Le collectif Street Medic Nantes, très impliqué dans la mise au jour des violences policières, a annoncé ce jour sur Facebook qu’une de ses membres a subi une perquisition de son appartement, mercredi 19 juin, avant d’être placée en garde à vue. Celle-ci découvre alors qu’elle est visée par une enquête préliminaire pour des faits “d’exercice illégal de la médecine” ainsi que de “participation à un groupement en vue de commettre des violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ou des dégradations“, un chef d’inculpation dont l’utilisation abusive dans le traitement judiciaire du mouvement des Gilets Jaunes est dénoncée vigoureusement par la Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier dans son dernier rapport.
Une forme de répression sur les acteurs locaux du mouvement
Cette inculpation ne se produisant pas suite à une interpellation sur le terrain, la medic a donc nécessairement été identifiée et ciblée en raison de son action en manifestation. En présence de blessés, la qualification d’exercice illégal de la médecine peut entrer en contradiction avec le principe de non assistance à personne en danger, ce qui met en exergue qu’une nouvelle fois l’article 222.14.2 du Code Pénal pourrait être utilisé pour étoffer et justifier une mise en accusation à la base insuffisante. Ainsi, il s’agirait là d’utiliser le droit pour intimider, mais aussi faire perdre du temps, de l’argent, et de la confiance, aux personnes impliquées dans le mouvement. Rappelons qu’une observatrice de la LDH à Montpellier a récemment été inculpée pour entrave à la circulation, après avoir couvert le blocage d’une autoroute, et convoquée en procès pour la rentrée.
La street-medic nantaise a finalement été libérée après avoir passé la journée en garde à vue. Le collectif auquel elle appartient avait récemment défendu publiquement l’engagement politique et la pratique de lutte que représente l’action street-medic au cœur des manifestations. Un engagement qui persiste visiblement à poser problème aux pouvoirs publics, puisque c’est loin d’être la première fois qu’un street-medic est visé par une forme ou une autre de répression, qu’elle se produise sur le terrain, dans une cellule de garde à vue ou dans le bureau d’un juge.
De nombreux exemples in situ
Violences, matériel confisqué, interpellations et gardes à vue ciblées sur des soignants pourtant bien siglés (croix colorées, matériel de protection, sacs à dos d’urgentistes), très souvent issus du milieu médical, notamment étudiant, et que l’on ne peut absolument pas confondre avec des manifestants lambdas. Des bénévoles qui sont bien souvent les seuls présents aptes à intervenir dans l’urgence, pour soigner et venir en aide aux manifestants comme aux forces de l’ordre. Une street-medic de Nice témoignait ainsi en mars avoir été empêchée de se porter au secours de victimes de l’action policière, avant d’être plusieurs fois violentée par les CRS, tandis que sept de ses coéquipiers étaient interpelés. Blessée aux cervicales et aux genoux, elle s’est vue prescrire cinq jours d’ITT.
À la fin de la manifestation du 1er mai à Toulouse, et alors que la situation était calme, huit street-medics du groupe Medic Tolosa étaient interpelés et placés quelques heures en garde à vue avant d’être relâchés. D’après de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux, l’intimidation semble fréquente dans la ville rose. Lors de l’acte 22 des Gilets Jaunes le 13 avril, deux street-médics étaient blessés par les forces de l’ordre, dont l’un visé par une grenade de désencerclement, et qui s’est vu prescrire vingt jours d’ITT. Des violences ont également pu être largement documentées à Montpellier.
Le 23 mars 2019, à Nice, après la charge qui blessait grièvement Geneviève Legay, une dizaine de street-médics qui se portaient au secours de celle-ci étaient immédiatement interpelés et placés en garde à vue pour dix heures sur ordre d’un commissaire. Un haut fonctionnaire de police a ainsi entravé l’accès à un secours direct pour la victime, les pompiers ayant mis une dizaine de minutes à parvenir sur les lieux, délai qui peut s’avérer déterminant dans de tels cas. L’article 223-6 du Code Pénal définit la non assistance à personne en danger comme “le fait pour quiconque de s’abstenir volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours“.
Une carence dans l’exercice de la démocratie
Comme les observateurs, les photojournalistes ou cadreurs, les street-medics présents sur le terrain d’une manifestation pallient à une rude carence dans l’exercice de la démocratie en France. En effet, si notre constitution (article 34) et nos lois admettent comme fondamental le droit à une information objective, au pluralisme et à l’indépendance des média, dont on ne peut s’empêcher de constater la rapide régression, les droits à la sécurité et à l’intégrité physique de sa personne sont également garantis par le Code Civil. Peut-on croire que la présence et l’influence croissantes de groupes de street-medics dans les manifestations n’est due qu’à un curieux hasard ?
À Montpellier, lors de l’acte 30, plus d’une trentaine de blessés ont pu avoir rapidement accès à des soins grâce à la présence massive de groupes de medics venus de tout l’hexagone. Quatre personnes ont été blessées gravement, dont deux par des tirs de LBD dans la tête, alors que la prise en charge des blessés n’est que très partiellement assurée par les pompiers, et que ceux-ci sont en général prévenus par… les street-médics, et mobilisés pour les cas les plus graves. Malgré cela, Dylan, éborgné lors de l’acte 24, d’abord pris en charge par des medics et des manifestants, a dû être exfiltré du cortège et conduit par des proches aux urgences, tant le chaos et la panique générés par l’action policière excluait toute autre possibilité, malgré un appel aux pompiers qui n’a pu donner lieu à une intervention.
Avec des actes régionaux, à Montpellier comme à Toulouse ou Bordeaux, qui s’avèrent presque systématiquement explosifs, comment ne pas déplorer l’absence d’une prise en charge immédiate par les secours ou d’un dispositif sécurisé permettant de mettre à l’abri et de soigner les blessés ? Au delà d’un déni de réalité de l’État, on voit bien plutôt une volonté de rendre la manifestation impossible et dangereuse à travers une répression dense et musclée.
Photographies, lors de l’acte 30 des Gilets Jaunes à Montpellier, par Andrea Saulle
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