Comme annoncé par Édouard Philippe jeudi dernier, la France va progressivement se déconfiner à compter du 11 mai prochain, alors que la progression du coronavirus semble s’essouffler durablement. Si certaines mesures, notamment concernant les masques, ont d’ores et déjà été annoncées, d’autres comme la question du traçage au travers d’une application numérique pour remonter les chaînes de transmission du virus, demeurent toujours dans un certain flou. C’est notamment sur la question des données recueillies et de leur utilisation qu’achoppent les débats. Cependant ceux-ci occultent le fait que le numérique et la santé suivent depuis longtemps un chemin complémentaire.
Selon une communication de l’Ameli à destination des médecins généralistes que nous avons pu consulter, l’État met en place un système de “contact tracing” dans lequel ceux-ci doivent représenter “le premier maillon de cette organisation“. Les généralistes, premiers interlocuteurs auprès de la population en terme de santé, représentent pour l’État une certaine garantie de probité et de confiance dans le traitement du déconfinement. Cependant, les nouveaux efforts que l’on demande aujourd’hui à ces médecins dépassent largement le cadre de leur mission, et remettent en question les grands principes du secret médical.
Le numérique, la “solution miracle”
En effet, l’Assurance Maladie enjoint les médecins généralistes “à vous engager fortement dans la recherche de leurs contacts afin d’aider à leur identification” et à les distinguer en deux catégories : “les personnes résidant au même domicile que le patient : le médecin devra systématiquement recueillir les informations les concernant (nom, prénom, NIR, date de naissance, adresse, coordonnées téléphoniques, et adresse mail)” et “les personnes (hors cellule du domicile du patient) ayant eu un contact avec le patient dans les 48 heures précédant l’apparition des premiers symptômes dans les conditions suivantes (échanges d’une durée d’au moins 15 minutes sans masques avec un éloignement de moins d’un mètre)“. Pour résumer, c’est au médecin de partir à la recherche des cas contacts et d’en procéder au fichage et à l’alerte des autorités, au travers d’un téléservice dénommé “Contact Covid” accessible via Amelipro.
Cette plateforme sera “opérée par des équipes de l’Assurance Maladie” et “chargée de finaliser la recherche des cas contacts au cas où des informations seraient incomplètes.” L’enregistrement d’un patient au travers de ce téléservice lui donnera accès à un test et à des masques sans prescription médicale. A grande échelle, c’est l’Agence Régionale de Santé qui gèrera l’identification et la gestion des chaînes de contamination complexes (foyers, EHPAD, clusters).
Rappelons que la télétransmission est aujourd’hui obligatoire pour les actes médicaux, une transformation qui a généralisé l’usage de la carte Vitale comme d’une sorte de moyen de paiement, alors que de nombreux professionnels de la santé s’y opposaient. L’omniprésence toujours plus obligatoire du numérique dans la médecine est en effet vue d’un très mauvais oeil par un certain nombre de médecins, qui ont observé un changement négatif dans le rapport patient/médecin, celui-ci étant de plus en plus considéré comme un prestataire de service.
2€ le cas contact avec les éléments de base, 4€ pour les infos complètes
Afin d’encourager les médecins à se charger de cette nouvelle tâche d’identification vaste et complexe, les actes médicaux ont donc été revalorisés. Dans un premier temps, “la consultation ou téléconsultation d’un patient testé positif pourra donner lieu à la facturation de la majoration MIS d’une valeur de 30 euros” en sus. En somme, si un médecin généraliste effectue un diagnostic qui aboutit à un test positif au Covid-19, la prestation en est valorisée de 30 euros supplémentaires, mais pas seulement…
Dans un second temps, les médecins seront rémunérés 2 euros pour chaque cas contact remonté à “Contact Covid” avec saisie des élements de base, et “4 euros pour chaque cas contact avec saisie de données plus complètes“. Le détail des données à saisir selon le niveau de rémunération n’a pas encore été transmis, on ignore s’il peut s’agir de données relatives à la santé, potentiellement couvertes par le secret médical. Les médecins sont donc encouragés à identifier le maximum de personnes ayant été en contact avec une personne malade, et plus ils fourniront de données à propos de ces personnes, plus ils seront rémunérés.
Par exemple, si lors d’une consultation, un médecin généraliste identifie un cas Covid-19 positif et parvient à renseigner les données “complètes” de 5 cas contacts, il sera rémunéré 75€ au lieu de 25 normalement. Il est difficile d’imaginer le patient pouvoir fournir toutes ces données lors de sa première consultation, on rémunère donc les médecins pour les inciter à demander au patient d’effectuer ce travail d’identification lui-même.
Là où ne manquent pas de se poser de nombreuses questions, c’est sur les principes du consentement et de la suite offerte à cette collecte de données, qui sont tout simplement éludés. On encourage les médecins à recueillir et transmettre les données de personnes qui n’en sont même pas au courant. De plus, en ces temps de ralentissement économique et social, effectuer la collecte de données liées aux relations sociales peut être pour l’État très instructif sur la structuration de certains réseaux, notamment militants. D’où la question, cruciale, du traitement réservé à ces données, non pas au sein de la crise du Covid-19, mais consécutivement.
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