
La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction.
Aux raisons juridiques s’ajoute un principe fondamental : soumis à des règles de déontologie stricte, un fonctionnaire de police doit s’y conformer dans chacune de ses missions et ne doit pas craindre l’enregistrement d’images ou de sons.
Les policiers ne peuvent donc s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission. Il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support.
Ils ne peuvent par ailleurs s’opposer à l’éventuelle diffusion de cet enregistrement que dans certaines circonstances particulières.
La circulaire dit clairement que si la police fait bien son travail, elle n’a pas à craindre l’enregistrement d’images ou de sons. Pourquoi les preneurs d’images à Montpellier font-ils donc systématiquement face à des tentatives d’obstruction, voire à des violences ?
Contrôle abusif sur un journaliste étranger
En fin de journée, un équipage de police est posté sur la place de la Comédie. Un photographe, de nationalité étrangère, le prend en photo. Juste après, un policier sort de la voiture, et visiblement déjà au courant du statut du photographe, lui demande de justifier sa présence “sur le territoire français“. Le policier sort ensuite son téléphone portable personnel pour filmer à son tour, ce qui est interdit, avant de se raviser.
Face à la réaction d’une personne présente sur les lieux, le policier se justifie de la façon suivante : “Ce monsieur m’a pris en photo, et il continue de me prendre en photo.” Or, comme on l’a vu, rien ne peut justifier de procéder à un contrôle d’identité sur cette simple base, et les policiers ne peuvent agir, que ce soit en mettant la pression ou en entravant physiquement, pour empêcher la prise d’images. En soi, ce contrôle est donc abusif, s’il n’est pas tout simplement illégal. Et encore une fois, dans ce cas, le policier ne porte pas de numéro RIO visible.
Se prémunir des images de bavure ou de non respect des règles
Comme nous l’avons documenté dans notre film Dégagez, y’a rien à voir ! , les obstructions à la liberté d’observer ou de la presse sont légion en terrain de manifestation à Montpellier. Dans de nombreux cas, elles sont corrélées à des scènes d’arrestations violentes, de contrôles abusifs, ou de violences, mais on peut voir ici que même dans des situations plutôt communes les agents prennent l’habitude de contrevenir aux règles déontologiques.
Le non port systématique du RIO (ou le port par un seul membre d’une unité) permet aux policiers, s’ils ont le visage dissimulé, d’échapper à l’identification lorsqu’ils ont commis des actes qui pourraient tomber sous le coup de la Loi. Les policiers déploient en outre des trésors d’ingéniosité et d’agilité pour obstruer les angles de vue des preneurs d’images lors de situations tendues. La généralisation de ces pratiques apparait assez préoccupante alors que les violences policières se multiplient sous le mandat Macron, et qu’aucun rappel à l’ordre n’a été émis par un ministre de l’Intérieur qui nie toujours la réalité de celles-ci.
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